Transparence, ergonomie, compatibilité un triple défi pour les éditeurs
A l'heure de la business intelligence et du marketing research, le marché des logiciels d'enquête se transforme. Certains éditeurs spécialisés dans les statistiques proposent des solutions modulaires, visant à fluidifier l'intégration des données. Quant aux éditeurs de logiciels d'enquêtes, leurs solutions modulaires s'appuient sur l'incontournable standard du marché, Windows 95 et NT, pour le système d'exploitation, et Office pour la présentation des données.
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«Historiquement, ce sont les Américains avec l'institut Gallup, dans les
années trente, qui ont été les premiers à mettre en pratique les enquêtes
d'opinion, raconte Jean-Pierre Lebourg, P-dg d'Eole. Le gouvernement américain,
d'ailleurs, s'est appuyé et continue de s'appuyer sur ces enquêtes, comme
nombre d'autres gouvernements depuis, pour valider sa politique. Cette
technique est arrivée en France après guerre, par le même Gallup, qui a fondé
l'Ifop. » Pour celui qui fut l'un des précurseurs en France des logiciels
d'enquête, avec le célèbre logiciel de réalisation de questionnaires
“Saxophone”, ce secteur représente encore environ 5 % du chiffre d'affaires de
la plupart des instituts de sondage. C'est à la fin des années soixante-dix,
devant le succès et l'efficacité des sondages d'opinion, que les grandes
entreprises ont pris conscience de l'intérêt des enquêtes en matière de qualité
et de satisfaction client. « La compétition commerciale et la concurrence
accrue les ont obligées à mieux comprendre la perception de leurs clients afin
de se différencier. Les enquêtes de satisfaction et de qualité sont le meilleur
moyen de connaître la perception d'un produit ou d'un service. Et l'on voit
arriver depuis quelque temps les enquêtes internes sur le personnel, qui
permettent de vérifier sa motivation et le climat social de l'entreprise. Car
le salarié est aussi un outil marketing », ajoute Jean-Pierre Lebourg.
Du sondage à l'outil de marketing stratégique
Pour
Jean-François Grimmer, P-dg de Grimmer Logiciels, l'expansion du marché des
logiciels d'enquêtes, avec les enquêtes de satisfaction, remonte aux années
quatre-vingt-dix. Encore une fois, la montée en puissance de la
micro-informatique, le mode client/serveur, associés à des logiciels beaucoup
plus conviviaux et à une forte baisse des coûts, tant du hardware que du soft,
ont permis aux entreprises de s'approprier des outils autrefois réservés aux
seuls statisticiens et de les utiliser dans une optique marketing. « C'est un
grand changement, ajoute Jean-François Grimmer. Les logiciels étant plus
ergonomiques, il ne fallait plus être informaticien pour s'en servir. De plus,
le questionnaire ne changeant pas et la méthode d'échantillonnage non plus,
puisqu'on s'appuie en général sur les fichiers des clients, on peut se passer
des sociétés d'études et rapatrier en interne le traitement de ces enquêtes.
Aujourd'hui, les études sur la satisfaction client représentent, selon moi, 50
à 60 % du marché. » Grimmer Logiciels, qui édite le logiciel Question, s'est
inséré dans cette démarche. Son logiciel est utilisé notamment par le réseau
France Télécom, les Caisses primaires d'Assurances Maladie ou encore l'EDF pour
des enquêtes réalisées au niveau national par téléphone et rapatriées vers les
régions. « De plus en plus, on intègre dans les informations de l'entreprise la
perception qu'a le client de ses produits ou services », note Jean-François
Grimmer. Et de citer pour exemple le cas des micro-coupures sur le réseau EDF,
ces variations de tension qui peuvent, entre autres, endommager un équipement
informatique. Pendant un certain temps, les utilisateurs ne s'en aperçoivent
pas. Ce n'est qu'à un moment précis qu'ils s'en rendent compte, et trouvent
cela inadmissible. Cette perception du service est une donnée psychologique. Un
ingénieur réseau, lui, aura une réaction différente et trouvera cela
insupportable avant le consommateur. De même la réaction des clients vis-à-vis
des services offerts est différente de celle du personnel en interne. Ainsi,
les enquêtes ne servent pas uniquement à savoir ce que pense le client. Elles
permettent aussi de changer l'organisation de l'entreprise. Et si ses clients
utilisent la suite logicielle Question de Grimmer Logiciels, une suite qui
permet de traiter statistiquement les enquêtes, c'est grâce à l'impact de ces
analyses, afin de permettre la transformation des entreprises publiques en
entreprises tournées vers le client. « C'est un outil stratégique qui permet
une transformation culturelle », précise Jean-François Grimmer.
