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Le non-consommateur ou l'avènement de la consocratie

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Le consommateur français fait de la résistance. Finies les théories de comportement d'achat. Il attend des industriels, des distributeurs, des publicitaires une autre communication, non plus unilatérale, mais multilatérale et dialogale ! .

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Les Français ont repris en main leurs actes de consommation. Ils sont entrés en résistance : contre les théories qui tentent de modéliser son comportement et qui sont bien obligées de reconnaître l'incomplétude intrinsèque de leurs modèles et la part d'indécidable que renferme le comportement du consommateur ; contre les industriels comme les distributeurs ou encore les publicitaires qui tentent quelquefois, souvent en vain, de lui faire acheter n'importe quoi à n'importe quel prix. 60 % des Américains ont une image très négative du marketing et de la publicité, 65 % affirment qu'ils sont bombardés par trop de marketing et de publicité, 64 % sont inquiets des pratiques et des motivations des publicitaires et des marketeurs. Entre 2000 et 2004, le circuit hard discount a gagné 2,8 millions de foyers clients, et plus de deux millions de clients réalisent plus de la moitié de leurs achats sur ce circuit. Plus des deux tiers des foyers français ont franchi la porte d'un hard discounter au moins une fois dans l'année. D'après le Baromètre MDD (Institut Fournier/Ph. Breton Consultants), paru en septembre 2004, les marques nationales ont perdu “leur statut de leader et de référence”. Les marques de distributeurs classiques devancent les marques nationales sur de nombreux items, comme le plaisir, la fierté ; la sécurité sanitaire ; les promotions ; même sur la qualité gustative, elles font jeu égal avec les marques nationales. Seul point positif : l'esthétisme des emballages ! 19 %, c'est, selon l'étude Megabrand de TNS Sofres, le pourcentage des Français qui rejettent toutes les valeurs de la marque. 24 % y sont totalement indifférents. Ce sont donc 43 % de Français qui ne s'intéressent plus aux marques. 95 % des personnes interrogées souhaitent qu'une grande marque “démontre en quoi elle est supérieure” et elles sont de plus en plus convaincues que les grandes marques “ne s'intéressent qu'à leur rentabilité”.

Le consommateur pose ses conditions

D'aucuns pourraient ne voir là qu'un simple épiphénomène conjoncturel et temporaire. Il n'en est rien. Désormais, le consommateur pose ses conditions : le prix, la sécurité, le service rendu et, depuis peu, des valeurs éthiques et environnementales. Enfin, le consommateur porte un regard plus critique sur la publicité et, de même qu'il est libre de choisir ses marques et ses enseignes, il va décider d'écouter ou non les messages publicitaires. Avec les MP3, les Tivo, les RSS, le podcasting, le wiki ou le moblog, les consommateurs peuvent créer un univers médiatique propre. Comme le reconnaît Emilie Darlet, « c'est la première fois que le territoire des marques est menacé ». Avec le numérique, les consommateurs ont aujourd'hui trouvé les moyens de ne plus être les simples réceptacles des messages publicitaires ; ce sont désormais aux annonceurs à les convaincre et à les conquérir. Déjà en 1999, dans son édito du Marketing Book, Babette Leforestier expliquait que c'est le consommateur « qui va donner la permission à la marque ou à l'enseigne de s'adresser à lui ». Un des phénomènes marquants de ces dernières années en ce qui concerne le comportement de consommation me paraît être ce que j'ai nommé le désenchantement pragmatique. La consommation des ménages a été et reste le principal moteur de la croissance économique de cette décennie mais l'image d'Epinal de la société de consommation est aujourd'hui largement écornée. Exit l'idée d'un épanouissement de soi qui passerait par une consommation effrénée. Sans disparaître, les composantes hédonistes (plaisirs intellectuel, esthétique et sensoriel) ont perdu de leur superbe. Une des manifestations de cette forme de désenchantement est celle qui touche actuellement l'attitude des Français face aux marques nationales. Selon l'étude Megabrand de TNS Sofres, le pouvoir de conviction des marques nationales a perdu trois points entre 1997 et 2002. L'acceptation de la prime de marque a reculé, passant de 27 % en 1994 à 21 % en 2002. Troisième élément à souligner, la perte de crédibilité des grandes marques, en particulier en ce qui concerne la compétence et l'attention à l'environnement comme aux clients. Dernier élément : 87 % des personnes interrogées attachent davantage d'importance aux caractéristiques du produit qu'à la marque. L'étude qualitative RIO de Research International confirme que l'expérience produit redevient prépondérante. La seule référence à l'imaginaire ou au symbolique n'est plus un critère d'achat aussi déterminant qu'auparavant, même si elle ne disparaît pas ; traduisant l'infinie complexité de la démarche du consommateur, mixant dans un même mouvement des attentes profondément diverses, parfois contradictoires, voire antagonistes. En résumé, on pourrait citer cette réflexion d'un concessionnaire automobile au sujet de la nouvelle Renault Logane : « Cette voiture, ce n'est pas le vendeur qui la vend, c'est le client qui l'achète. » Peut-être doit-on également s'interroger sur la possible concomitance de cette reprise en main du consommateur avec ce que J. Ziegler définit comme l'insurrection des consciences. Ici, cette “insurrection” relève davantage d'une réappropriation de la décision d'achat par le consommateur. C'est un peu ce qu'exprime de façon plus feutrée, le président-directeur général du cabinet Théma, Eric Foulquier, lorsqu'il déclare qu'il sent émerger « une forme de politisation de la consommation ».

