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Les nouvelles frontières de l'international

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Toujours envisagé comme un aboutissement, le poste de patron du marketing à l'international subit les effets des tensions économiques, contraint de relayer des organisations de plus en plus centralisées.

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Dans les pratiques d'évolution professionnelle des responsables marketing, la direction internationale fait figure d'aboutissement, en tout cas d'objectif de carrière. Malgré la légitime appropriation de cette logique, beaucoup doivent aujourd'hui réviser leurs ambitions. « Le marché du marketing est calamiteux et, pour les postes à l'international, c'est pire », assène Pierre-Emmanuel Dupil, directeur chez Michael Page. Les CV déposés auprès des consultants de la société de recrutement attendent souvent plusieurs mois avant de trouver une offre susceptible de satisfaire les candidats. A 44 ans, une femme bardée de diplômes et n'ayant pas à rougir de son parcours professionnel (marketing international d'une ligne de produits cosmétiques depuis New York, marketing international d'une grande marque de lingerie) aura attendu un an avant de trouver un poste. En l'occurrence, l'un des deux seuls sur le marché susceptibles de ne pas dévaloriser son capital métier. Et Pierre-Emmanuel Dupil d'insister: «Récemment, j'ai fait passer une petite annonce pour ce type de poste. J'ai reçu 400 CV, dont 150 très ciblés. »

Des postes chers à forte variabilisation


Une direction marketing à l'international fait partie des postes “lourds” d'un organigramme. Lourds et chers. « On est dans des niveaux de salaires situés entre 140 KE et 200 KE », précise Pierre-Emmanuel Dupil. Rien que pour le fixe. Car, à ce niveau fonctionnel et opérationnel, la norme est à une forte variabilisation : à hauteur de 40 %, parfois plus de 60 %. « Avec les charges, un directeur marketing à l'international peut facilement coûter 500 000 euros à l'entreprise. » Les places sont rares et convoitées. Et l'on a vu récemment de grandes entreprises sacrifier ce type de poste sur l'autel d'une rentabilité sérieusement mise à mal par la récession. « Le marketing est une fonction de support, peu productive, peu rentable. C'est là que les entreprises vont tailler quand les choses vont mal. Dans ce cas, c'est souvent la direction générale qui reprend le flambeau », poursuit le consultant de Michael Page. Les salaires peuvent être valorisés au prisme du cursus commercial du candidat et de l'objectif “business” assigné à la mission. « Quand une entreprise décide de mettre à la tête du marketing un homme de business, elle aligne son salaire sur celui d'un directeur commercial au même niveau hiérarchique. Et un directeur commercial est toujours mieux payé qu'un directeur marketing », résume, du haut de son coussin annuel de plus de 460 000 euros, le directeur marketing à l'international d'une firme de 150 000 salariés. En quittant la direction européenne d'une catégorie de produits chez Unilever Bestfoods pour diriger depuis septembre dernier sa filiale belge, Bruno Witvoet a franchi un palier en termes de salaire. « Pas significatif », nuance-t-il. Le nouveau chairman émarge en moyenne à 230 - 300 000 e. Avec un variable qui peut, sur le papier, représenter jusqu'à 60 % de ses revenus. « Une forte variablisation est très motivante. Plus que l'augmentation du fixe. » Si la nomination à ces postes sanctionne souvent un parcours performant, il y a autant de chemins que d'élus. Joël Rubino ne doit pas son parcours à une formation académique. A 44 ans, il est depuis trois ans directeur marketing Europe de l'Ouest d'IBM, encadrant en direct 150 personnes, dont dix directeurs marketing, et gérant des budgets importants. 45 millions d'euros pour les seuls investissements publicitaires France. Plus du double pour le budget marketing global. Entré chez IBM il y a une vingtaine d'années, ce titulaire d'un DUT génie mécanique est vite repéré pour son goût du marketing. Nice, Paris, Montpellier, Paris à nouveau, New York et aujourd'hui Paris : « J'ai progressé durant vingt ans dans l'entreprise en exerçant des métiers très différents. » Créateur d'un centre de compétences européen, patron du multimédia pour la France, manager du marketing pour toute la branche logicielle, patron du marketing monde sur les solutions Windows et lancement de Linux. « New York, ça a été formidable. Mais après trois ans, on souffre du hiatus culturel, de ce sens exacerbé de la discipline des Américains, qui manquent, à mon sens, de créativité. » Aujourd'hui, en tant que patron du marketing pour l'Europe de l'Ouest, Joël Rubino est le seul représentant des équipes marketing au comité de direction d'IBM France.

