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Merlin au pays des marketeurs

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A force de clinquant, le marketing semble avoir épuisé sa capacité d'émerveillement. Désormais, le consommateur ne se contente plus d'une offre pléthorique et standardisée.

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Le marketing a joué un rôle majeur dans la mise en marche de la machine à rationaliser le monde. Il a mis à la portée de chaque consommateur une offre standardisée, optimisée et abondante. A travers sa métaphore de la «macdonaldisation» du monde, le sociologue américain George Ritzer (1996) a décrit un système d'offre destiné à entretenir la demande pour une offre efficiente, mesurable, prévisible et contrôlable. Un monde sans surprises: le moins de déconvenues possible, mais pas beaucoup de bonnes surprises non plus... Dans cet univers rationalisé, il ne reste plus au consommateur qu'une seule source de gratification: accumuler toujours plus de ces biens standardisés. Comme l'écrira Umberto Eco, le « toujours plus » devient la principale motivation de la consommation. Du moins jusqu'au moment où le consommateur se lasse. Le désenchantement peut donc se concevoir comme la conséquence inattendue d'un marketing qui a - trop - bien réussi.

Marc Filser (enseignant):

« Le désenchantement peut se concevoir comme la conséquence d'un marketing qui a bien réussi. »

Si l'hypermarché est aujourd'hui confronté au besoin de réenchanter son offre, c'est parce qu'il a perdu l'image de caverne aux trésors qui lui était associée à sa création. Il est devenu un vaste espace logistique de mise à disposition rationnelle des biens. Il n'y a plus de place pour la surprise, pour la cueillette symbolique de gratifications à travers l'accès aux produits. Lorsque Naomi Klein reprochait au marketing de tendre vers le «zéro choix», elle mettait en évidence cette conséquence paradoxale: le marketing a tellement bien réussi dans sa mission séculaire d'optimisation de la relation entre le producteur et l'acheteur qu'il a effacé la magie qui caractérisait la sphère marchande du temps des marchés ou des boutiques - lorsque même le prix de vente demeurait une inconnue pour le chaland... La première réponse des praticiens du marketing à ce constat est logiquement de solliciter à nouveau le principe du « toujours plus ». Comme le montre encore George Ritzer, le système d'offre va tenter de recréer de la surprise à travers la construction d'une offre superlative. Les paquebots de croisière géants, les «mega malls» de Dubaï et les casinos de Las Vegas s'inscrivent dans cette volonté de créer du spectaculaire par l'accumulation de produits. Tant que cette offre se limite à un petit nombre de produits, ceux-ci connaissent un réel succès. Les affaires se compliquent si l'on veut industrialiser ce modèle et le reproduire à une grande échelle - ce qui apparaît comme la conséquence logique du principe de «macdonaldisation». Si le spectaculaire est reproduit à chaque coin de rue, il perd son caractère exceptionnel, tandis qu'il reste très difficile à rentabiliser en raison de ses coûts d'exploitation exorbitants.

L'Association française du marketing (AFM) est la «référence scientifique en marketing» en France et regroupe plus de 600 chercheurs. LAFM propose, avec cette rubrique, de se centrer sur quelques thématiques, d'en dresser l'état et de clarifier les concepts. www.afmmarketing.org.

Une voie alternative existe: celle du réenchantement ordinaire, dont le consommateur va trouver les ingrédients dans les épisodes minuscules de sa vie quotidienne, analysés par le sociologue Michel de Certeau (1990) et par des chercheurs en marketing comme Carù et Cova (2006). La renaissance des marchés, la nouvelle popularité du commerce de proximité, mais aussi le succès des réseaux sociaux ou des sites «customisation» sur Internet, trouvent une explication dans ce besoin qu'éprouve l'individu de redécouvrir des sources de gratifications qui ne soient plus exclusivement tributaires de la composante marchande de la relation.

En se réappropriant une partie de l'acte d'achat, le consommateur brise la spirale de la rationalisation et mobilise des ressources nécessaires au retour à l' émerveillement. Cette évolution suggère une interrogation pour les praticiens du marketing: comment l'entreprise peut-elle mettre à la disposition du consommateur des ressources, tangibles mais aussi symboliques, qui lui permettront d'accéder à la surprise, à la découverte et à la construction de son identité? Le thème du réenchantement de la consommation peut n'être qu'une mode. Il constitue aussi une occasion de s'interroger sur la contribution de l'offre de l'organisation aux projets de construction de soi du consommateur.

Références: A. Carù et B. Cova: How to facilitate immersion in a consumption experience.
Michel de Certeau : L'invention du quotidien.
George Ritzer: The McDonaldization of Society. Pine Forge Press, Thousand Oaks , Ca.

 
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Marc Filser

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