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Les ONG, meilleures ennemies des marques

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Difficile aujourd'hui pour une grande entreprise de faire l'impasse sur le dialogue avec les parties prenantes, et notamment les ONG. Car si les relations avec ces associations ont été - et restent parfois - très conflictuelles, leur expertise et leur crédibilité peuvent être de véritables atouts. Surtout à l'heure où la responsabilité sociale des entreprises participe de plus en plus à la valorisation des marques.

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@ Fotolia/LD

Tee-shirts Pimkie estampillés WWF, café Jacques Vabre certifié par Rainforest Alliance ou cahiers Clairefontaine siglés Unicef... Dans les rayons, les marques et les ONG s'affichent de plus en plus ensemble et sans complexe. Signe d'une relation pacifiée entre les deux mondes qui se sont longtemps regardés avec défiance? En partie, oui. Car si la collaboration a toujours existé dans les pays anglo-saxons, les Français s'y sont montrés plus résistants. Jusque récemment. Aujourd'hui, les marques affichent fièrement partenariats, actions de mécénat ou tout du moins tentatives de dialogue. Même si cela reste encore l'apanage des grandes entreprises, voire des multinationales. Les PME, elles, commencent tout juste à opérer des rapprochements. Ainsi, selon l'observatoire des relations ONG - entreprises, en 2007, seules 17% des entreprises du SBF 250 (250 valeurs les plus représentatives de chaque secteur) déclarent avoir une relation construite avec une ONG. En outre, 332 partenariats ont été conclus par 43 entreprises, dont 23 font partie du CAC 40. Mais la démarche est amorcée et la collaboration avec ces parties prenantes prend corps jusque dans les institutions, comme l'ARPP (ex-BVP), où les ONG sont associées au contrôle a priori des publicités présentant un argument écologique.

A l'heure où les consommateurs font de plus en plus le lien entre le produit, la marque et l'entreprise, et intègrent la dimension éthique à leurs achats, l'enjeu est de taille. Or, en France, plus que partout ailleurs dans le monde, les leaders d'opinion font très peu confiance aux entreprises (30%), tandis que les ONG remportent 57% des suffrages et même 80%, s'agissant des jeunes de 25-34 ans, selon le dernier baromètre Confiance d'Edelman. La défiance est telle que dans une étude de TMO pour First41, menée il y a trois ans, 70% des Français se disaient d'accord avec les campagnes mondiales d'ONG dirigées contre les entreprises. Et celles-ci ne sont pas neutres. Même s'il est ardu de quantifier l'impact de ces attaques, le boycott lancé contre Danone en avril 2001 aurait entraîné une baisse de 10% de son chiffre d'affaires sur les produits laitiers. De même, l'action de Greenpeace contre la plateforme Brent Spar de Shell serait à l'origine d'une chute du CA de 20 à 50% selon les régions, en Allemagne. Sans parler des conséquences en termes de réputation.

De l'éthique sur l'étiquette

Dès lors, on voit d'emblée l'intérêt d'entamer la conversation avec une ONG, voire d'établir une véritable collaboration. D'autant que cette démarche est désormais perçue comme «gagnant-gagnant» par beaucoup de ces organisations en quête de fonds.

Engagé depuis dix ans dans la collaboration avec les entreprises et dotée d'un emblème/logo - le Panda - à la notoriété et à la crédibilité inégalées sur le marché français, le WWF est ainsi sursollicité par les marques.

