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Opinion sur rue

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On savait le consommacteur avide de pouvoir. On connaissait l'extraordinaire potentiel du Net dès qu'il s'agit de mettre directement en relation des clients entre eux. Avec les sites d'opinion, Dominique Beaulieu, président fondateur d'Affiniteam, nous incite à redécouvrir les vertus de la vox populi.

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Avant d'effectuer un achat important, on peut parcourir des magazines spécialisés ou consulter des vendeurs. Mais ceux-ci ne sont pas toujours disponibles, et peuvent être suspectés de partialité envers une marque en promotion, généreuse en bonus incitatif. A la nouvelle Fnac du centre commercial Parly 2, au rayon des téléphones mobiles, les seuls vendeurs qui se bousculent pour vous accueillir arborent discrètement un badge trahissant leur appartenance "Bouygues Telecom" ou "SFR". Comment dès lors acheter en confiance ? Alors, un peu désorienté, on se retourne naturellement vers sa famille, ses amis ou ses collègues de bureau. L'un d'eux sera forcément roi du bricolage, tel autre as de l'électronique. Mais, même si vous êtes bien entouré, lequel d'entre eux aura écouté le dernier disque de Saïan Supa Crew ? Pour combler ce vide ainsi que vos désirs, les sites d'opinion mettent en relation des internautes, en phase d'achat, avec d'autres susceptibles de les aider à faire le choix le plus adapté à leur situation. En mettant à profit le bouche à oreille, ces sites encouragent, classent et diffusent leurs avis sur des produits et services aussi divers que des fournisseurs d'accès internet, le dernier film ou CD à la mode, le nouveau baladeur MP3. Le site les pousse parfois à renseigner des critères objectifs (voir la grille Ccomment), mais le plus souvent il s'agit de critères subjectifs, et c'est ce qu'on vient y chercher. Les éditoriaux prennent la forme de billets d'humeur rédigés avec conviction. Ciao revendique 2 millions de témoignages en Allemagne, et 140 000 en France, rédigés par 70 000 personnes inscrites. Les critiques ne se substituent pas aux avis d'experts, mais apportent un complément pratique issu de l'expérience réelle. Déposez votre avis, quelle qu'en soit la teneur. L'important, c'est d'apporter une valeur ajoutée, tirée de votre expérience autour des voyages ou de la Hi-Fi. Le hit parade de Ciao, selon son président France, Nicolas Metzke, « varie selon qu'il s'agit de la rédaction d'avis (apanage des produits culturels : livres, CD, films), ou de la lecture (dans ce cas, la palme revient dans l'ordre aux assistants personnels, aux voitures puis à l'informatique) ; on compte en moyenne 6 lectures d'avis sur les produits, ces chiffres grimpent à 10 pour l'informatique, et ont atteint jusqu'à 700 consultations, comme l'avis sur le tout récent PDA (Personnal Digital Assistant) e-Visor de Handspring ».

De l'évaluation au passage à l'acte















Grille d'évaluation de Ccomment

D'après Forrester Research, 70 % des internautes cherchent des informations sur les produits avant de se décider à les acheter. To Luna met en avant de son côté CBS/Marketwatch, d'après qui 78 % des internautes recherchent de l'information avant de prendre leurs décisions d'achat (1999). Selon Ciao, « le consommateur recherche toutes sortes d'informations sur le produit (fiches produits, bancs d'essai, systèmes expert, modalités de livraison) et il négocie davantage les prix en s'appuyant sur les shopbots (shopping robots, ou encore assistants d'achat), les ventes aux enchères ou les achats groupés ». Le succès des forums produits et des tests produits, ainsi que l'abondance des pétitions en ligne, témoignent d'une implication véritablement plus forte du consommateur dans la création et la fabrication des produits.

Comment ça marche ?