S'adapter aux univers des utilisateurs
Reste que ces
logiciels sont en général réservés à de grands comptes ou à des cabinets
spécialisés. « Pour eux, l'assise financière de l'éditeur est un point
important, indique Sylvain Ballu, directeur commercial de Statiro, une filiale
d'Ipsos, éditeur de logiciels de traitement d'enquêtes et de statistiques. Ils
choisissent leur progiciel pour sa couverture fonctionnelle et son évolutivité,
et ne veulent pas avoir recours à l'éditeur pour le paramétrer. Ils veulent un
outil utilisable par des non-informaticiens. » En fait, le but est de mettre à
la disposition des chargés d'études ou des responsables d'études un outil
opérationnel qui aurait des capacités semblables à celles d'un logiciel de
business intelligence de type SAS ou Cognos, beaucoup plus lourd à utiliser, et
réservé à la direction des études. Pourtant, si ce type de logiciel peut être
utilisé pour faire en interne des enquêtes de satisfaction client, « les
annonceurs ont du mal à mettre au point de réelles enquêtes de qualité,
remarque Sylvain Ballu. Ils n'ont pas les ressources suffisantes et le
savoir-faire, pour maîtriser ces techniques ». « Ces enquêtes sont pratiquées
par des acteurs provenant de deux mondes très différents, celui du marketing et
singulièrement du télémarketing et du sondage », souligne Denis Harang, P-dg de
l'éditeur de logiciels d'enquête Conversoft. Avec des termes différents,
enquêteur pour le sondage et téléacteur pour le marketing téléphonique. Le
téléacteur est un commercial qui cherche à vendre ; l'enquêteur recueille une
information neutre. « La grande différence réside dans la conception des
actions, ajoute Denis Harang. En télémarketing, on laisse la liberté au
commercial ; en sondage, on respecte des normes pour que les réponses soient
les plus objectives. Les scénarios des questionnaires doivent être beaucoup
plus puissants. » Si, en télémarketing, l'important, c'est la fiche client et
le résultat de l'entretien individuel, en sondage, c'est l'échantillon afin de
bénéficier d'une certaine représentativité. D'où la notion de quota, afin de ne
pas sur-représenter certaines catégories, et de redressement, de pondération,
afin d'être le plus objectif possible. Reste que les logiciels de
questionnaires pour sondage et pour le télémarketing ont un tronc commun : la
présentation des questions, le scripting proprement dit et l'arborescence du
questionnaire. Enfin, un questionnaire d'enquête est beaucoup plus long qu'en
télémarketing. Si en télémarketing, l'important, c'est de ne pas perdre de
temps, il n'est pas rare qu'un enquêteur passe 18 à 20 minutes pour remplir un
questionnaire. Les logiciels doivent en tenir compte. Permettre par exemple
d'interrompre le déroulé pour le reprendre plus tard. Ce qui est difficilement
concevable en télémarketing.
Après le CAPI, le CAT... le CAWI
Si les enquêtes sont traitées par des logiciels spécialisés
dans leur dépouillement ou encore par des logiciels de statistiques, elles
partent toutes d'une interview. Et pour la réaliser, il n'y a que trois ou
quatre moyens : le téléphone, le face à face ou encore en auto-administré e...
par le Web. Il y a encore une dizaine d'années, la plupart de ces enquêtes
étaient recueillies sur papier, puis ressaisies par des opérateurs afin
d'intégrer les données dans des systèmes informatiques et enfin les traiter.
Aujourd'hui, grâce à la micro-informatique, le recueil des données peut
s'effectuer sur un ordinateur personnel. Pour l'interview en face à face, le
CAPI, pour Computer Assisted Personal Interviewing, permet non seulement de
préparer le questionnaire, mais aussi de saisir les réponses et de récupérer
les résultats sous format informatique, évitant ainsi le travail fastidieux de
ressaisie. « L'idéal, c'est de disposer de deux écrans. Un pour l'enquêteur, et
un autre pour la personne interrogée », estime Jean-Pierre Lebourg. Les
résultats sont saisis, puis envoyés, le soir par modem vers l'institut ou la
société d'études. « L'enquêteur dispose d'une version bridée du logiciel
d'enquêtes. Il n'a pas accès aux fonctions de développement ni au tableau de
suivi », note Sophie Piquart, chargée d'études informatiques chez Tonalité, une
filiale de BVA. Mais si la méthode CAPI permet de fiabiliser les interviews et
de rapatrier les données rapidement, l'enquêteur ou l'interrogé doit se
déplacer et, même si l'interview se passe plus rapidement, la productivité est
aléatoire. C'est pourquoi, l'application au téléphone des interviews, le CATI,
pour Computer Assisted Telephony Interviewing, est vite devenu populaire. Les
logiciels sont strictement les mêmes au niveau de la codification des données.