Elles voient, en effet, dans les «produits partage», sorte de cobranding, un argument commercial de poids. Avec raison. 700 000 jeunes filles arborent ainsi le tee-shirt Pimkie/WWF. De son côté, Volvic a dopé ses ventes avec son opération «1 litre acheté = 10 litres puisés au Sahel» en partenariat avec l'Unicef. Mais «pour être une réussite commerciale, il faut, comme tout autre produit, que le marketing mix soit réussi», prévient Jacques Hintzy, président de l'Unicef et ancien publicitaire. Et avec discernement, afin que ce type d'opération ne soit pas banalisé, même si «le marché est encore loin d'être saturé», affirme-t-il. En France, l'Unicef appose aujourd'hui son logo sur une vingtaine de produits et le WWF sur une trentaine seulement. Mais déjà, les ONG sont plus regardantes. Ainsi, le WWF - critiqué par ses pairs pour accorder trop facilement le précieux Panda - va durcir les conditions d'obtention de son emblème. «Désormais, nous allons tenter d'imposer une démarche d'éco-conception et être plus proactifs, précise Julia Haacke, la nouvelle directrice des partenariats entreprises du WWF France. En effet, aujourd'hui, nous recevons une quinzaine de sollicitations chaque semaine, mais la majorité des entreprises cherchent seulement un argument commercial et sont vite rebutées par la contrepartie financière d'un tel partenariat» Car qui dit logo, dit aussi reversement de royalties, soit 10% du prix de vente de l'article dans le cas du WWF. Et si des dérives n'ont pu être évitées, des audits sont tout de même réalisés pour savoir si le produit, mais aussi les valeurs de marque et l'entreprise elle-même sont conformes aux attentes de l'organisation. «Les marketeurs rêvent aujourd'hui de monter des partenariats environnementaux et de communiquer dessus, mais souvent ils ne se rendent pas compte de ce qu'implique cette démarche. S'il s'agit d'une opération de greenwashing (pour se donner une image écologique responsable, NDLR), nous nous en apercevons après deux ou trois questions précises sur les conditions de fabrication ou les matériaux utilisés et les entreprises abandonnent vite l'idée d'une collaboration», confie Michel Salion, fondateur de l'agence de communication responsable Manifeste.

A quelle ONG se vouer?

S'associer avec une ONG n'est donc pas un engagement à prendre à la légère. Certes, nombreuses sont celles qui ouvrent leur porte aux marques. Le WWF et l'Unicef donc, mais aussi Amnesty International, la Fédération internationale des droits de l'homme (Fidh), Care et bien d'autres disposent ainsi de départements spécifiquement dédiés à la question. Et si elles ont pu être accusées d'amateurisme, difficile aujourd'hui de ne pas reconnaître leur professionnalisation. A l'instar de Julia Haacke, de nombreux cadres de ces ONG ont fait leurs armes dans le secteur privé et, plus généralement, leur expertise scientifique ou du terrain est désormais reconnue. Des bases qui ont permis l'avènement et le développement de partenariats dits stratégiques, à l'image de Casino et Amnesty International, Carrefour et la Fidh ou encore Tetra Pak et le WWF. Encore faut-il que la marque choisisse la bonne ONG, celle qui conviendra aux objectifs fixés. Quand Kraft Foods a voulu certifier son café Jacques Vabre, c'est à une association très ancrée sur le terrain, Rainforest Alliance, qu'il a fait appel. Pour Tetra Pak, c'est la notoriété mondiale et les larges ressources humaines et scientifiques du WWF qui ont fait la différence. Au contraire, Coca-Cola a préféré la discrétion et l'alliance avec des associations moins connues mais légitimes sur des cibles spécifiques comme Surfrider foundation, qui réunit des surfers dévoués à la protection de l'océan et du littoral. «Nous n'avons pas la volonté d'acheter un logo, ce que nous voulons, c'est monter des actions concrètes, avoir de l'expertise et du feed-back», explique Manuel Berquet-Clignet, directeur business development de Coca-Cola France.

Toutes les communications de Tetra Pak sont visées par le WWF, avec qui la marque a conclu un partenariat stratégique.

Toutes les communications de Tetra Pak sont visées par le WWF, avec qui la marque a conclu un partenariat stratégique.

