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Les packagings sortent le grand jeu

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Traditionnellement utilisés à Noël, les packagings événementiels sont aujourd'hui lancés tout au long de l'année. Une manière de se démarquer dans des linéaires saturés et banalisés. Mais à manier avec précaution.

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Emmanuel Greiner (Henkel) :

« Le fait de créer des collectors nous permet de bâtir une histoire auprès de la distribution. »

Une bouteille de Champagne enserrée dans un corset Jean Paul Gaultier, un liquide vaisselle aux allures psychédéliques, une bouteille d'eau en forme de goutte... Les packagings événementiels investissent de plus en plus les rayons de nos grandes surfaces. Ils étaient au départ principalement réservés aux alcools, parfums et chocolats aux périodes de Noël ou de la Saint-Valentin ou encore au tabac qui utilise ce procédé pour contrebalancer son absence de présence dans les médias. Petit à petit, ces séries limitées ont séduit tous les secteurs de la grande consommation, de l'alimentaire à la cosmétique en passant par les détergents. Et l'on voit désormais des collectors orner les linéaires tout au long de l'année ; à l'occasion d'anniversaires de marques, d'événements sportifs, de changement de campagne ou d'une période de fêtes commerciales.

« À l'heure de l'ultra-industrialisation et de l'individualisation, les consommateurs ont une attente déplaisir et d'unicité très forte. Le packaging événementiel revêt une fonction miroir, dans le sens où tout ce qui m'entoure doit être beau et conçu pour moi », avance Frédéric Rossi, directeur stratégies d'Extrême Paris. Ainsi, certaines agences n'hésitent pas à préconiser à leurs clients ce type de packaging aux multiples vertus : accélération des ventes, image de modernité, transition vers une nouvelle image, montée en gamme, animation du linéaire... « Remède antiroutine, le packaging événementiel instaure une relation plus intime avec les afficionados de la marque. Il participe en outre à renforcer les liens de fidélité, mais aussi incite des nouveaux clients à essayer le produit », explique Fabrice Peltier, président de l'agence de design P'Référence. Et de citer la limonade Lorina, dont la bouteille sérigraphiée de bulles psychédéliques a été écoulée à plus de 400 000 exemplaires en un mois. Un succès. Même si certains collectors sont de véritables accélérateurs de vente, « ce ne sont pas des séries sur lesquelles on gagne beaucoup d'argent », avertit Aymeric de la Fouchardière, directeur marketing de Wattwiller. Tout dépend de l'objectif que la marque s'est assignée.

« Il faut déterminer dès le départ s'il s 'agit de faire du business ou de l'image », précise Fabrice Peltier. Car si le coût d'un “sleever” apposé sur le packaging d'origine reste bon marché, le prix peut très vite grimper dès lors qu'il faut créer un nouveau moule. Et au-delà même du prix du packaging, « c'est surtout un coût important en termes d'hommes, de temps et de logistique », souligne Aymeric de la Fouchardière. Mais le bénéfice recherché est souvent ailleurs. « Il faut penser le coût de ce procédé en termes d'investissement événementiel et se donner les moyens de la réussite : si ça ne donne pas un plus à la marque, cela n'a pas d'intérêt », précise Laurence Bethines, planneur stratégique de Team Créatif. « C'est vrai que le coût est élevé, confirme Cyril Charzat, directeur marketing d'Heineken Entreprise. Mais pour notre marque Desperados, par exemple, nous ne faisons pas forcément de publicité classique. Depuis sa création, nous nous sommes associés avec un collectif d'artistes, “9e concept”, qui réalise chaque année des séries estivales limitées. Celles-ci se vendent certes mieux que les bouteilles classiques mais c'est surtout un formidable levier d'animation. Nous ne recherchons pas la rentabilité à tout prix, nous sommes dans la construction d'image. »