Sur un site d'opinion, on peut tour à tour : Témoigner : le consommateur rédige son avis sur un produit ou un service qu'il connaît. Il précise les avantages, les inconvénients et, d'une manière générale, toute information qu'il juge utile. Consulter : le consommateur qui recherche un avis sur un produit ou un service clique sur la rubrique qui l'intéresse et consulte les témoignages déposés par les utilisateurs. Échanger : il est gratifiant de savoir que l'avis déposé permettra à un autre membre de prendre une bonne décision d'achat. Chacun peut à la fois donner, recevoir et converser, c'est ce qui est censé lier la communauté. Evaluer : en devenant membre, les internautes peuvent également noter les avis déposés par d'autres. Cette évaluation par la communauté permet de hiérarchiser l'information communiquée : les avis jugés les plus pertinents sont mis en avant, ainsi que ceux qui sont contrôlés par l'équipe d'experts permanents. Les contributeurs affichés, bien notés ou souvent lus, sont rémunérés, mais leur moteur réside davantage dans leur réputation. Le précurseur américain epinion a fait des émules : Ccomment, Ciao, Consuvote, Dooyou et To Luna se partagent le gâteau français. Ces sites s'articulent à peu près de la même manière : une quinzaine de rubriques thématiques, la liste des produits ayant recueilli le plus d'avis, la mise en avant d'experts reconnus comme tels par les autres internautes, la liste des derniers produits évalués, un formulaire d'adhésion permettant de lire des avis, un autre pour en émettre. Si le modèle se veut universel, l'ancrage local s'impose. Nicolas Metzke, président France de Ciao, cite « l'exemple de la Mercedes classe A, considérée comme une deuxième voiture en Allemagne pour femmes au foyer, alors qu'elle incarne plutôt en France une voiture de luxe. Les jugements seront obligatoirement fonction de l'attente et de l'usage qui est fait du produit ».












Nicolas Metzke (Ciao France)

La différence entre sites réside dans l'accent qui est mis sur tel ou tel aspect. Ciao a misé dès le départ sur la fonction "guide d'achat", évitant les thèmes socioculturels, les débats politiques, le chat, pour se concentrer sur la consommation. Certains revendiquent au contraire une filiation consumériste. Dooyoo en a fait son slogan : "l'opinion fait la force". Thuyly Lê, P-dg fondateur de To Luna, organise à la demande des fournisseurs des campagnes de tests à la faveur du lancement d'un nouveau produit. Il suffit de faire acte de volontariat pour participer aux tests, et d'appartenir à l'échantillon "cible" recherché. Une fois la sélection de 100 ou 200 personnes effectuée, les heureux élus reçoivent gratuitement le produit chez eux, le conservent définitivement, et renseignent un questionnaire en ligne, qui sera retraité de façon anonyme et revendu aux sociétés concernées. Pour éviter les tricheries, on croise les données, afin qu'un internaute ne soit pas tenté de changer de sexe ou d'âge pour être retenu dans le panel. Les membres de To Luna s'inscrivent ainsi pour tester des biscuits, du thé, du dentifrice, du soin après rasage. To Luna organise aussi des tests de perception concernant la traduction d'un titre de film américain en Français, ou des spots publicitaires : le site propose plusieurs choix, et recense les évocations spontanées liées à tel titre ou tel slogan. Cette technique a permis de tester des sites comme par exemple Le Journal du Net, Kelkoo (guide d'achat), ou encore Lucky Village (site de divertissement) : la clarté de leur offre, leur design, leur facilité de navigation. Sur To Luna, les rubriques les plus actives sont la beauté, l'alimentation, l'image et le son, le divertissement. La population féminine est surreprésentée, et dès qu'il s'est agi de tester des produits de beauté, le bouche à oreille a parfaitement fonctionné : 3 tests par semaine ont rassemblé chacun 1 500 inscrits. Le taux de retour annoncé de 85 % des questionnaires est excellent, sans qu'il y ait pourtant d'incitation liée à ce remplissage (en effet, le produit leur appartient déjà). Tout marketeur rêve d'une mise en ligne annoncée de 10 jours.

Kestenpense ? Demande à ton pair !


