E-marketing.fr Le site des professionnels du marketing

Recherche
Magazine Marketing

Le nouvel art des mets

Publié par le

Si les pilules de l'an 2000, remplaçant un repas complet, ont pu faire fantasmer des futurologues dans les années 80, c'est finalement un retour en force de la cuisine qui a véritablement lieu aujourd'hui.

Je m'abonne
  • Imprimer

Gâteau griffé Paco Rabane ou Sonia Rykiel, macaron au foie gras, confiserie de légumes, nouvelles sensations en bouche… Désormais, design, mode et cuisine font bon ménage. Les chefs ne sont plus seulement étoilés, mais sont devenus de véritables artistes, les créateurs de haute couture sont cuisiniers et les nutritionnistes se sont transformés en stars médiatiques. Présente à tout instant de la journée, la cuisine est devenue aussi un art, une source de bien-être, une aide spirituelle, un loisir.

Preuve de cet engouement, les Français, qui avaient un peu mis de côté les conseils et recettes de maman, se ruent sur les nouveaux modes de transmission du savoir culinaire. On ne compte plus les émissions, les blogs, les ouvrages ou magazines consacrés au sujet… Et les grands chefs eux-mêmes, tels Alain Ducasse et Michel Guérard, dispensent des cours aux néophytes. Cela veut-il dire que les Français n'ont jamais accordé autant d'importance à la nourriture ? Disons simplement que la relation qu'ils entretiennent avec leur assiette a changé. « L'alimentation a toujours été très importante dans la vie des gens. Elle a toujours eu ce rôle magique, mais aujourd'hui nous pensons différemment à la nourriture.

On se demande cinq à six fois par jour ce que l'on va manger », explique François Ascher, auteur du Mangeur Hypermoderne (Ed. : Odile Jacob). Pour ce dernier, « le mangeur hypermoderne ne respecte plus les codes établis » : il peut dîner le soir dans un grand restaurant et déjeuner le lendemain dans un fast-food. « La nourriture devient obsédante. On y pense de plus en plus. Peut-être parce que l'on doit choisir », ajoute-t-il. Cet urbaniste et sociologue urbain qui adhère à l'adage “dis-moi ce que tu manges, je te dirais qui tu es” s'est ainsi penché sur nos façons de nous nourrir qui sont, selon lui, un excellent révélateur de notre société. Une société d'hyperchoix et d'éclectisme. « Les gens ont de plus en plus de contraintes, note François Ascher. Ils usent donc de plus en plus de rationalités diverses : l'économie, le plaisir, la maîtrise du corps, la santé. Ce qui donne des mangeurs éclectiques. » Car voilà, à une nouvelle façon de vivre correspond une certaine « modernité alimentaire », pour reprendre les termes d'Edouard Malbois, fondateur d'Enivrance, le premier bureau de style alimentaire. « Nous mangeons toujours des plats du XIXe siècle alors que nos styles de vie ont radicalement changé. Arrêtons d'opposer tradition et modernité et faisons en sorte que l'on ne mange plus comme au siècle dernier », lance-t-il, avant d'illustrer : « L'art ne vit pas que dans des musées du XIXe siècle. Au même titre, il faut sortir la cuisine, car l'alimentation s'oriente vers une consommation vagabonde ».

Manger “on the go”

Ordinateur, métro, voiture, parcs ou simplement rue, les Français ont désormais tendance à tout défragmenter. Y compris leurs repas, surtout pour le déjeuner, qui n'est plus pris qu'à 68 % à domicile selon le dernier baromètre santé/nutrition de l'INPES. « Les impératifs de mobilité urbaine et les horaires de travail des métropolitains les poussent à déstructurer leur alimentation », confirment Monique Walhen et Benoît Héry dans Les Métropolitains. A l'instar « des plages brésiliennes qui sont un véritable marché alimentaire, des vapeurs de Shanghaï ou de la révolution des liquides que l'on observe à Los Angeles », dixit Edouard Malbois. « Les trois repas traditionnellement pris sont en voie de disparition, note ce dernier. Il y a par exemple une vraie révolution du café avec une intégration de la boisson nomade. »