Et pour donner à leur marque une image plus premium et branchée, les créateurs sont à la mode. Des designers de renom comme Andrée Putman, Philippe Starck, Ora-ïto ou couturiers célèbres tels que Jean-Charles de Castelbajac ou Christian Lacroix, s'associent régulièrement avec des marques de spiritueux pour des objets d'exception. Des agences de design tels qu'Extrême Paris ou B&G Design favorisent ainsi la rencontre entre une marque et des créateurs. « Elles ont envie d'avoir une sorte de garantie de retour sur investissement, garantie que peut apporter la notoriété de personnalités. Ce qui est déplus en plus intéressant, c'est que l'on va aujourd'hui hors des sentiers du design pour chercher des personnalités issues d'autres milieux qui ont des affinités avec la marque », affirme Cécilia Tassin, planneur stratégique de B&G Design. L'an dernier, Gervita, qui souhaitait rajeunir son image, s'était ainsi associée avec succès avec Ora-ïto. Le designer avait créé une cuillère spécifique, éditée à 50 000 exemplaires et destinée à “sublimer la dégustation” du produit. Résultat : des retombées presse par dizaines et une progression des ventes de 6 % sur le mois de l'opération. Grâce à son association récurrente avec des grands couturiers, comme Lacroix, Lagerfeld ou Kenzo, Canderel a également réussi un pari audacieux : glamouriser et valoriser la petite boîte... et doper ses ventes de sucrettes de 30 % ! Mais attention, le respect de “l'ADN” de la marque reste le maître mot. Évidemment, les codes graphiques ou chromatiques peuvent être bousculés d'autant plus facilement que la marque est aisément identifiable. En outre, l'adossement à une personnalité en osmose avec les valeurs de la marque peut se révéler fructueux.

A Noël ou à Pâques, difficile pour les chocolats de faire l'impasse sur les packagings événementiels.

A Noël ou à Pâques, difficile pour les chocolats de faire l'impasse sur les packagings événementiels.

Mais attention à ne pas phagocyter l'image de marque. Il s'agit de rester proche du produit et de l'univers de la marque, tout en sachant bien quelle valeur on a envie de faire passer. « Il y a un peu de snobisme dans le fait de vouloir la signature d'un créateur. Parfois, on finit par ne plus savoir qui fait quoi alors que le packaging événementiel doit raconter une histoire et mettre la marque en avant », avertit Sophie Romet, directrice générale de Dragon Rouge. Cas d'école : la bouteille de Champagne corsetée par Jean Paul Gaultier. Superbe, mais dès qu'il s'agit de retrouver le nom de la marque qui s'est offert les services du couturier (Piper Hiedsieck), c'est l'amnésie. Elle est devenue la création du styliste.

Laurence Bethines (Team Creatif) :

« La série limitée valorise le consommateur qui se sent “élu” et a plaisir à acheter. »

Gérer la rareté

Pour redynamiser sa marque Mir Vaisselle et se différencier de la concurrence, Henkel a choisi de lancer un concours auprès de deux écoles de design (l'Ensaama Olivier de Serres et l'ECV) pour réaliser trois flacons diffusés à 500 000 exemplaires en GMS. Sur 2 000 projets proposés, 40 ont été retenus par un jury conduit par Ora-ïto, 12 finalement sélectionnés et soumis au verdict des consommateurs sur un site internet dédié. « Nous avons préféré faire confiance à des étudiants car notre marque porte des valeurs de proximité et de sympathie qui n'auraient pas été véhiculées si nous avions choisi un designer connu », explique Emmanuel Greiner, directeur marketing entretien de la maison. Restant dans la cohérence, Henkel mettra en vente les trois packagings retenus au même prix que les produits standard. Mais « le consommateur est prêt à payer davantage quand on lui fait plaisir », affirme Laurence Bethines (Team Créatif). Bien sûr, cela dépend du plus produit que l'on apporte. Difficile d'augmenter le prix de cotons démaquillants ornés de simples motifs pop (Demak'up 2005), mais attention à ne pas détruire la valeur de la série limitée. « Dans certains cas, si l'on n'augmente pas le prix, c'est comme si l'on faisait de la promo et le consommateur ne comprend plus rien », soutient Jean-Jacques Urvoy, consultant et coauteur du livre Packaging, paru en début d'année aux éditions Eyrolles.

