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Le musée, un nouveau moteur pour les villes ?

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Après Bilbao et Londres, les grandes villes misent sur la création de musées pour développer de nouvelles politiques d'urbanisme. Une stratégie totalement intégrée par la fondation Guggenheim qui en profite pour faire financer ses musées.

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Lors de l'inauguration du musée du Havre en 1961, censé symboliser la renaissance d'une ville entièrement détruite par la guerre, André Malraux, alors ministre de la Culture, déclarait : « Ce musée est incontestablement l'un des plus beaux musées de France... Il n'y a pas une maison comme celle-ci au monde, au Brésil, ni en Russie, ni aux Etats-Unis. Souvenez-vous Havrais que l'on dira que c'est ici que tout a commencé. » Trente-six ans plus tard, en 1997, une autre ville portuaire, Bilbao voyait elle aussi s'ouvrir un musée destiné à modifier son image de ville industrielle affaiblie par la crise de la sidérurgie. En 2000, le musée Guggenheim de la capitale basque accueillait 1,3 million de visiteurs alors que ses responsables n'en attendaient que 400 000. Des visiteurs attirés autant par les collections présentées, que par l'architecture extraordinaire du bâtiment imaginé par l'Américain Franck Gehry. Bilbao a profité de cet événement pour remettre à plat tout l'urbanisme de la ville, comme l'avaient fait avant elle Barcelone et Séville à l'occasion des Jeux Olympiques et de l'Exposition Universelle. Ainsi, dès 1995, une première ligne de métro, dessinée par le Britannique Norman Foster, avait été inaugurée. L'arrivée du musée a chassé le port du centre ville, l'obligeant à s'installer à l'embouchure du fleuve, et les emprises foncières des sociétés de chemins de fer ont été rachetées afin de créer un nouveau quartier avec immeubles de bureaux, hôtel et logements. Le coût total de ce réaménagement est estimé à 3,6 milliards d'euros (600 milliards de pesetas) dont une part non négligeable versée à la Fondation Guggenheim (voir page suivante). Malraux avait raison ; les musées sont au coeur du marketing urbain mais aussi des nouvelles politiques d'urbanisme.

Rééquilibrer les pôles


« Les musées participent à des cycles de valorisation des villes et de leurs quartiers, expliquait l'historien Jean-Louis Cohen, lors d'une rencontre organisée par l'Institut français d'architecture. Mais ils sont également un vecteur puissant de la première industrie mondiale : le tourisme. » Londres a ainsi misé sur la Tate Modern pour revitaliser la rive sud de la Tamise, et rééquilibrer ainsi l'offre culturelle de la capitale dont les principales attractions touristiques (National Gallery, Westminster, Tour de Londres, British Museum) sont au nord du fleuve. « Il semble que la Tate Modern doive se comprendre comme le Beaubourg d'Albion », remarque le critique d'art Jean-Claude Garcias. Reste à savoir si la nouvelle Tate réussira à animer une rive droite qui fut naguère vouée aux spectacles marginaux (le théâtre du Globe) et aux activités portuaires et industrielles. A la différence de Beaubourg qui fait face à la ville, la Tate fait face à la City quasi dépourvue d'habitants ? Et de se demander si « on peut compter sur les seuls touristes, si nombreux soient-ils, pour réorienter au sud l'urbanisme de Londres ». Ce qui est certain, en revanche, c'est que les musées sont devenus de vrais pôles du tourisme urbain. L'année dernière, les musées français ont ainsi accueilli environ 51 millions de visiteurs, dont 6,1 millions pour le seul musée du Louvre. Aujourd'hui, le musée est devenu le deuxième lieu culturel des Français après le cinéma, mais devant les monuments historiques et les bibliothèques. Des réalités qui expliquent que le projet d'aménagement de l'Ile Seguin à Boulogne-Billancourt, sur les friches industrielles de l'ancienne usine Renault, soit totalement organisé autour de la Fondation d'art moderne et contemporain de l'homme d'affaires François Pinault. Se développant sur 35 000 m2, le musée va peser sur l'ensemble de l'aménagement des terrains. « Si l'on fait du logement, des lieux de formations, ou d'autres lieux de culture sur l'île, il faut qu'ils entrent en résonance avec le projet de François Pinault », explique très clairement François Barré, ancien président du centre Pompidou, et aujourd'hui directeur de programme de la fondation Pinault. Côté architecture, la fondation a lancé un concours faisant appel aux plus grands architectes dont le Japonais Tadao Ando qui, avec son architecture minimaliste et dépouillée, fait aujourd'hui figure de favori.