Dans son ouvrage, François Ascher analyse le processus historique d'individualisation des repas, constatant une hausse des plateaux télé et une forte autonomisation de la prise comme de la composition des repas. Quant aux jeunes, qu'ils habitent en ville ou à la campagne, ils n'aiment pas la régularité. Ils font de moins en moins de repas à heures fixes et les étalent sur une plage horaire de trois heures. Cette individualisation entraînerait-elle un repli des Français sur eux-mêmes ? Bien au contraire. Dans Le Non- Consommateur (Ed. Dunod), Rémy Sansaloni, responsable de l'Observatoire Marketing de TNS Media Intelligence, émet l'idée que les consommateurs ont transformé, selon « un mécanisme de sursomption », le traditionnel repas (on mange tous le même plat selon un mode identique) en un nouveau type (plusieurs plats sur des modes différents) mais en préservant ses aspects collectifs et symboliques. Il n'y aurait donc pas de déstructuration des repas, mais tout simplement un changement par rapport à un modèle traditionnel.

L'alimentaire convivial

Que les puristes se rassurent. « Il n'existe pas une déstructuration aussi forte que l'on pourrait le penser : 9 Français sur 10 prennent quotidiennement trois repas principaux, relève Pascale Hébel, directrice du département consommation du Crédoc. Il y a plutôt une simplification des repas, avec deux plats au lieu de trois, et souvent au détriment des entrées. » Laurence Bethines, planner stratégique chez Team Créatif, acquiesce : « Aujourd'hui, les Français s'orientent vers deux types de repas : l'apéritif dînatoire et le repas au plat unique. » Selon cette dernière, ces nouvelles formes de repas favorisent la convivialité : « Les femmes travaillent. Il faut donc privilégier les moments imprévus et les réceptions facilitées pour pouvoir désormais profiter les uns des autres ». Le phénomène de “commensalité”, ou le fait d'inviter chez soi pour dîner, prend ainsi plus d'ampleur. « Il y a une évolution dans la façon de recevoir. L'apéritif est de plus en plus présent, observe Jean-Pierre Fourcat, vice-président de Sociovision Cofremca. Le “coucou, j'arrive” est devenu courant ».

En fait, il existe un grand décalage entre la cuisine quotidienne, relativement routinière, et les festivités du week-end qui font de la cuisine « un carnaval hebdomadaire », selon l'expression de François Ascher. Un “carnaval” où l'on s'investit de plus en plus, où l'on se doit d'être capable de faire soi-même et de faire original. Exit l'unique blanquette (pourtant plébiscitée plat préféré des Français, TNS Sofres pour Notre Temps), boeuf bourguignon ou autres plats traditionnels. Place aux tapas, mezze et dînettes concrétisés par le finger food. Les chefs s'y mettent d'ailleurs, à l'instar du nouveau restaurant d'Hélène Darroze, Le Boudoir, où l'on mange sans couverts, sur des plateaux. Le lieu n'est certes que parisien, mais bien révélateur de nouvelles approches culinaires. « Les Français ont réinventé la table de manière plus orientale, explique Laurence Bethines. Et recréent du coup de véritables liens sociaux. » Le repas devient prétexte. « Il est presque aussi important de pouvoir parler de ce que l'on a mangé que de manger », glisse même Monique Large, directrice associée de l'agence Dezineo.

Poussé à son paroxysme, c'est le phénomène des blogs culinaires, où l'on expose et met en scène sa cuisine, qui prend de plus en plus d'ampleur. En l'espace d'un an et demi, leur nombre est passé d'une dizaine en France, à plus de 500. « Dans les blogs, la cuisine prend plusieurs dimensions : sociale, ludique, technique, spectaculaire, réflexive et interactive », relève ainsi Claire Chapoutot, bloggeuse et observatrice de la blogosphère culinaire (“Les Blogs culinaires : quand Internet entre dans la cuisine”, Faire la cuisine, les cahiers de l'Ocha). Après avoir été un temps dénigrée au moment de l'émergence du féminisme, la cuisine redeviendrait donc valorisante. Elle permettrait même de faire rêver ses convives, d'être l'artiste d'un soir. François Ascher ose même : « La cuisine prend rang auprès des autres beaux-arts ». Comme les couturiers, les pâtissiers élaborent des collections, à l'image de Lenôtre qui s'associe avec créateurs et designers depuis une dizaine d'années pour ses bûches de Noël. Après Lolita Lempicka en 2005, ce sera au tour de Philippe Stark de dessiner la bûche des fêtes de fin d'année. « Le design culinaire est une tendance de plus en plus importante. Tout comme les nouvelles textures qui mélangent le beau et le bon », note Laurence Bethines.

