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Le mobile, doudou du XXIe siècle

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En quelques années, il a l' investi nos vies privée, amoureuse, amicale et professionnelle. Il est devenu indispensable. Sans lui, nous nous sentons perdus. Le téléphone portable occupe une place à part dans l'univers des objets technologiques et une place de choix dans notre quotidien.

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Sophie Pernet (ldate):

«Le mobile s'est diffusé dans toutes les couches de la population.»

Il nous réveille le matin, nous donne l'heure, nous informe de notre emploi du temps de la journée, nous permet de rester en contact avec nos proches quel que soit l'endroit où nous nous trouvons. Le soir en nous couchant nous l'éteignons et dès le réveil nous l'allumons. En très peu de temps, le téléphone portable est devenu notre objet fétiche quotidien, posé chez nous sur la table de nuit ou le guéridon de l'entrée. Rangé dans le sac ou la veste avec les clés de la maison. Posé à côté de sa souris d'ordinateur au travail. Il nous suit partout, comme un fidèle animal de compagnie, voire le doudou de notre enfance. Dans son étude sur le mobile réalisée en 2004, le Gripic (Groupe Interdisciplinaire sur les Processus d'Information et de Communication), groupe de recherche du Celsa, souligne que le téléphone mobile «est à ce point intégré dans notre environnement quotidien qu'il apparaît finalement comme un objet auquel on doit offrir un emplacement consacré. A la manière des clés pour lesquelles toute une série d'accessoires a été inventée, le mobile a désormais sa pochette dans les sacs à mains«. Pas de doute, il s'est installé dans nos vies, transformant au passage notre relation aux autres et nos comportements.

Et pourtant, l'objet est récent. Il remonte à 1992. Fran cis Jauréguiberry, sociologue et professeur à l'Université de Pau, affirme: «Jamais auparavant une innovation technologique n'avait connu un tel succès, aussi rapidement et à une telle échelle.» En une quinzaine d'années, il est parvenu à entrer dans la vie de trois Français sur quatre. En février 2006, 65% d'entre eux détenaient au moins un téléphone mobile personnel (Source: Idate). Et en 2010, ce chiffre devrait atteindre 73% de la population. Sophie Pernet, chef de projet de l'étude Use IT à l'Idate, note que le budget mobile a pris une place importante dans le portefeuille des familles, représentant 41% du budget services TIC, à côté de la télévision, du téléphone fixe, d'Internet, ou encore de l'achat de DVD, de CD et de jeux vidéo. «C'est un nouveau budget, précise-t-elle. Les ménages ont arbitré en faveur du mobile, en rognant sur d'autres postes.» Une remarque qui ne vaut pas que pour les hauts revenus.

16% des équipés mobiles n'ont pas de ligne fixe. Un phénomène stabilisé. (Source: Idate)

Le mobile devient le doudou des adultes, symbole de l'affection que l'on porte à ses proches.

@ (c) Nokia

Le mobile devient le doudou des adultes, symbole de l'affection que l'on porte à ses proches.

Un mobile pour tous

Car voilà, le téléphone portable n'est pas une affaire de classes sociales. Il touche l'ensemble de la population, aussi bien les cadres que les ouvriers: «C'est un produit à la démocratisation fulgurante. Il s'est diffusé dans toutes les couches de la population», remarque Sophie Pernet. Dans la deuxième édition de l'Observatoire Sociétale du Téléphone Mobile, l'Afom (Association française des opérateurs mobiles) et TNS Sofres remarquent également que, contrairement à d'autres objets communicants qui sont des «marqueurs sociaux», le mobile se distingue par sa présence dans toutes les catégories sociales. C'est donc un phénomène profondément universel. Il est bien loin le temps où arborer un portable revenait à prouver son statut social et professionnel. Gérald Gaglio, post-doc en sociologie à l'Université de Technologie de Troyes et auteur d'une thèse sur le sujet, précise: «Dans les années 95-96, il existait une suspicion d'un mensonge sur le statut de la personne possédant un portable

Le mobile était-il légitime? Son possesseur n'était-il pas un frimeur? «Aujourd'hui, ceux qui sont regardés avec suspicion sont les gens qui n'en possèdent pas.» Et d'ajouter: «En quelques années, il est devenu normal et naturel de posséder cet objet.» Gérald Gaglio distin gue ainsi trois étapes: tout d'abord la genèse, puis la cristallisation avec la mise en oeuvre de pratiques sociales et enfin, aujourd'hui, la transformation de cette normalité. «Il ne s'agit plus déposséder un téléphone portable, mais un certain type de portable, et de l'utiliser d'une certaine façon», souligne-t-il.

