Recherche

Quand les LABOS soignent leur COM'

Faire rimer communication et santé n'est pas un exercice aisé. Dans un environnement qui s'est considérablement complexifié, il s'agit de faire passer le message «entre les clous» réglementaires, tout en accrochant le consommateur avec une touche d'humour et de fantaisie. Du grand art

Publié par le
Lecture
27 min
  • Imprimer

Sang contaminé, hormones de croissance, Distilbène donné aux femmes enceintes, affaires du Mediator et des prothèses mammaires PIP... Depuis 1991, chaque année ou presque fournit son nouveau scandale sanitaire à la France. Ces scandales à répétition, qui touchent aussi bien les médicaments que les dispositifs médicaux, ont considérablement terni l'image des laboratoires. Hier au pinacle, l'industrie pharmaceutique «sauveuse de vies», pourvoyeuse d'emplois et de croissance, est devenue aujourd'hui, dans l'esprit du public, une profession qui peut avoir des morts sur la conscience. Une certaine défiance s'est donc installée autour du médicament en général, même si « les produits incriminés ont toujours été des médicaments éthiques (délivrés sur prescription médicale) et non des produits de médication familiale (OTC, over the counter), déjà très encadrés sur le plan réglementaire», comme le souligne Eric Phélippeau, président de By Agency.

Parallèlement, la posture du patient a beaucoup évolué. Jusqu'à récemment dépendant de l'autorité de son médecin, le patient manifeste maintenant son libre arbitre, fort des informations et des connaissances glanées sur InternetSondage Groupe Pasteur Mutualité / ViaVoice concernant «La recherche d'informations médicales sur Internet - Usages et pratiques des Français», réalisé par téléphone, du 12 au 13 janvier 2012, sur un échantillon de 1 003 personnes.. Comme l'a souligné Florence Bernard, directrice industrie et médicament de l'UDA, au cours d'un débat organisé par l'Adetem«Communication et santé, un couple en pleine mutation?», «ce n'est plus le patient mais le consommateur de soin, et le citoyen, qui doit être au centre de toute stratégie de communication sur la santé». Un changement sémantique qui en dit long.

Consulter régulièrement les sites de santé est devenu une pratique régulière pour 30 % des Français, qui deviennent de plus en plus acteurs de leur santé. Pour soigner les petits maux de tous les jours, le consommateur achète davantage de médicaments sans ordonnance, non remboursés, selon le dixième baromètre que vient de présenter l'Afipa (lire encadré «L'automédication a le vent en poupe») . Les enjeux de la communication grand public se focalisent sur cette catégorie de produits, qui équivaut à moins d'un dixième du marché de la prescription.

Les contraintes du cadre réglementaire

«Bien expliquer à quoi sert un produit, c'est déjà très bien. » Cette affirmation d'Odile Finck, présidente de la commission santé de l'AACC (syndicat des agences conseil en communication) et p-dg de l'agence Action d'Eclat, à propos du contenu du message publicitaire, a de quoi surprendre les responsables marketing d'autres secteurs. Mais ceux qui travaillent dans l'industrie pharmaceutique depuis plusieurs années l'ont complètement intégrée. Bien qu'extrêmement contraignante, la réglementation très stricte qui régit la communication sur les médicaments sans prescription est un cadre que tous jugent nécessaire, puisqu'elle porte sur des produits de santé publique. Pas de conseil direct, pas d'incitation à l'utilisation qui pourrait être contraire au conseil du pharmacien ou du médecin. La publicité sur les médicaments grand public ne doit jamais pousser à l'acte d'achat mais éduquer, informer, participer à la prévention, au dépistage ou au soin du patient. «Il faut travailler en permanence avec la réglementation pour savoir comment utiliser les études cliniques et comment parvenir à en tirer des «claims». Les nouvelles exigences en termes de transparence - la notion de bénéfices/risques est au coeur de la loi du 1 9 décembre 2011 - nous conduisent à une plus grande vigilance dans le choix des mots, qui doivent être extrêmement clairs et ne donner lieu à aucune mauvaise interprétation », précise Anne-Gaëlle Planterose, directrice marketing France chez GlaxoSmithKline.