La diversité des expériences, facteur de légitimité


Les entreprises vont privilégier le recrutement interne de profils ayant exercé des métiers divers et engrangé une connaissance élargie de l'entreprise. Opérationnalité oblige, les compétences commerciales sont fortement appréciées. François Bornibus, vice-président Europe marketing et stratégie d'HP, explique en partie sa nomination par son back ground commercial. « Le budget marketing chez HP comme partout ailleurs est serré. Le marketing est trop souvent considéré comme une activité secondaire en comparaison de la vente. L'entreprise veut changer tout ça, en insufflant plus de culture business dans le marketing. » Même approche chez Total. Dans le groupe pétrolier, on entre en marketing après avoir fait ses classes dans d'autres métiers. Généralement à des fonctions commerciales, si possible terrain. « Les directeurs marketing international chez Total travaillent dans un environnement matriciel. Ils n'ont pas forcément une forte autorité hiérarchique, mais doivent fédérer dans une organisation complexe des fonctions, des compétences et des cultures différentes », explique Muriel Meilhon, chef de projet recrutement. Christine Halliot, 46 ans, nommée en juin 2003 directeur marketing lubrifiants Europe, a toujours travaillé chez Total. Ingénieur en informatique, elle a notamment dirigé le marketing des stations-service, mais aussi les études internationales, avec un passage de deux ans aux ressources humaines comme responsable de la formation. « Dans les grands groupes internationaux, les carrières à fort potentiel ne relèvent pas du hasard », affirme Pierre-Emmanuel Dupil. Très tôt, les profils sont repérés et identifiés selon leurs “potentiels”. Un tel sera vite repéré comme “éligible” à la DRH, à la direction commerciale, voire à la direction générale. Le conjoncturel peut s'avérer plus radicalement déterminant, a fortiori pour la donne internationale. Président de Mattel France, Hervé Parizot a été adoubé en septembre dernier des fonctions supplémentaires de président “Northern Europe”, un poste créé pour lui dans une redéfinition du tracé organisationnel du groupe. Ce poste, il le doit aux effets en chaîne d'une première décision au niveau du siège, lorsqu'un beau jour le directeur de l'international en Californie, en charge de la business unit “garçons”, se voit confier en sus la business unit “filles”. Trop pour un seul homme. Du coup, l'international échoit à un tiers. Mais la direction Europe, exercée en parallèle à ce poste désormais exclusivement dédié à l'international, perd de sa justification. Le directeur Europe est débarqué. Et le chairman de la filiale française se voit confier les rênes d'une nouvelle présidence recouvrant le Benelux et les pays nordiques. « Ils voulaient me donner une expérience internationale. C'est un passage obligé pour aller au siège », avance Hervé Parizot. De fait, s'il vient couronner une carrière marketing, l'international ouvre les portes vers des responsabilités fonctionnelles dans les plus hautes sphères. Et ce, assez rapidement. « Tous les deux, trois, quatre ans maximum, l'entreprise va provoquer l'évolution des cadres susceptibles d'occuper ce niveau de responsabilité. C'est une règle dont on sait qu'elle est saine pour les deux parties », remarque Pierre-Emmanuel Dupil. La phase d'apprentissage ne doit pas dépasser deux ans, la phase de consolidation pas davantage. Lorsqu'on les interroge sur leurs perspectives d'évolution de carrière, les intéressés formulent des hypothèses assez proches. « Je peux prendre une responsabilité européenne, ou bien la direction d'une ligne technique au niveau mondial », imagine Joël Rubino. Et la direction marketing Europe ? « Trop tôt. Il faudra d'abord prendre en charge une gamme de produits. »

