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Société de méfiance,société de transparence

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Semaine après semaine, les sondages égrènent leur triste litanie. Les Français n'ont plus confiance en rien. Face au doute et à la méfiance généralisée, toutes les institutions s'accordent sur un point. Instaurer une nouvelle relation basée sur la transparence et la vérité. Deux postures délicates à manier.

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La vraie vie, les vrais gens, les vrais enjeux, le vrai dialogue. Depuis la fin du XXe siècle, le qualificatif fait florès. Englués dans le doute et la défiance vis-à-vis des institutions, entreprises, médias, politiques, les Français ne se contentent plus de promesses, de discours. Ils veulent des faits, des preuves. La preuve dont le Petit Larousse donne la définition suivante : “Ce qui démontre et établit la vérité de quelque chose”. La dernière étude Megabrand de TNS Sofres est sur ce point édifiante : 95 % des Français, soit la quasi-totalité d'entre eux, souhaitent “qu'une marque démontre en quoi elle est supérieure” et ils sont 92 % à attendre d'une marque qu'elle “informe complètement le public de ce qu'elle fait”. Quant à la nouvelle vague de l'enquête Ethicity/Carat Media Marketing, elle constate une radicalisation des attentes des consommateurs en termes d'information. 72,7 % des consommateurs, soit un gain de 7,1 points par rapport à la précédente édition, sont demandeurs de plus d'informations de la part des entreprises. « Plus de la moitié des Français déclarent ne pas faire confiance aux grandes entreprises », note Elizabeth Pastore-Reiss, directrice d'Ethicity. Face à ces doutes, apparaît un nouveau dogme : la transparence. Cette transparence, qui s'oppose à l'opacité, aux secrets, nous l'attendons aujourd'hui de tous: des politiques, des entreprises, des marques. « Les gens ont senti qu'il y avait un discours paradoxal. On leur promettait la santé, le bonheur. Ils se sont récolté les grandes crises alimentaires.Tout cela a été entretenu par un climat de rumeur alimenté par la lecture dramatique que les journalistes ont fait de ces événements. Elle a été faite au prisme de leur propre métier : la recherche d'informations et la quête de la vérité. D'où la demande de transparence. Mais est-ce pour autant ce qu'attendent les consommateurs, veulent-ils vraiment de cette maison transparente où plus rien ne leur serait caché ? Les consommateurs ne sont pas dupes, ils ont conscience que, dans la maison de verre, on ne leur montre qu'une partie de la vérité », remarque Georges Lewi, directeur du BEC-institute. D'autant que transparence n'est pas vérité. Pire, il arrive parfois qu'elle n'en soit qu'une manipulation. Les émissions de télé réalité en sont la parfaite illustration. Souvenons nous du Loft et de l'extraordinaire mise en scène de la maison de verre. « Le culte de la transparence est certainement une idéologie, au sens où elle s'impose à tous comme une évidence indiscutable. C'est forcément bien d'être transparent. La transparence explique tout. Les scandales financiers ? C'est parce que les marchés n'ont pas été assez transparents. La méfiance des consommateurs ? C'est parce qu'ils ont été trompés et qu'on n'est pas assez transparent avec eux. Mais la transparence est un objet délicat à manier. Comme toute idéologie, elle est valable durablement jusqu'à ce qu'une nouvelle idéologie la remplace ! », note Philippe Savereux, directeur associé de l'institut MarketVision.