Savoir anticiper de trois mois sur le rétro-planning est un des impératifs du travail de marketeur en médication familiale. En effet, toute publicité - du film TV au «stop rayon» en officine doit être soumise à l'examen de l'ANMS (Agence nationale de sécurité sanitaire), anciennement AFFSAPS (Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé). Celle-ci pourra demander des compléments d'informations, donc une deuxième soumission, avant de délivrer ou non son accord, symbolisé par le fameux visa GP (grand public). Par extension, tout élément de communication (packaging, PLV, pages d'un site internet) et toute réactualisation doivent faire l'objet d'un nouveau dépôt. Cette rigidité du cadre réglementaire en matière de santé publique détourne le plus souvent le consommateur des sites de marques, sites vitrines où il ne trouve aucune réponse personnalisée, où il ne peut laisser aucun message, aucun commentaire. Cela l'amène à consulter des sites de santé généralistes (Doctissimo.fr, par exemple) et à s'exprimer sur des blogs.

Une touche de fantaisie

Bridés dans leur créativité, les marketeurs en santé familiale, aidés par les agences de communication et les cabinets de relations presse, s'efforcent de trouver des biais pour faire passer leurs messages, tout en respectant la loi. Comment attirer l'oeil en dédramatisant, apporter une touche de fantaisie et d'expression dans un territoire aussi cadré? Cette recherche a conduit certaines marques (Oscillococcinum, NiQuitin, Strepsils, etc.) à privilégier le traitement graphique dans leurs différents supports de publicité. « Sur une catégorie de produits non aspirationnelle, le personnage dessiné facilite l'identification. Moins lié au réalisme, il donne de la légèreté au duo «problème/solution», qui prévaut. L'homme à l'écharpe - la communication «Petit Prince» - personnage emblématique de la marque Oscillococcinum apparu en 1989, deux ans après la première campagne TV, nous a permis de nous différencier fortement et de véhiculer les valeurs d une marque dépourvue de toute toxicité et utilisable par toute la famille, précise Carole Marty, responsable du développement du pôle ORL des laboratoires Boiron. La communication a joué un rôle-clé pour amplifier la notoriété de ce médicament, qui est passée de 22 % en 1987 à 75 % en 2012. » Le recours au personnage mascotte peut aussi être utilisé de façon ponctuelle pour un événement marquant, comme les 80 ans de Synthol, avec Gaston Lagaffe (cf. page 30). Pour capitaliser sur SyntholKiné, sa marque fille, Synthol a choisi de recourir aux mêmes codes qu'une marque de grande consommation, profitant de toute la palette des outils de communication offerte à des médicaments sans AMM (autorisation de mise sur le marché), tandis que sa marge de manoeuvre est plus restreinte sur Synthol liquide, avec AMM. Rappelons-le, la publicité sur les médicaments adressée au grand public n'est que la partie visible d'une stratégie globale de communication qui intègre désormais une stratégie médias très fine sur chacune de ses cibles. Les professionnels de santé sont systématiquement avertis, par le canal le plus adapté, de la communication faite au grand public. Les marques les plus innovantes proposent déjà des services d'information digitale aux clients. De plus en plus de signaux passent au vert. Toutefois, l'absence de données sur la sécurité du patient liée au digital entretient la frilosité.

Eric Phélippeau

Eric Phélippeau

Eric Phélippeau (By Agency):

« Les médicaments grand public sont tous d'anciens produits éthiques déremboursés. »

L'automédication a le vent en poupe

Les médicaments qui peuvent s'acheter sans ordonnance pèsent peu (à peine plus de 2 millions d'euros) par rapport à ceux prescrits par les médecins (26,7 millions d'euros). C'était pourtant, en 2011, le seul marché du médicament en croissance (+ 1,9 %). Un dynamisme dû en partie au déremboursement d'un nombre croissant de molécules ces dernières années, aux innovations et au développement du libre accès (pratiqué dans 71 % des officines aujourd'hui). Oscillococcinum, Doliprane et Magnevie ont particulièrement contribué à la croissance de ce «marché de marque». Quatre segments se développent: en tête, celui des voies respiratoires (+ 1,5 %), suivi de l'antalgie (+ 6,4 %), des vitamines et minéraux (+ 15,9 %), et des substituts nicotiniques (+ 9,6 %).