Tremplin pour la direction générale


La linéarité des progressions subit plus ou moins d'aléas selon l'organisation des groupes à l'international. En 1988, à 26 ans, après avoir passé deux ans dans le Connecticut comme chef de produit, René van Duijnhoven est nommé pour trois ans patron de la filiale kényane de Beiersdorf. Aujourd'hui directeur marketing France, il envisage « le retour à une direction locale comme l'une des pistes plausibles d'évolution ». La logique interne appelle deux orientations possibles en termes de progression de carrière. Primo, la direction marketing monde d'un groupe de catégories depuis le siège. Perspective intéressante mais limitée puisque la firme ne compte que cinq entités de ce type. Deuxio, la direction générale d'une des 70 filiales. De manière générale, la nomination au poste de directeur de filiale d'un marketeur n'a rien d'iconoclaste. « Les organisations ont besoin d'experts. Le marketing est une fonction clé. Il faut de bons marketeurs pour obtenir des développements comme les nôtres », argumente Bruno Witvoet. La direction marketing international cristallise bien souvent la complexité d'organisations cimentées par l'interpénétration du géographique et des options transversales. C'est le cas chez Fedex. Le transporteur a découpé le monde en cinq grandes zones. Comme les quatre autres, la région EMEA a son directeur marketing, qui n'est autre que le Dg de ladite région. Pour partager le marketing sur le périmètre européen de l'EMEA, Fedex a créé trois sous-zones, toutes dotées d'une direction marketing : l'Europe de l'Est, traitée depuis l'Allemagne, l'Europe du Nord depuis la Grande Bretagne, l'Europe du Sud depuis Paris. « J'ai des interlocuteurs directs en charge du marketing au sein des pays relevant de ma compétence. Ma patronne étant la directrice générale EMEA, en charge du marketing sportif au niveau siège », argumente Jean-Christophe Damond, directeur marketing Europe du Sud. Sur le même schéma, le Dg Europe du Nord est également patron du CRM au niveau mondial. « Dans la pratique, c'est terriblement efficace et productif parce que tout le monde, même aux plus hauts niveaux, garde un pied dans les réalités. » Selon Pierre-Emmanuel Dupil, la tendance est plutôt au “think global, act local”. « Mais, entre un Colgate qui va agir de manière très centralisée et un Danone, plus proche des problématiques locales, tous les cas de figure se côtoient. » La centralisation procède souvent de calculs de rentabilité. La couverture géographique via agrégation de marchés intérieurs permet des lancements budgétairement inenvisageables à l'échelle locale. « Il peut y avoir frustration pour les directions marketing locales. La centralisation peut générer une perte d'autonomie et le risque existe que ce qui vient de l'Europe ne corresponde pas à 100 % aux besoins locaux », commente François Bornibus. Il faut trouver des compromis acceptables à 90-95 %. Le 100 % étant trop coûteux pour les entreprises. Plus l'image pèse sur la marque, plus les entreprises vont centraliser leur organisation, notamment dans la définition des messages structurants. Rémy Martin, marque phare du groupe Rémy Cointreau, réalise 95 % de son chiffre hors des frontières françaises. « Nous gérons d'importants investissements en communication, avec des campagnes lourdes sur les Etats-Unis et l'Asie. Tout est défini et budgété au siège en France », affirme Olivier Flahaut, directeur marketing international de Rémy Martin.

Les directions internationales garantes de politiques centralisatrices


80 % du marketing déployé autour des six marques phares d'Unilever Bestfoods relève de décisions centralisées au niveau international. Les 20 % restants, remis à la libre initiative des filiales, recouvrent notamment l'animation des marques dans les points de vente. Chez Mattel, 70 % du budget est absorbé par un marketing d'adaptation. « Les Américains ne contrôlent pas encore ce que j'appellerais le trade-promo, choix des médias, poids des actions par ligne, sur lequel nous avons une autonomie totale, même s'ils nous demandent des comptes. Mais ils commencent à s'y intéresser », explique Hervé Parizot qui, fort de ses fonctions cumulées sur la France et l'Europe du Nord, pèse un tiers du chiffre d'affaires Europe de Mattel. Le groupe consacrant 15 % de son chiffre d'affaires à la communication, on peut considérer que la seule filiale française investit 37 millions d'euros au développement et à la promotion de ses gammes. Alors, cette centralisation fonctionnelle du marketing, Hervé Parizot la juge « un peu ridicule ». D'ailleurs, « pas question de développer de business entre la France, le Benelux et les pays scandinaves ». Motif invoqué : fossés linguistiques, spécificités juridiques et diversité des monnaies. Beiersdorf a développé un modèle aux antipodes des multinationales. Chaque pays constitue un groupe d'experts qui vont correspondre au niveau international avec leurs homologues pour construire les concepts produits, monter les campagnes pub, définir les emballages, les relances. « Deux à trois fois par mois, mes collaborateurs se rendent à Hambourg, explique le directeur marketing France. Nous sommes tous dans une logique d'échange et de compétition. Ce sont les filiales qui proposent.» Une organisation peut-être quelque peu dispendieuse ? «Ça coûte cher, le sujet est souvent à l'étude. Mais cela présente de grands avantages. » Au rang desquels une forte implication des pays dans le développement international et une meilleure créativité des agences de communication locales, systématiquement challengées. Cette autonomie s'avère très constructive en termes d'image. Nul hasard en effet si la marque Nivea est devenue un cas d'école pour sa grande appropriation par les consommations locales. Certaines directions internationales échappent donc aux diktats de la centralisation. Pour ce groupe fromager international, la diversité d'un pays à l'autre des pratiques de consommation interdit toute concentration. « La réflexion locale n'est pas préférable, elle est obligatoire », affirme le directeur marketing export, à la tête d'une équipe de quinze personnes dont deux travaillent en priorité sur le développement des marques à l'international. Sa règle étant de conjuguer “collégialité et subsidiarité”. Deux fois par an, le directeur marketing export visite les filiales en Europe, au Japon et aux Etats-Unis pour élaborer ou recadrer avec les patrons du marketing local les stratégies sur trois ans et arrêter le cadre opérationnel pour l'année à venir. Les budgets marketing sont définis et gérés localement. Malgré le contrôle accru des sièges, des approches et des discours de plus en plus comprimés, les carrières internationales attirent toujours les étudiants. Une étude menée auprès des jeunes diplômés de l'EM Lyon (ex-ESC Lyon) montre que plus de 20 % d'entre eux rêvent de débuter leur carrière au-delà de l'Hexagone.