Une rupture paradigmatique

Le sociologue Michel de Certeau est certainement un de ceux qui a le mieux, et le plus tôt, perçu et saisi toute la puissance de l'acte de consommation : « Ces manières de faire constituent les mille et une pratiques par lesquelles des utilisateurs se réapproprient l'espace organisé par les techniques de la production socioculturelle [...] il s'agit de distinguer les opérations quasi microbiennes qui prolifèrent à l'intérieur des structures technocratiques et en détournent le fonctionnement par une multitude de tactiques articulées sur les détails du quotidien ; [...] d'exhumer les formes subreptices que prend la créativité dispersée, tactique et bricoleuse des groupes ou des individus pris désormais dans les filets de la surveillance. Ces procédures et ruses de consommateurs composent, à la limite, le réseau d'une anti-discipline » (L'invention du quotidien, Folio, 1990, p. XL). Cette non-consommation constitue une rupture paradigmatique. Même s'il est nourri par des facteurs exogènes, tels que la permanence de la crise économique caractérisée, pour les consommateurs, par une stagnation du pouvoir d'achat, si ce n'est une baisse, et donc par un renforcement des arbitrages budgétaires, cet acte s'enracine dans des modifications profondes et irréversibles du comportement du consommateur. Exit la croyance innocente dans la marque, dans l'omnipotence de la technologie ou dans la véracité des discours marketing ou publicitaires. Le regard et les pratiques sont devenus des actes critiques. C'est bien de la naissance d'une consocratie à laquelle nous sommes conviés, la “consumer democracy” qu'annonçait déjà Sergio Zyman, ancien patron du marketing chez Coca-Cola.

Une réaction pleine de promesses et d'espoirs

La résistance que nous voyons poindre dans les pratiques quotidiennes et les gestes les plus routiniers représente une réaction positive, saine, pleine de promesses et d'espoirs. Parce qu'elle véhicule des attentes et des espérances riches d'avenir, même si, bien souvent, elles restent au seuil du déclaratif et peinent à se concrétiser dans l'acte d'achat  : respect de l'environnement et des règles éthiques, quête de sens, attente de réponses à des questions profondes sur les fondements de l'humanité. Le non-consommateur ne rejette pas la consommation en tant que telle ; ce qu'il conteste c'est d'être réduit à un simple réceptacle de messages marketing ou publicitaires. La résistance du non-consommateur est à la fois le révélateur de ses attentes, de ses refus, de ses espérances et résonne comme un appel aux industriels et aux distributeurs pour une autre communication, non plus unilatérale, mais multilatérale et dialogale ! Les conséquences pour le mix sont nombreuses : pour le marketing, envisager le consommateur dans toute son épaisseur et sa complexité immanente ; pour la communication, mettre en valeur les vraies qualités des produits et des services sans forfanterie ni faux-semblants ; pour les médias, prendre toute la mesure des effets induits par l'arrivée irrémissible du numérique.


It's time for marketers to focus their business models on how to better deliver the kind of marketing that consumers really want, instead of assuming that consumers are happy with fending off a daily deluge of marketing. The era of consumer resistance and control has begun.J. Walter Smith (président de Yankelovich) Le consommateur, dans son infidélité à ses habitudes de consommation, échappe à la prévision de l'industriel, de l'annonceur, du publicitaire. Jean-Marc Lech (co-président d'Ipsos)
Le consommateur se montre rebelle à tout fichage systématique de ses goûts et de ses achats. Robert Rochefort  (directeur du Credoc) Le consommateur prend ses distances. Le lien entre la consommation et la publicité s'est distendu. Vincent Leclabart (président d'Australie)
Avant, les annonceurs cherchaient à faire du one-to-one. Aujourd'hui, c'est le consommateur  Laurent Lilti (président d'OgilvyOne Paris)

 
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Par Rémy Sansaloni, responsable observatoire marketing, TNS Media Intelligence

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