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Les marques sont notre liberté

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Création de noms Wanadoo, Vivendi, Thalès, Clio, Vivarte, Altadis… Autant de noms qui ont en commun d'avoir été inventés par le fondateur de Nomen, Marcel Botton. Pour qui la marque est à l'économie ce que le vote est à la politique, à savoir le choix.

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Aujourd'hui, le marché de la création de noms est morose. Pourquoi cette profession va-t-elle mal et comment gérez-vous cette situation ?

Marcel Botton : Il y a eu une période d'euphorie, notamment dans les années 2000-2001, où le nombre de fusions-acquisitions a explosé. Qui dit fusions, dit nouveaux noms. Or, aujourd'hui, il y en a moins. Et puis, crise économique oblige, il y a moins de créations de nouveaux produits. Nous avons une activité qui est une dérivée seconde de l'économie. Pour que les gens achètent de la création de noms, il faut que de nouveaux produits soient créés. C'est tout simplement le résultat du coefficient Bêta que l'on applique en économie : quand l'économie augmente de 5 %, nous augmentons notre activité de 50 % et, quand l'économie baisse de 5 %, nous diminuons de 50 %. Reste que Nomen va plutôt bien et que la France occupe une place privilégiée sur ce marché. Nous allons afficher une croissance de 16 % en 2005. Ce qui est convenable. En termes de développement, l'année 2005 a également été bonne. Notre profit a été multiplié par deux. Ces bons résultats tiennent au fait que nous avons élargi le marché avec le développement des services marketing, juridique, financier et le contrôle linguistique. La création de marques elle-même a également augmenté. Nous sommes devenus une référence dans la création de noms de dénomination sociale où nous avons acquis une certaine avance, notamment avec Thalès, Safran, Vivendi, Vinci, etc. Un cinquième du Cac 40 est passé par Nomen. Soit huit entreprises sur quarante.

Vous avez récemment repris le contrôle de votre société. Pour quelles raisons ?

M. B : J'ai, en effet, repris la totalité du capital en juin 2005 avec l'aide d'un groupe familial. Je m'investis dans ce métier mais, ma logique à moi, n'est pas forcément la même que celle d'un fond d'investissements. Je souhaite certes que mon activité me rapporte mais ce n'est qu'un élément, tandis qu'un fond d'investissement, comme son nom l'indique, est concentré sur la rentabilité et la valorisation. Comme ce n'est pas ce qui me convient en ce moment, j'ai choisi de racheter. De plus, j'investis fortement depuis l'année 2005 dans l'activité Health Care, à laquelle je crois beaucoup. Le marché de la santé est très spécial, très différent. Il va devenir incontournable. Reste que cet investissement nécessite des risques, peut prendre des années et peut ébranler la rentabilité à court terme.

Comment se répartit votre activité entre création de noms de marque et de dénominations sociales ?

M. B : En volume, le nombre de changements de dénominations sociales représente 30 à 40 %. En chiffre d'affaires, plus de 50 % car ce sont de gros budgets. Mais notre travail quotidien reste, en majorité, de chercher le nom de produits.

Vous avez créé récemment une activité Etudes. Est-ce une branche prometteuse pour Nomen ? Et qu'en est-il de votre activité juridique ?

M. B : Notre service Etudes est en phase de développement. Est-ce que cela veut dire que le marché des études va bien en général ? Je n'en sais rien. Quant à l'activité juridique, elle a réalisé + 70 % en chiffre d'affaires et + 500 % de résultat. Comme quoi il y a encore un gros travail à faire sur la marque.

Considérez-vous que la marque est malade, comme on l'a beaucoup répété ces derniers temps ?

M. B : Oui. Les marques ont trop abusé. Notamment parce qu'il existe une tranche de population, que j'appelle des “brand victims” comme il peut exister des fashion victims. Ce sont des gens qui paient très cher des marques qui n'ont aucun intérêt. Les marques ont très certainement surfé sur cette tendance. Mais cela ne durera pas éternellement. En revanche, les marques qui font de la qualité ont un avenir. Et cela dans tous les secteurs.

Les marques ont donc encore un avenir ?