Des agences de communication peuvent parfois jouer le rôle d'entremetteur. Cela peut aller jusqu'à de véritables compétitions: ainsi, Eurostar, qui a mis en place son programme de «Voyage Vert» il y a un an, devrait bientôt organiser, avec l'agence Sidièse, un tour de table avec des ONG françaises, belges et britanniques pour choisir son futur partenaire. En amont, mieux vaut donc définir clairement son objectif. A commencer par le domaine de l'action que l'on souhaite mener. «Le secteur des services aura davantage intérêt à nouer des partenariats dans le domaine de la solidarité», estime ainsi Michel Salion. Il faut également penser au type de collaboration voulu: un partenariat sur le court terme, destiné à avoir un impact commercial, ou, au contraire, un partenariat stratégique, sur la durée et dont les retombées ne sont pas immédiates mais pérennes. Pour Patrick de Noray, directeur environnement et relations extérieures de Tetra Pak, le partenariat n'est «pas forcément un argument de vente mais un «plus». Il renforce notre crédibilité et notre légitimité.

Mais surtout, cette collaboration est un vrai apport en termes d'expertise.» En contrepartie de ces conseils, un véritable engagement est demandé à l'entreprise. Parfois, en termes financiers. Là, chaque ONG a son propre code de conduite: pour le WWF, qui met à disposition toutes ses ressources et une personne dédiée à l'entre prise en question, cela se compte en centaines de milliers d'euros pour trois ans environ, alors qu'Amnesty International ou Greenpeace n'acceptent aucun transfert d'argent pour leurs activités de conseil, par souci d'indépendance.

Toutes les entreprises n'ont pas forcément la maturité pour ce type d'engagement, mais le dialogue avec ces organisations peut aussi se faire de façon moins formelle, en one-to-one ou au sein de réseaux. Greenpeace, par exemple, refuse tout type de partenariat mais reste ouvert à la discussion. Ainsi, Arnaud Apothécaire, en charge des questions OGM pour l'organisation, connu pour ses actions dans les champs de maïs transgénique, est tout aussi à l'aise dans les négociations plus confidentielles avec Carrefour ou d'autres entreprises. «Notre but est de faire avancer les choses, pas de faire des coups médiatiques», affirme-t-il. Depuis le Grenelle de l'environnement, le Medef organise des petits déjeuners thématiques réunissant grandes entreprises et associations, aux niveaux national et local. Au Comité 21 (comité français pour l'environnement et le développement durable), on va encore plus loin. En plus des réunions régulières et ouvertes organisées pour les 400 membres que compte l'association, le Comité 21 peut mettre en place des rencontres sur mesure pour une entreprise en particulier. Areva ou Eiffage ont ainsi pu recevoir les avis d'ONG et autres parties prenantes sur leurs activités. Des réunions organisées à huis clos, sous clause de confidentialité. «Il ne s'agit pas que les associations prennent la part du board mais d'être dans la coconstruction sur différentes problématiques. Pour les entreprises, c'est aussi l'occasion d'identifier des enjeux ou leur degré d'urgence et ainsi de pouvoir anticiper les réponses», explique Dorothée Briaumont, directrice du Comité 21.

Patrick de Noray (Tetra Pak) :

«Nous rencontrons beaucoup d'ONG, surtout les plus virulentes.»

Partenariat n'est pas synonyme de passe-droit

Tout irait donc pour le mieux dans le meilleur des mondes au royaume des ONG? Oubliées les attaques des années quatre-vingt-dix contre les Nike, Shell, McDo et autres multinationales? Certainement pas. Les associations restent vigilantes et savent pointer du doigt les dérives des marques. Leur communication est particulièrement scrutée pour dénoncer le greenwashing. Beaucoup d'ONG ont d'ailleurs refusé de siéger à l'ARPP pour garder cette distance critique. Encore aujourd'hui, des entreprises sont blacklistées ou victimes de la symbolique de leur marque. C'est le cas de Coca-Cola, qui a signé un partenariat international avec le WWF et qui n'a pu faire de même en France, après avoir essuyé un refus de la filiale française de l'ONG. «Il est beaucoup plus facile d'attaquer McDo ou Coca-Cola, se désole Manuel Berquet-Clignet. Pourtant au niveau de l'utilisation de l'eau nécessaire à la fabrication, par exemple, nous sommes les meilleurs au monde...»