Cependant, la présentation des écrans peut changer, plus utilitaire en CATI,
plus soignée et quelquefois accompagnée de supports visuels en CAPI. « Le CATI
est la méthode la plus efficace, tant d'un point de vue statistique
qu'économique, la seule contrainte est liée à l'absence de présentation d'un
support », remarque Mustapha Smaïl, directeur général de la société Le Terrain,
utilisateur du logiciel Converso, plus connu, dans sa version Dos sous le nom
de Pollux. Très accepté par la majorité des annonceurs, le CATI semble
rassembler les suffrages. Il permet de contacter des échantillons
représentatifs des populations, grâce à des fichiers éprouvés. Les enquêteurs
sont dans un même et unique lieu, ce qui permet une supervision en temps réel.
Une notion importante qui offre la possibilité de corriger des défauts de
représentativité. En effet, si un quota est dépassé, on le sait tout de suite,
alors qu'en CAPI, ce n'est que lorsque l'enquêteur a transmis son questionnaire
qu'on le saura. A l'inverse, si on découvre qu'une question écarte un certain
type de population, on pourra corriger en temps réel. « En CATI, on peut
contrôler le respect des consignes, alors qu'en CAPI, il faut accorder une
confiance maximale aux enquêteurs », précise Mustapha Smaïl. On pouvait s'y
attendre, le Web est devenu un passage obligé en matière d'enquêtes. Le CAWI,
pour Computer Assisted Web Interviewing, commence à faire des adeptes. Même si
des questions peuvent se poser sur la représentativité des populations
répondantes, on ne peut nier son efficacité notamment pour les questionnaires
auto-administrés. « On ne peut pas encore l'utiliser pour toutes les enquêtes.
C'est un peu comme pour les interviews téléphoniques il y a trente ans. Mais
pour des questionnaires sectoriels, pour les médecins par exemple, il peut être
efficace. Reste que dans un premier temps, la majorité des répondants seront
jeunes », remarque Jean-Pierre Lebourg. D'autres sont plus convaincus. Voxco,
éditeur du logiciel Inteviewer a mis au point un module permettant de
transférer un questionnaire au format HTML, soit sur un Intranet, afin de le
mettre à la disposition des employés d'une entreprise dans le cas d'une enquête
interne, ou encore pour que des membres d'un panel y répondent. « Le Web permet
aussi de procéder à des pré-tests de questionnaires auprès de nos clients. Ils
pourront ainsi tester en réel via le Web les questionnaires préparés pour les
terrains en CATI ou en CAPI », souligne Jonathan Tunnicliffe, responsable du
département Market & Research de Voxco. De même, la société propose un module
permettant de mettre à la disposition des utilisateurs les résultats des
campagnes CATI et CAPI en temps réel. Chez Peter Holmes, dernier arrivé sur le
marché des logiciels d'enquête, on mise aussi sur le Web. « Nous utilisons la
logique interactive d'Internet, indique Patrick George, directeur commercial.
Pas question de simplement transposer un questionnaire papier sur le Web. Le
questionnaire est dynamique et permet de poser des questions différentes selon
la catégorie du répondant. » Enfin, SPSS MR, filiale Marketing Research de
l'éditeur de solutions de business Intelligence SPSS, propose une solution
d'enquêtes on line utilisée notamment par l'institut Louis Harris. « Après
avoir suscité l'envie de répondre au questionnaire, on attribue un mot de passe
au sondé. S'il n'a pas terminé le questionnaire, il peut s'arrêter et le
reprendre plus tard et même depuis un autre lieu. Et s'il ne répond pas assez
vite, il suffit de lui envoyer des e-mails. Les taux de retour sont excellents.
L'institut Harris, sur son site US, reçoit 250 000 demandes de questionnaires
par heure », s'enthousiasme Stéphane Karm directeur de SPSS MR. Il conseille,
afin de bien contrôler l'enquête Web, d'envoyer deux séries d'e-mails et
d'établir un lien SQL avec la base de données, afin de contrôler la validité
des réponses.