L'implication est un dénominateur commun des sites d'opinion. Tous les sites, sauf Ccomment, invitent les internautes à juger les avis de leurs pairs. La mécanique communautaire fonctionne à plein rendement, et entretient les signes de reconnaissance. Les Lunars gagnent des Lunies sur To Luna. Ces 45 000 volontaires ont réclamé plus d'espace pour s'exprimer ! Tout le monde se connaît. Un "dooyoo gooroo" (un internaute expert très actif) dispose d'une page web de présentation. Les "Ciao Stars" sont présentés sur la page d'accueil. Snkukai20 est un des 10 experts sélectionnés qui tournent sur le site. Sur la partie publique de To Luna, consultable par tous, le visiteur indique ses hobbies, ses passions, met son CV et sa photo en ligne, et peut devenir le membre du jour. La nécessaire régulation n'empêche pas une liberté de ton, recherchée et entretenue. « Chez Ciao, il n'y a pas de filtrage, affirme Nicolas Metzke, l'avis est publié, charge au Category Manager, qui anime et contrôle la qualité, de supprimer le cas échéant par contrôle a posteriori un avis jugé décalé par le ton ou le jugement, ou simplement inutile ».

Personnalisation oblige


Dooyoo et Ccomment ont mis en place un service d'alerte qui vous tient au courant de toute nouvelle opinion sur un produit qui vous intéresse. Véritable tableau de bord du Lunar, My Luna permet à l'internaute de personnaliser To Luna en fonction de ses goûts. Avec My Luna, l'internaute se fait connaître, sélectionne les tests qu'il préfère, consulte la liste de ses avis ainsi que leurs notes, contrôle son compte de Lunies, choisit ses membres favoris. Ciao lance un outil interactif ce mois-ci (en avant première sur http : //www.ciao-ems.com/) : un accès EMS (e-marketing solutions) propose aux entreprises adhérentes de mettre en ligne des publi-rédactionnels sur la société et ses produits. Grâce au dispositif d'"Inform feed-back", celles-ci pourront ensuite converser en one-to-one avec les internautes. Ainsi, un internaute qui rédige un avis sur un de ses produits coche une case qui transmet ou non son avis au fabricant. Ce dernier disposera alors d'un droit de réponse. L'internaute pourra aussi choisir d'échanger en direct. C'est une manière pour le fournisseur de contrôler une communauté, ou l'évolution d'un débat qui pourrait dégénérer.

La tendance ?


La concurrence bat son plein dans ce domaine, mais semble pour l'instant réserver un espace à chacun des protagonistes, qui revendiquent des adhérents fidèles. Les évolutions porteront à l'avenir sur une intégration du processus d'achat dirigée vers l'aval. Choisissez le produit le plus adapté à vos besoins, trouvez ensuite le meilleur endroit pour l'acheter. On observe l'alliance entre les sites d'opinion, plutôt orientés témoignages, et les comparatifs d'achats, axés, quant à eux, sur les prix et la disponibilité, tels Dooyoo et Kelkoo, Ciao.com et Buycentral qui se sont alliés en Allemagne, ou encore Thuyly Lê, P-dg fondateur de To Luna, qui s'est rapprochée de Clust avant sa cessation d'activité. Les sites d'opinion incarnent une nouvelle manière de lâcher la bride aux consommateurs pour mieux les contrôler. En effet, on se souvient du préjudice que peuvent causer des sites francs-tireurs comme Untied.com (jeux de mots avec United Airlines). Une passagère, sans doute contrariée d'avoir hérité d'un café froid à bord d'un avion de cette compagnie, a ouvert un site de réclamations qui fédère aujourd'hui des centaines de récriminations, classées par thèmes (hôtesses désagréables, retard de l'avion, repas exécrables), et dont se repaissent des avocats en mal de plaidoiries. Fédérez vos clients avant qu'ils ne s'en chargent eux-mêmes, ou traquez le début d'une polémique sur des regroupements spontanés de consommateurs, groupes de discussion ou sites d'opinion.

Les sources de revenus


Au coeur des mouvements de consommation, les sites d'opinion multiplient leurs sources de revenu : la vente de contenu éditorial (Cf. les rubriques Actualité Lunactu, ou l'interview de star Lunastar), un pourcentage sur les ventes effectuées par l'intermédiaire du site (sauf To Luna, qui se veut très discret sur ce point pour préserver une indépendance affichée), des bannières de publicité (Dooyou), des tests consommateurs (To Luna), des enquêtes sur des panels ciblés (un panéliste peut rapporter 5 000 F/an), la vente d'une base comportementale (comme Ciao, Dooyou s'en défend), enfin le droit de réponse payant donné aux fournisseurs (Ciao).

 
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Dominique Beaulieu

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