M. B : Elles ont plus qu'un avenir, elles sont indispensables. Je suis allé visiter des pays où il n'y a pas de marques, tels que la Russie, l'Albanie, la Moldavie. Ce sont des pays pauvres et, pourtant, les consommateurs ne rêvent que d'une chose : voir des marques s'installer. C'est la même chose en Europe ou aux Etats-Unis. Les marques séduisent. Sauf qu'il y a une mauvaise utilisation des marques. Et pourtant, cette dernière est à l'économie ce que le vote est à la politique, c'est-à-dire le choix. On ne se rend pas compte de la chance que l'on a de pouvoir choisir une Renault, une Peugeot, une Citroën. C'est notre liberté. Il faut d'ailleurs que les altermondialistes prennent conscience que les marques sont notre liberté.

A certaines conditions ?

M. B : Oui. Elles doivent d'abord enrichir leur technologie. On attend d'une marque qu'elle innove vraiment. Par exemple, avec l'arrivée des opérateurs téléphoniques, des offres groupées, qui n'existaient pas quand il n'y avait que France Télécom, sont apparues.

Avec la mondialisation, une marque doit-elle être forcément prononçable dans le plus grand nombre de langues ?

M. B : Ma position a évolué. Auparavant, je cherchais à trouver des marques qui soient complètement internationales. Puis, j'ai fini par penser que ces marques qui s'installaient dans tous les pays avaient un petit côté apatride. Ce qui n'est pas forcément une bonne idée. Aujourd'hui, je pense donc qu'il faut créer des marques ayant des racines et qui soient dans le même temps exportables. Ce qui n'est pas antinomique. Les constructeurs français “Re-na-ult” ou “Pe-u-geot” ont des noms complètement imprononçables à l'étranger. Pourtant, ces produits ne rencontrent aucune difficulté pour s'exporter et se délocaliser. Loin d'être un handicap, ces marques peuvent donner au consommateur un sentiment de fierté. Assumons les origines et exportons avec une histoire. Nous avons créé Safran, la nouvelle dénomination sociale du groupe issu du rapprochement entre Snecma et Sagem, en mai 2005. Ce nom est un nom français, tout comme Vinci qui est un grand personnage européen et, pourtant, présent dans le monde entier.

Qu'en est-il pour des produits ?

M. B?: C'est un peu moins vrai pour les produits. C'est même le contraire. La Logan est, par exemple, une marque internationale. Mais signée Renault qui est une marque bien française.

Vous avez créé début 2005 une filiale en Chine. Quelles sont les règles à suivre, les erreurs à ne pas commettre pour s'implanter dans ce pays ?

M. B : C'est le seul pays qui a une langue non phonétique. En Chine, nous faisons un autre métier, nous devenons des fabricants de rébus. L'essentiel du travail de notre filiale est d'accueillir des grandes marques françaises qui souhaitent s'implanter. Nomen cherche alors à trouver des idéogrammes proches phonétiquement de la marque en exprimant les promesses du produit, en respectant le nombre de caractères chinois, en faisant attention aux significations des couleurs très différentes des nôtres. C'est un autre travail.

Globalement, les dénominations d'entreprises ou de marques suivent des modes. Une marque doit-elle forcément coller à la mode et quelle est la tendance des années à venir ?

M. B : Il y a eu l'époque des terminaisons en “ola” (Motorola, Radiola, etc.) puis en “is” (Altadis, Lactalis…) ou “oo” (Kelkoo, Ooshop, Wanadoo…). Contrairement au design, une marque doit éviter le plus possible d'être à la mode. Car le design peut se refaire tous les cinq ans, tandis qu'une marque ne se change pas. Reste qu'il est difficile de ne pas être à la mode car l'on est toujours influencé. La difficulté de notre métier est donc d'échapper aux modes. En ce moment, je préconiserais de ne pas prendre de noms de personnages célèbres contrairement au discours que je tenais, il y a une dizaine d'années. Aujourd'hui, la tendance émergente est de créer des marques ayant des racines, une nationalité et un passé. Vinci est une belle marque car c'est un hommage à un grand ingénieur. Les peuples sans histoire sont aveugles. Les marques sans histoire ont une courte vue. Il faut se raccrocher à l'histoire ; je pense que c'est la tendance de demain.

Safran en est un autre exemple ?

M. B : Oui. Pour trouver un nouveau nom au groupe formé par Snecma et Sagem, plus de 4?000 dénominations ont été passées au crible. La nouvelle raison sociale ne passe pas inaperçue puisqu'elle parle aussi bien aux fans de navigation (elle désigne la partie maîtresse du gouvernail d'un bateau) qu'aux gastronomes, le safran étant également une épice.