De Dos à Windows, un challenge pour les éditeurs
« Le transfert des données, entre les logiciels de
recueil d'enquêtes et ceux chargés du traitement, est un réel problème. Surtout
à cause des logiciels issus du monde Dos. Bientôt, ils seront tous traduits au
format Windows, avec des liens directs vers les bases de données de type Access
que nous utilisons et cela arrangera les choses », explique Gilles Garnier, de
la direction informatique de BVA. Les logiciels de recueil d'enquêtes utilisés
le plus couramment en France ont été créés dans les années quatre-vingt. A
l'époque, choisir le monde de la micro-informatique, c'était parier sur le
système d'exploitation MS Dos. C'était le bon choix, et les logiciels les plus
connus, Saxophone d'Eole et Pollux de Conversoft, répondaient à la demande de
l'époque. Côté analyse des données, il suffisait de traduire les réponses au
format des logiciels de traitements statistiques, en général sur des grands
systèmes. Mais le temps a passé. Aujourd'hui, la plupart des instituts et
cabinets d'études utilisent des bases de données relationnelles puissantes,
souvent sous système d'exploitation Windows et ils supportent mal d'avoir à
traduire des données d'un système à l'autre, avec les risques de corruption qui
en découlent, plutôt que de les utiliser directement. En outre, Windows est
beaucoup plus convivial que le Dos. Les écrans sont plus ergonomiques, les
fonctions plus puissantes et il peut être utilisé par tout le monde. Le
challenge, pour les éditeurs, c'est de fournir des logiciels sous Windows qui
marchent aussi bien que sous Dos. Ce qui n'est pas forcément évident. La grande
tendance est donc de proposer des suites logicielles assurant toutes les
fonctions de recueil d'enquêtes sous la forme de modules autonomes, tournant
autour d'un moteur commun, une base de données commune, permettant de fournir
des données à un format exportable sans problème. Chez Eole, on annonce pour
l'an 2000 une nouvelle famille de logiciels, sous Windows 2000 avec un langage
commun, rassemblant les fonctions améliorées de Saxophone et du logiciel de
traitement Eole 3. Chez Conversoft, la refonte a été complète. Et c'est
désormais sous le nom de “Interviewer Suite” que cet éditeur propose une
solution de recueil d'enquêtes CATI et CAPI sous Windows 98. Mais des
concurrents, issus du monde de l'analyse et du traitement statistiques,
prennent de plus en plus de poids. SPSS MR, notamment. Cette société
américaine, connue pour ses logiciels de statistiques et maintenant de data
mining, mise sur son poids international et sa présence dans la plupart des
grands instituts. Depuis deux ans, elle s'est lancée dans le marketing research
par acquisitions externes. Outre ses outils d'analyse et de traitement
statistiques, Quantum et Quanvert, elle dispose aujourd'hui de deux progiciels
de recueil d'enquêtes avec Quancept pour le CATI, le CAPI et le CAWI, un outil
très puissant tournant sous système d'exploitation Unix, et In2Quest, un
logiciel issu du rachat de la société In2uitive, une solution de recueil
d'enquêtes pour entreprises de taille moyenne sous Windows NT. Cette solution
tourne notamment chez InfraTest Burke, un institut spécialisé dans les études
de grande consommation. « Nous apprécions les efforts d'intégration de SPSS et
surtout leur réactivité, note Jean-Pascal Martin, directeur scientifique. Et
notamment leur vision stratégique, avec une recherche de la qualité tablant sur
une intégration de composants. A mon sens, les grands instituts ont intérêt à
travailler avec eux. Actuellement, cette intégration n'est pas encore
totalement aboutie, mais ils procèdent par étapes, et à terme, les solutions
seront excellentes. » Peter Holmes SA, avec Askia, propose une solution
complète portant sur l'élaboration du questionnaire, son utilisation en CATI,
CAPI et CAWI, ainsi que le traitement des données et ses analyses, avec pour
particularité d'être totalement intégré dans le monde Windows, en respectant
toute son ergonomie. « Il est très bien conçu, constate Walter Oettgen, Dg de
H2O, une société d'études. Nul besoin de connaître la programmation. C'est un
logiciel de nouvelle génération, facilement utilisable. Pour moi, c'est le plus
complet des logiciels “Tout en 1” et de plus il est évolutif. » Le marché des
logiciels d'enquête est à la croisée des chemins. Aujourd'hui, ils doivent
s'intégrer en totale transparence avec les logiciels de traitement
statistiques. Pour ce faire, ils doivent impérativement se rendre compatibles
avec les logiciels de business intelligence. Cela demande beaucoup
d'investissements en développement et des ressources financières et humaines.
Mais ce passage est inéluctable.