Ce n'est donc pas un hasard si, désormais, « un tiers des Français souhaite manger des aliments qui changent », constate Céline Gallen, docteur en Sciences de gestion et maître de conférences à la Faculté de sciences économiques et de gestion de l'université de Nantes. Aujourd'hui, on veut vivre des expériences uniques, tant au niveau de l'assiette que de la façon de manger. On va par exemple tenter de manger à l'aveugle (restaurant “Dans le noir”) ou oser de nouvelles associations en jouant sur les textures ou les sonorités. « Pour autant, les Français sont tiraillés entre l'attrait de la nouveauté et le simili. Ils cherchent à découvrir des aliments qui les surprennent dans le goût ou le packaging, mais ils conservent des réticences car on a toujours à l'esprit que l'on devient ce que l'on mange », nuance Céline Gallen. Les innovations porteuses sont alors celles qui ont du sens, qui stimulent l'imaginaire et procurent des émotions. « On ne mange plus parce que l'on a faim, ou pas toujours. On recherche un supplément d'âme à travers la nourriture, à nourrir l'imaginaire », insiste Monique Large.

Donner du sens à ce que l'on mange

Nous ne nous contentons plus seulement de manger ce qu'il y a dans notre assiette, nous cherchons à connaître l'histoire des produits, voire à participer à celle-ci. C'est notamment le principe de l'Amap (Association pour le maintien d'une agriculture paysanne) où les consommateurs choisissent avec l'agriculteur les légumes à cultiver, le prix de la souscription et les modalités de distribution des produits. On cherche aussi à traduire nos engagements et nos valeurs par le biais de notre alimentation. Ce qui explique le succès des produits biologiques ou issus du commerce équitable : on ne mange plus pour se nourrir, mais pour se faire du bien. « Le “good for you, better for me” est plus que jamais d'actualité », résume Laurence Bethines. L'engouement des produits réalisés selon les préceptes religieux participe aussi à cette tendance. « Ce sont les jeunes qui poussent la croissance du marché, souligne ainsi Antoine Bonnel, organisateur des salons World food market et halal. Ils ont des demandes de plus en plus précises, sur les produits de base, mais aussi sur les plats cuisinés. En mangeant halal, ils revendiquent un sentiment d'appartenance à une communauté, qu'ils soient pratiquants ou non. »

Le fait de manger bio, équitable ou communautaire véhicule aussi une idée d'hygiène et de santé. Une notion de plus en plus prégnante dans les habitudes alimentaires, après les crises sanitaires de la vache folle et de la grippe aviaire, mais aussi de l'intensification des campagnes nutritionnelles et de prévention. « La place grandissante de l'alimentation dans la gestion de sa santé est de plus importante. 64 % des Français(1) éprouvent plus de plaisir à manger un produit sachant qu'il est bon pour la santé (contre 53 % en 1998) », glisse Sylvie Le Tadic, directrice d'études chez Sociovision Cofremca. Des chiffres corroborés par le Credoc dans son enquête de septembre 2005 : 85 % des ménages estiment que la manière dont ils mangent influence leur état de santé (contre 75 % en 1997).

Pour un adulte sur cinq, particulièrement les femmes de plus de 45 ans, la santé est d'ailleurs au coeur des choix alimentaires : le côté sain et équilibré prime sur la satiété. Une priorité que les industriels ont bien su exploiter avec la multiplication des aliments santé et minceur, dont le marché représente environ 3,7 % du secteur agroalimentaire selon Eurostaf. Il affiche cependant une croissance nettement supérieure à celles de l'agroalimentaire ou de la pharmacie (+ 13 % par an selon le Crédoc). Concilier beau, bon, sain, équitable et autres peut alors relever du casse-tête. « Le Français est beaucoup dans le paradoxe, confirme Monique Large. Il demande à la nourriture de lui procurer à la fois du plaisir, mais aussi des bénéfices nutritionnels ou curatifs. Il veut manger ce qu'il veut, mais avec les autres. Et tenter de nouvelles expériences tout en demandant une réassurance. »