Vous êtes à l'origine de plusieurs marques aux mots grecs ou latins. S'agit-il également d'une tendance??

M. B : Les mots grecs ou latins ne sont pas une mode. La langue de la culture de marque, c'est le gréco-latin. Il existe énormément de marques aux mots grecs et latins qui existent depuis longtemps comme Audi (j'écoute), Volvo (je roule), Lego (j'assemble), Quies (le sommeil). Nous y faisons simplement plus attention aujourd'hui. Ces marques continueront à exister et à se créer car, ainsi, on peut parler au monde entier. Beaucoup de marques patronymiques sont apparues au début du siècle (Citroën, Renault, Guerlain, etc.). Y-a-t-il encore beaucoup de créations de ce type ? M. B : Il y a deux catégories de marques patronymiques : les vraies et les fausses. Certaines ont été cédées ou ont fusionné telles que Darty, Kenzo, Inès de la Fressange, Agnès B, etc., et il est vrai que cela complique un peu les choses. Mais la marque patronymique peut également être fausse. M. Häagen Dazs n'a jamais existé, tout comme l'Oncle Ben's ou la Mère Denis. Plus généralement, la marque patronymique donne l'impression qu'il y a un engagement, une implication.

Les noms de marques s'inscrivent-ils également de plus en plus dans de l'immatériel pour évoquer de moins en moins l'activité ?

M. B : C'est une tendance de fond. Et, pourtant, mes clients pensent encore que la marque doit décrire une activité. Or, bien évidemment, on est dans un monde qui change. Aucune entreprise ne peut prévoir ce qu'elle fera dans cinq ans. Les noms ne doivent pas décrire, à mon sens, l'activité. La Compagnie Générale des Eaux s'est ainsi rebaptisée Vivendi car le chiffre d'affaires “eaux” ne représentait plus que 25 % de son activité.

Le nom de domaine étant soumis au droit des marques, votre activité a-t-elle évolué avec Internet ?

M. B : L'arrivée d'Internet a remis en question les principes sur lesquels reposait le droit d'occupation des marques. Avec la création de noms de domaine, on joue d'emblée dans le monde entier. Une fois franchis les obstacles phonétiques et sémantiques, il faut s'assurer que le nom est juridiquement disponible. Il faut beaucoup plus de créativité. Enfin, les marques non ambiguës et claires sont un gros avantage. Avec Internet, notre métier de créateur de noms se complique. Nous sommes devenus des chercheurs d'or. Votre activité est donc de plus en plus complexe. Comment la voyez-vous dans les vingt prochaines années ? M. B : Je suis un artisan de la marque et je souhaite le rester. Dans vingt ans, Nomen sera le spécialiste mondial de la marque et non de la création de la marque. De la création du nom au suivi en passant par le litige, le développement et la valorisation.

Quelle est la marque dont vous êtes le plus fier ?

M. B : J'ai un petit faible pour Wanadoo. J'allais baptiser le site Hublot. L'idée était belle, mais le mot très laid. J'ai donc opté en une heure pour Wanadoo, une marque vraiment originale et inédite.

Et votre plus gros regret ?

M. B : Il y a plein de pays qui changent de nom et on ne fait jamais appel à moi. J'adorerais que l'on m'interroge…

Parcours

59 ans. Economiste. De 1969 à 1980 consultant marketing dans diverses entreprises de conseil. 1981 création de Nomen. Marcel Botton met au point une méthode alliant techniques de créativité et outils informatiques. Auteur 1980 50 fiches de créativité appliquée (Editions d'Organisation). 1991 Le Nom de marque (Edisciences). 1992 Créer et protéger ses marques (Lamy/Les Echos). Membre de la Compagnie nationale des conseils en propriété industrielle. En septembre 2005, est paru chez Dunod un livre, Créateur de noms, par Jean Watin-Augouard, retraçant l'aventure de Marcel Botton et de Nomen.

Nomen

Créé en 1981 par Marcel Botton, son actuel président directeur général, le groupe Nomen se situe parmi les tout premiers spécialistes du nom de marque dans le monde. Il est implanté dans dix capitales européennes, aux Etats-Unis (via l'agence Catchworld à New-York et San Francisco) et en Asie (Chine et Japon). Précurseur du naming (Nomen signifie “le nom” en latin), le groupe concentre ses activités autour du nom de marque, couvrant la création mais aussi la sémiologie, la linguistique, le marketing et le juridique.

 
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Propos recueillis par Ava Eschwège

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