Mais la question majeure reste la gestion des quantités. Tous s'accordent sur le fait qu'il faut donner une impression de rareté. De frustration. « Il faut que le consommateur se dise que s'il ne le prend pas, il rate quelque chose, que c'est une bonne affaire », affirme Fabrice Peltier. « Plus la série est limitée et plus cela marche, renchérit Frédéric Rossi. Il faut créer un packaging que le consommateur croira conçu pour lui. » Rien de plus destructeur pour la marque que des packagings de Noël encore dans les rayons à Pâques ou que l'on retrouve à prix cassés dans les solderies. Rien n'interdit donc de sortir un packaging tous les mois, à condition que l'on ne puisse retrouver le précédent nulle part ou presque. Voire, si possible, plus cher sur eBay ou PriceMinister...

Les règles d'or du packaging événementiel

Respecter les valeurs de la marque

Ne pas cannibaliser ses produits standards

Apposer un message porteur des valeurs de la marque

“Nommer” le packaging comme “la goutte d'eau” d'Evian, le “lingot” de Ballantine's ou le “Lapin” de Lindt

Appliquer le plus souvent une augmentation de prix pour que le consommateur s'y retrouve

Raisonner avec les packagings standards, en tenant compte de l'univers de vente et en travaillant un plan de communication globale

Source : Jean-Jacques Urvoy, consultant.

Communiquer à 360°

Aussi, même si les packagings événementiels permettent de dynamiser les linéaires, « les distributeurs ne sautent pas au plafond dès qu'on leur présente une bouteille festive, prévient Aymeric de la Forchardière (Wattwiller). Certains en font une vraie stratégie, comme Monoprix ou Le Bon Marché. D'autres affirment que cela ne se vend pas et qu'il leur reste chaque année des quantités d'invendus... ». Là encore, tout dépend de ce que propose l'annonceur. À Noël, le packaging événementiel est ainsi devenu la norme dans les linéaires. « C'est ce que les gens ont envie d'acheter à ce moment-là. Si on ne le fait pas, on risque de ne pas vendre », soutient Oriane Tristani, directrice associée de Landor, cabinet de design. Mais le reste de l'année, la série limitée se doit de raconter une histoire et de se mettre en scène.

Les distributeurs restent friands d'animation par PLV ou par des démonstratrices. Et surtout de la communication en amont, soit par des campagnes de publicité, soit par le buzz et les retombées presse. Autre technique : l'exclusivité. Certaines marques réalisent ainsi des collections ultralimitées et destinées uniquement à être vendues chez un seul distributeur. Le summum du genre étant Colette. Mais Monoprix, Le Printemps, Les Galeries Lafayette ou Le Bon Marché sont aussi très prisés. En 2004, Procter & Gamble sortait son Ariel Style revu et corrigé version rock par Corinne Cobson, uniquement chez Monoprix. En 2006, le Degraiss'Boy (Mir) orné d'un collier Swarowski ne se dénichait quant à lui qu'au Bon Marché. Plus grand public, Lesieur a réalisé pour ses huiles d'olive des versions exclusives de ses séries limitées pour un distributeur qui souhaitait avoir un modèle spécial du packaging réalisé pour l'été.

Série limitée de série limitée... La mise en abîme peut faire peur. À force de multiplier les collectors, tuera-t-on le procédé ? On est encore loin de la saturation. Certains packagings événementiels récurrents sont attendus des consommateurs, comme des objets cultes ou tout simplement comme des cadeaux. Et grâce aux progrès de la logistique, le nombre de secteurs intéressés pourrait être augmenté, à l'image des produits frais, encore frileux sur le sujet au vu des contraintes de conditionnement. Certaines marques, comme Pepsi aux États-Unis, envisagent d'ailleurs de multiplier la rotation de leur packaging jusqu'à 35 emballages différents chaque année ! De quoi satisfaire les consommateurs zappeurs, avides de nouveauté et d'unicité.

 
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BEATRICE HERAUD

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