Un nom synonyme de succès

L'une des spécificités du travail des agences de communication sur la santé est la création de noms de marque. Il s'agit d'un travail très délicat, qui a un fort impact sur le chiffre d'affaires du produit.
« Historiquement, les médicaments grand public sont tous d'anciens produits éthiques (délivrés sur prescription médicale), rappelle Eric Phélippeau. Déremboursés au fil du temps, sans que leur efficacité pharmaceutique soit remise en cause pour autant et - c'est important - encore prescrits, ces produits vont démarrer une double existence, fruit d'une longue réflexion stratégique. »
C'est ainsi que le nom du médicament n'est pas le même selon qu'on l'achète sur prescription (Vogalène) ou sans ordonnance (Vogalib). Pour capitaliser sur des produits à très forte notoriété, certains laboratoires ont fait le choix de créer un nom pour le nouveau produit éthique (Nuréflex), et de transférer le nom connu du médicament déremboursé au produit grand public (Nurofen). Une troisième solution consiste à rajouter quelques lettres: Efferalgan/Efferalgan Tab, Zyrtec /Zyrtecset Tab, Synthol/ SyntholKiné. Il faut trouver un nom très proche, prouvant une filiation évidente, pour éviter une chute des ventes, qui peut aller de 50 à 90 % de pertes en unités. Il faut savoir qu'un médicament non remboursé est souvent plus cher qu'un médicament sur ordonnance, dont le prix est fixé par l'Etat et auquel la prescription assure un grand volume.

Carole Marty

Carole Marty

Carole Marty, (Boiron).

« La communication a joué un rôle-clé dans la notoriété de la marque Oscillococcinum. »

Humex déploie une nouvelle stratégie

Les grandes marques de médication familiale font, pour la plupart, le choix de développer leur notoriété, ce qui implique des investissements TV prioritaires. Humex, des laboratoires Urgo, première marque OTC (over the counter) avec 9 à 10 millions d'unités vendues par an, n'échappe pas à la règle. Positionnée sur l'ORL, cette marque, née dans les années 60, a réussi, depuis 2005, à s'étendre avec succès au territoire de l'allergie. Longtemps axée exclusivement sur son produit leader, Humex Rhume Jour et Nuit, sa stratégie de communication a évolué depuis fin 2010, comme l'explique Estelle Odet, chef de groupe marketing OTC des laboratoires Urgo. « Un film unique sur notre produit phare ne pouvait plus suffire, car il nous fallait faire connaître l'étendu de la gamme, soit 26 produits, dont cinq destinés à lutter contre l'allergie, devenus leaders en deux ans sur cette nouvelle catégorie. Nous avons donc produit des films satellites courts et effectué des rotations. » Changement de ton aussi pour le film pilier de la campagne. « Humex est une marque de proximité, qui crée du lien avec les patients et les pharmaciens, ses partenaires. Nous avons donc voulu injecter de l'émotionnel, pour une communication plus chaleureuse, qui met en scène un papa racontant une histoire à son petit garçon. » Un film dont l'efficacité semble acquise, puisqu'il a contribué à faire monter à 90 % le taux de notoriété d'Humex parmi les marques de traitement contre le rhume.
Pour soutenir le développement d'Humex sur le segment de l'allergie, Estelle Odet a choisi deux leviers: la presse - via des publi-rédactionnels informatifs dans Prima et Femme Actuelle, la presse santé et la presse jardin - et le digital. « J'ai imaginé une application, i-Pollen, téléchargeable gratuitement par les personnes sujettes aux allergies, explique-t-elle. Une aide pour adapter ses activités quotidiennes en fonction des pics de pollen et de leur géolocalisation. Cette nouveauté a été possible grâce à deux partenaires, le RNSA (Réseau national de surveillance aérobiologique) et Météo France. Mis en ligne en avril 2011, i-Pollen a largement dépassé ses objectifs, avec 40 000 téléchargements, bien au-delà des 10 000 prévus. Le nom associé - «i-Pollen, des laboratoires Urgo», au lieu de «i-Pollen, d'Humex», initialement prévu, mais qui a été refusé par l'AFFSAPS - est pourtant un facteur limitant. J'espère que cela est momentané. En effet, la position des autorités de santé pourrait évoluer. »

Fanny Grégoire

S'abonner
au magazine
Se connecter
Retour haut de page