Vers de nouvelles recettes

Face à ce paradoxe, à ce zapping alimentaire, aux marques de mettre leur grain de sel afin de concilier peurs alimentaires, angoisses récurrentes et tentations à tout va. « Les marques ont une mission fondamentale : être de véritables facilitateurs », note Laurence Bethines. Facilitatrices, donneuses de bon et beau, elles auraient tout à gagner « en réinvestissant la préparation culinaire », ajoute cette planneuse stratégique qui ne cesse de répéter à ses clients qu'il faut sortir d'une image figée. Un avis largement partagé par Edouard Malbois. « Il est nécessaire d'avoir des propositions vivantes, faisables de la part des industriels pour aller au-delà de l'offre actuelle qui ne couvre qu'un type de situation : les repas assis », explique ce découvreur de saveurs et de tendances alimentaires. La nouvelle “nouvelle” cuisine est donc prête. Aux industriels d'inventer des recettes. Jean-Michel Bouguereau en est convaincu dans son dernier ouvrage, Et si c'était bon ?. L'essai, qui dresse un état des lieux de la gastronomie et de nos habitudes alimentaires, nous met en bouche avec cette citation de Colette : « Si vous n'êtes pas capable d'un peu de sorcellerie, ce n'est pas la peine de vous mêler de cuisine. »

Les nouveaux imaginaires alimentaires

Dezineo, agence conseil en innovation, dégage quatre nouvelles tendances dans le domaine de l'alimentaire.

Greentech

Soucieux de sa santé et de son bien-être, l'individu recherche des produits qui le rassurent, issus de l'agriculture biologique ou qui peuvent se targuer d'une caution scientifique (alicaments). Tout réside dans la juste dose, l'équilibre et l'autodiscipline pour que l'alimentation soit un bienfait pour le corps. Exemples : les justes doses de Kellog's ; les tableaux nutritionnels de Quick et McDo ; le Florida's Seasons 52 où chaque plat ne dépasse pas 475 calories ; Danino, le yaourt qui rend intelligent en augmentant la capacité de mémorisation et de concentration (Canada) ; les probiotiques.

Histoire d'assiette

On ne mange plus seulement parce que l'on a faim. L'homme moderne cherche aussi à vivre des expériences et à nourrir son imaginaire. La mise en scène devient donc presque aussi importante que le goût. Cela passe par les mots dès la carte du restaurant ou le nom des nouveaux produits (“smashed grapes” pour dédramatiser le vin aux Etats-Unis). On cherche à connaître l'origine des produits, leur histoire (voir exemple ci-dessous de la Maison Bouey)… C'est aussi la tendance du “c'est moi qui l'ai fait”, avec le succès des ateliers de gastronomie ou encore la “glamourisation” de l'alimentaire avec les packagingsoeuvres d'art (Fauchon…) et les chefs artistes comme Ferran Adria.

Réinventer les rituels

Les repas se font moins rigides et moins codés, ils s'adaptent aux évolutions sociales modernes en multipliant les combinaisons et les contradictions. Slow et fast-food se côtoient, le fooding désacralise la gastronomie et l'on réalise de nouvelles expériences de tables, comme la nourriture en boule au Camper foodball à Barcelone.

Indulge Yourself

La gourmandise n'est plus un vilain défaut. L'individu se tourne vers des nourritures déculpabilisantes (allégées, sans sucre…) et des ivresses sensuelles : matières et textures érotisées, couleurs gourmandes, fragrances illicites, régimes aphrodisiaques…

L'influence de la nourriture sur les autres secteurs

La gourmandise est un code de la séduction qui peut être utilisé dans d'autres secteurs que l'alimentaire. Au Japon, où la recherche merchandising est particulièrement poussée, la nourriture est devenue source d'inspiration pour le créateur Issey Miyake qui a relooké ses devantures façon étals de marché, quand un opticien a, lui, eu l'idée de présenter ses lunettes sous des vitrines à pâtisseries. De quoi allécher le chaland…

La technologie aussi s'est emparée du phénomène : LG a créé le mobile “Chocolate” et Nintendo a lancé deux nouveaux jeux permettant de réaliser des recettes virtuelles ou d'assister les cuisiniers en herbe dans leurs vraies expériences culinaires. Sans parler des cosmétiques à base de chocolat, les bijoux à croquer, les fauteuils réalisés à partir de la technique de levage du pain ou les parfums à avaler…

 
Je m'abonne

AVA ESCHWÈGE ET BÉATRICE HÉRAUD

NEWSLETTER | Abonnez-vous pour recevoir nos meilleurs articles