Un enjeu stratégique


Plus aucune grande ville au monde n'imagine son futur sans s'interroger sur la place de ses musées tant sur le plan de l'aménagement urbain que sur celui de son offre touristique. Si un musée est rarement rentable, il occupe dorénavant une place incontournable dans la compétition que se livrent les villes entre elles. L'agrandissement du musée de la Reine Sofia à Madrid, confié à l'architecte français Jean Nouvel, a clairement vocation à inscrire Madrid dans une nouvelle modernité. La stratégie développée par la ville de Munich n'est pas très éloignée. En 2002, ouvrira en effet, la Pinacothèque d'art moderne, constituée de quatre musées actuellement éparpillés ; le musée d'Art moderne, celui des Arts appliqués et du Design, le musée de l'Architecture et un autre consacré aux expositions d'oeuvres graphiques. Ce nouvel ensemble de 17 000 m2 installé près des musées historiques de la ville, va donner naissance à l'un des plus prestigieux quartiers de musée du monde, digne du Mall de Washington. Néanmoins, comme le fait remarquer Thomas Gaehtgens, du Centre allemand d'histoire de l'art « l'effort d'investissement de Munich pour l'art moderne ne s'explique pas seulement par des considérations urbanistiques, la municipalité y voit également et surtout un vecteur commercial fort, en liaison avec l'industrie et les technologies de pointes propres à la ville. » Mais si les villes profitent des musées, l'inverse est aussi vrai. La stratégie développée par la fondation Guggenheim est à ce titre tout à fait "exemplaire" puisqu'elle est en train de faire financer une partie de son développement par les collectivités locales qui l'accueillent. Le musée Guggenheim de Bilbao (100 millions de francs) a ainsi été entièrement financé par la région basque. Par ailleurs, la fondation a reçu quelque 50 millions de dollars de subvention de la région auxquels s'ajoutent 20 millions de dollars pour l'organisation de grandes expositions. La région de Bilbao a certes profité de la manne touristique du musée, mais la Fondation y a également retrouvé un nouveau souffle et une nouvelle attractivité lui permettant de financer son développement. La Deutsche Bank s'est ainsi engagée à lui verser 1,4 million de dollars pour financer les expositions temporaires dans le nouveau musée de Berlin, installé sur Unter den Linden. A New-York, où la fondation exploite actuellement deux musées, le futur musée, qui ouvrira sur les rives sud de l'East River à Manhattan en 2003, sera entièrement financé par un vaste programme immobilier. Le nouvel ensemble, conçu par Franck Gehry, comprendra un musée de 20 000 m2, mais également une tour de 40 étages, un lac artificiel, devenant patinoire pendant l'hiver, et bien sûr un vaste mall commercial comportant de nombreux "food courts". Les élus new-yorkais espèrent que l'arrivée de Guggenheim, dans ce quartier de la ville, produira le même effet que celui de l'arrivée de Disney à Times Square.

Développer un grand musée virtuel sur Internet


Ces nouveaux musées permettront à la Fondation de mieux faire tourner les 8 000 pièces de son fond, dont seulement 5 % sont exposées. Actuellement Thomas Krens, son patron, serait en négociation avec les villes de Pékin et de Séoul pour s'implanter en Asie. Pour lui les choses sont claires : « Guggenheim doit devenir la première marque mondiale de musées ». Il a ainsi confié récemment une mission à l'architecte hollandais Rem Koolhaas pour développer dans un hôtel de Las Vegas un nouveau musée en partenariat avec l'ermitage de Saint-Peterbourg. Par ailleurs il souhaite développer l'un des plus grands musées virtuels du monde sur le réseau Internet.

MUSÉES, DE LA BOUTIQUE À L'ENSEIGNE


Musées ou magasins ? La question peut légitimement se poser aujourd'hui, face à la stratégie très offensive de nombreuses enseignes commerciales vers les musées. Ainsi aux Etats-Unis, la croissance des espaces commerciaux dans les musées ont augmenté de près de 30 % depuis 1992, alors que celle des salles d'exposition ne progressait que de 3 %. Si en France aucun chiffre n'est disponible, le succès du Carrousel du Louvre prouve que musée et commerce peuvent faire bon ménage. Une enseigne comme Nature et Découvertes mise ainsi une partie de son développement sur les musées. Après avoir ouvert un premier point de vente au Palais de la découverte, François Lemarchand teste avec Explorus, un nouveau concept à la Cité des Sciences et de l'Industrie de la Villette. Outre des jeux d'éveils pour les plus jeunes, un vaste coin librairie a vocation de toucher tous les publics intéressés par les sciences. Parallèlement, des grandes enseignes françaises signent des accords avec des musées pour monter des expositions temporaires dans leurs magasins. Récemment, le Printemps s'est ainsi vu prêter, par la Royal Academy de Londres, trente-deux oeuvres dont des Gainsbourough, Turner et Reynolds pour une exposition temporaire sur l'art anglais. De son côté, Carrefour a signé en 1999 un accord avec le Musée du Louvre pour que celui-ci l'aide à concevoir des expositions itinérantes pour ses hypermarchés. La première exposition, qui tourne actuellement dans les magasins, est consacrée à l'Egypte. Au Japon certains grands magasins abritent des étages entiers consacrés aux expositions artistiques. Bientôt peut-être parlera-t-on de "museumtainment" ?

 
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François Bellanger

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