L'autorité en perdition


Si les crises financières, institutionnelles ou sanitaires, ont effectivement ébranlé la société, la transparence, terme remis au goût du jour par la nouvelle gouvernance des entreprises, suffira-t-elle à nous guérir de nos doutes, à faire renaître la confiance ? « Cette recherche de transparence, de vérité, est complexe. Elle traduit la perte de reconnaissance des autorités institutionnelles, de la valeur de la parole. Nous l'avons vu pendant la campagne référendaire et, notamment, lors de la rencontre entre Jacques Chirac et les jeunes lorsque les affirmations du Président étaient contrées par un “C'est vous qui le dites…” Aujourd'hui, toutes les paroles se valent, il n'y a plus de croyance en l'autorité. La transparence redonne du poids à la caution », analyse Chantal Lasocka, directrice générale adjointe de TNS Sofres. Pour autant redonne-t-elle des repères à la société, parvient-elle à créer de la réassurance ? Au vu de notre consommation d'anxiolytiques, il est permis d'en douter. « L'anxiété est très forte. Et, alors que le doute est dans tous les esprits, on observe que les gens cherchent à se raccrocher à quelque chose et notamment à des choses qui relèvent de l'ordre de la croyance, d'où la résurgence de phénomènes sectaires, de religiosité, de la magie. Tout ce qui permet, en quelque sorte, de redonner de l'ambivalence », poursuit Chantal Lasocka. Et Georges Lewi de surenchérir : « Le mélange des genres et des formes, les hommes politiques chez Drucker, Loana du Loft érigée au statut de star, tout cela fait que toute forme d'autorité a disparu. Et les marques n'ont pas échappé à ce phénomène. En sortant de leurs sphères, elles ont perdu leur logique d'autorité. C'est l'opposition entre logos et muthos, la raison et le mythe. Dans le travail de UFC Que Choisir, qui s'appuie sur l'analyse physique, la vérité du produit, est inscrite la fin des marques.» A moins, bien sûr, qu'elles ne retrouvent ce qu'il leur fait défaut : la sincérité. « Le public sait que le marketing le manipule, lui ment, et il ne lui en tient pas rigueur. En revanche, il veut savoir si ce marketing est sincère dans son mensonge. Il veut savoir si la marque a accompli son devoir de précaution, si elle est sincère, et non pas si elle est transparente ou si elle dit la vérité. Il faut une part de secret pour se construire car, si tout devient transparent, la société va tout simplement exploser », prévient Georges Lewi. Dans une société où toutes les paroles sont mises sur le même plan, où l'illusion de la transparence et de la vérité se substitue au principe de responsabilité, le risque est grand en effet de tomber dans la démagogie. Porte ouverte à toutes les barbaries.

Vu dans la vraie vie !


Dans Brèves de planning, exercice de réflexion à destination des communicants, Philippe Ceyrac, Benoît Héry et Monique Wahlen, respectivement président, vice-président et directrice du planning stratégique de l'agence Grrrey !, s'interrogent, non sans une certaine dose d'humour, sur les différents signes émis par les marques et les consommateurs. L'ouvrage ne pouvait ignorer le phénomène de la pub réalité. Extraits. « Parlons vrai ! La “real pub”, c'est notre manière de qualifier ces publicités comme Danacol ou NiQuitin, s'appuyant sur des expériences vécues par des vrais consommateurs du produit. C'est la même chose que le testimonial diriez-vous ? Non, car il ne s'agit plus seulement de compiler des phrases ou des témoignages en vue de soutenir une promesse produit par un discours caution censé rassurer. Dans le cas de Danacol ou NiQuitin, toute la communication est construite sur le suivi de l'expérience d'un individu quasiment au jour le jour. On met en images et en mots l'équivalent du journal intime. Au-delà du phénomène publicitaire, ne faut-il pas voir une tendance plus globale à la valorisation du “real” en tant que parole plus crédible que la parole arrangée et scénarisée du discours commercial ? Il n'y a qu'à regarder les informations télévisées. L'importance accrue des vidéos amateurs, pour témoigner sans artifice et sans trucage d'une situation ou d'un événement, témoigne bien de cette méfiance envers les représentations fabriquées des networks. La vision de la guerre du Golfe reflète-t-elle vraiment de ce qui se passait sur le terrain ? Par contre, les vidéos amateurs du tsunami en Asie sont indiscutables et d'autant plus poignantes qu'elles n'ont pas été tournées dans le but de convaincre (donc d'influer). Elles détiennent donc une forme de vérité qui semble supérieure à la parole journalistique. Alors le “real”, c'est vraiment ce qu'il faut faire ? Non, le “real” n'est pas une recette à succès qui marche à tous les coups ! (…) Par contre, il est intéressant de considérer cette tendance comme un signe de la méfiance des consommateurs envers les grandes institutions. A quel degré peut-on croire une entreprise vantant sa marque, sachant que son objectif prioritaire est de vendre ? Quelle crédibilité accorder à l'information délivrée par un network dont la survie ne dépend que de la courbe d'audience ? Quelle confiance accorder à un parti politique dont la préoccupation principale est la prochaine élection ? (…) Le modeste, le quotidien, le proche ont davantage la cote : “Au moins on en est sûr ”. Maintenant, ce qui est bon et bien doit-il, obligatoirement, être vrai ? Pas forcément, l'excès n'arrange rien. Entre Cosette et Shéhérazade, point n'est besoin de choisir ! Tentons plutôt d'allier le meilleur des deux mondes: le rêve et le spectacle d'un bon spot Levi's d'une part, la pertinence et la justesse de réactions et de vécus d'autre part. Attention à ne pas mélanger les registres : ce serait donner raison à ceux qui disent que la pub fait passer des vessies pour des lanternes. »

 
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Rita Mazzoli

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