PROFIL TYPE


La fonction de directeur marketing international requiert le plus souvent une expérience de directeur marketing au sein d'une filiale, ainsi qu'un passage de deux, voire trois ans au siège mondial, sur un poste transversal (gestion de ligne ou de gamme de produits). « On va rechercher des profils aptes à assumer une direction opérationnelle, la gestion d'un centre de profit et manifestant de l'aisance dans une fonction de type direction générale. En fait, des talents qui dépassent la seule sphère du marketing », développe Pierre-Emmanuel Dupil, directeur chez Michael Page. Un directeur marketing à l'international sera vraisemblablement diplômé d'une grande école de commerce ou d'ingénieur, si possible bardé d'un MBA Insead ou ISA. Senior, mais pas trop. Entre dix et quinze ans d'expérience avec un réel potentiel de développement de carrière devant lui. « Pour exercer un poste de Dg d'une structure de moindre taille, et, pourquoi pas d'une entité comparable », poursuit le consultant.

Mentors et dauphins : la cooptation façon IBM


Le 1er février 2002, Joël Rubino devient directeur marketing Europe de l'Ouest d'IBM, en remplacement de Pierre Chappaz, parti fonder Kelkoo. Au sein de la firme américaine, la nomination à ce niveau de responsabilité relève du patron Europe. Cette fois-ci, le processus électif aura pris un mois. Après décryptage d'une première liste de dix de cooptés, la short list est réduite à deux prétendants. Joël Rubino sera convoqué au siège new-yorkais d'IBM, pour être officiellement informé de ses nouvelles fonctions. Chez IBM, chaque collaborateur a son mentor. Un “parrain” dont la sphère d'action dépasse la coquetterie managériale. Parce qu'il aura appris la vacance prochaine du poste de la bouche même de celui qui l'occupait, Joël Rubino aura pu rapidement faire part de ses velléités à son mentor, en l'occurrence sa patronne directe au marketing monde. « Elle a activé son réseau de contacts au niveau Europe, informant qui de droit qu'elle avait un nom à proposer pour le poste », raconte Joël Rubino.IBM, c'est aussi le royaume des “dauphins”. Chaque cadre doit désigner une équipe de successeurs potentiels. Le directeur marketing Europe de l'Ouest a ainsi constitué une “ressource list”, ou relève de premier niveau, et une “executive ressource list”, sélection resserrée de trois suppléants « prêts à prendre ma place si je pars ». Là encore, le système est plus structurant qu'il pourrait paraître. Joël Rubino était en l'occurrence l'un des trois éléments de l'executive list composée par Pierre Chappaz.

Prix et valeur des formations MBA


Le MBA de l'Insead forme chaque année près de 800 “stagiaires”, de 60 nationalités différentes (moyenne d'âge : 29 ans), pouvant tous se prévaloir de cinq années préalables d'expérience en entreprise. Un tiers d'entre eux se dirigera vers des carrières commerciales et/ou marketing. « Côté employeurs, la demande pour du “local” est rare. Ils recherchent au niveau du MBA des talents immédiatement opérationnels à des postes internationaux. Avec, en postes d'entrée, des fonctions de type chef de produit sur une zone européenne ou au niveau corporate au siège. Nous avons beaucoup de recruteurs nord-américains, qui cherchent à faire venir au siège des marketeurs en charge de l'Europe ou de l'Asie », développe Claire Lecoq, directrice du service de gestion des carrières des MBA. Pour les candidats aux directions marketing à l'international, le MBA est un plus certain. Mais pas donné. A l'Insead, il faudra débourser 43 000 euros en frais de scolarité pour dix mois de sessions en contrôle régulier et la quasi-assurance d'obtenir le diplôme. « Ce sont majoritairement les étudiants qui financent leur formation », signale Claire Lecoq.

 
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Muriel Jaouën

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