Mais le partenariat n'est pas non plus un pare-feu. «Le fait d'entamer des discussions n'est pas du tout un passeport pour prémunir l'entreprise contre des attaques, confirme Pascal Tanchoux, qui s'occupe entre autres du partenariat avec Rainforest Alliance chez Kraft Foods. Au contraire, cela attire même les projecteurs sur les pratiques de la marque, il faut donc être d'autant plus prêt. Mais c'est le rôle des ONG d'être un contre-pouvoir et le plus mauvais choix pour une entreprise est de fonctionner en vase clos.» Ainsi, le groupe Total tente depuis plusieurs années de corriger sa mauvaise image. «Pour chaque projet d'implantation, nous avons sur place une personne qui dialogue avec la société civile et qui prend contact avec toutes les ONG, même celles qui ne nous sont pas franchement favorables. Au Soudan, nous avons pris contact avec Ecos (coalition européenne pour le pétrole au Soudan, comprenant 80 ONG, NDLR) depuis déjà plusieurs années, pour échanger sur les modalités d'une reprise d'activité encore à venir», explique Jean-François Lassalle, directeur des relations extérieures à l'Exploration & Production de Total. Cela ne l'empêche pas d'être la cible récurrente d'ONG concernant ses implantations, comme en Birmanie, ou le naufrage de ses pétroliers (l'Erika).

Cependant, si les revendications des ONG ne faiblissent pas, leurs actions se sont policées. «Trop de sensationnel tue le sensationnel. Le pouvoir des ONG dépend aussi de la médiatisation de leur action et s'accrocher à un arbre ne fait plus l'événement aujourd'hui Elles doivent donc innover dans leur mode de contestation», constate Ludovic François, professeur affilié à HEC et spécialiste des conflits entre les deux parties. Fini donc le spectaculaire. «Nous avons évolué vers un rôle d'ouvreur de voie, d'indication de pistes de changement», estime ainsi Bruno Rebelle, ex-directeur de Greenpeace France. Si des dénonciations publiques sont encore déclenchées, ce n'est qu'après avoir envoyé à la direction plusieurs lettres restées sans réponse, comme Amnesty International a pu le faire contre un ensemble de banques pour les contraindre à stopper leurs investissements directs ou indirects dans les bombes à sous-munitions (BASM) et les mines antipersonnel.

Surtout, dans une société de plus en plus rivée sur les classements et autres indicateurs en tout genre, les ONG se sont inspirées des agences de notation pour établir leurs propres classements. Et Greenpeace est passé maître en la matière. Le guide des produits avec ou sans OGM est un tel succès auprès des consommateurs qu'il est désormais décliné lors des pics de vente, comme Noël, et dispose d'une batterie de 5 000 «détectives OGM» envoyés dans les supermarchés pour traquer les produits (une trentaine aujourd'hui) qui en contiendraient. Le guide pour une high-tech responsable, lui aussi, commence à secouer les fabricants. Après avoir écopé de la plus mauvaise place et essuyé une campagne dirigée explicitement contre elle, Apple s'est vu contrainte de revoir sa copie en matière de recyclage et de choix des matériaux... sous peine de décevoir ses fans les plus écolos.

Plus question donc pour les marques de fermer les yeux et la porte aux ONG. Certes, le dialogue avec ces acteurs n'est pas toujours facile; leurs objectifs ne sont pas ceux du secteur privé et leur rôle est à la fois celui de vigie et d'acteur de changement. Pour autant, la palette des collaborations est large et les ONG peuvent être de vrais moteurs d'opportunités pour les marques qui sauront les écouter et intégrer leurs conseils dans leurs processus d'implantation, de fabrication ou de communication.

 
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BEATRICE HERAUD

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