L'Afom et TNS Sofres parlent à ce sujet de trois générations pour qui les usages, la relation et les valeurs associés au mobile diffèrent. Pour les 12-24 ans, la relation avec le téléphone portable est affective et inconditionnelle, alors que, pour les 25-39 ans, elle est davantage ancrée dans le fonctionnel et le rationnel, et pour les 40 ans et plus, purement utilitaire et même distanciée. Un classement qui ne fait pas l'unanimité. Ainsi, Gérald Gaglio préfère distinguer les usages du mobile non pas en termes d'âge mais en termes d'«étapes de vie». Une jeune fille de vingt ans qui est étudiante, et une autre jeune fille du même âge qui travaille n'auront pas du tout la même . relation avec leur portable. «L'étape de vie est discriminante pour l'utilisation des fonctionnalités», stipule Gérald Gaglio. Il n'est ainsi plus besoin de présenter l'utilisation qu'en font les lycéens, accros aux SMS et au langage texto. Le portable aurait même, pour certains, remplace la cigarette en tant que symbole du passage à l'âge adulte! Il leur permet de s'émanciper, de gagner en autonomie, de sortir du cocon familial, de se choisir un groupe d'amis. Selon Alice Holzman, directrice marketing des offres grand public chez Orange, «le mobile représente aux yeux des plus jeunes un outil magique, une porte ouverte sur le monde».

Pour beaucoup, sans leur portable, ils n'existent plus! Alors que pour les plus de 60 ans, il est davantage perçu comme un objet sécurisant.

Les Français en recherche de simplicité

Une étude réalisée par Nokia dans 21 pays en deux vagues (d'octobre 2004a mars 2005 et d'octobre 2005 à mars 2006), révèle notamment les principales caractéristiques du marché français du mobile par rapport au marché mondial. L'achat d'un mobile s'y fait de manière beaucoup plus rationnel, le téléphone étant considéré davantage comme un outil que comme un appareil aspirationnel. Les Français remplacent également moins souvent leur téléphone portable, mais l'utilisent légèrement plus que la moyenne mondiale. Les «SimplicitySeekers» (personnes en recherche de simplicité) sont, en outre, surreprésentés en France, constituant le segment le plus large de la population. La priorité réside dans la simplicité d'utilisation. Pour les Français, le téléphone portable n'est pas considéré comme un moyen d'étaler leurs connaissances technologiques, ni de refléter leur position dans la société. Enfin, ils sont plus enclins à éteindre leur mobile ou à couper la sonnerie afin d'être poli et de protéger leur vie privée.

Un mobile miroir et multitâche

Reste que, quelle que soit la génération concernée et quel que soit l'usage que l'on en fait, le portable a radicalement bouleversé notre quotidien. Pour le meilleur comme pour le pire... Le mobile a indéniablement créé un «avant» et un «après». D'ailleurs, alors qu'auparavant nous nous débrouillions très bien sans lui, aujourd'hui, nous nous demandons, très souvent, comment nous faisions. Car, à côté de sa fonction première, il nous sert de réveil, de boussole, d'agenda, de mémo, de passe-temps, de montre, de carnet d'adresses, d'appareil photo, de caméra, de télévision portative, de baladeur, de console de jeux, de moyen de paiement, etc. Multiusage, il est aussi un reflet de soi. S'il est produit en masse, il devient rapidement un objet unique que 1 on personnalise a son image. Il se transforme alors en un grigri, que l'on peut même porter autour du cou comme un bijou. On le soigne, on le décore, on le tripote à longueur de journée. Ce qui fait dire au sociologue Julien Morel dans un article de la revue Réseaux que nous avons un rapport quasi charnel avec le mobile: «Que dire, en effet, de ces caresses fréquentes, préhensions, contemplation qui visent la totalité de l'appareil? Notons une préférence pour l'écran, surface interactive vivante, qui, même manifestement propre, est nettoyée par un balayage du pouce ou de index.» Avant, au travail, on mordillait un stylo, aujourd'hui on préfère manipuler son portable.

Il permet également d'amener au bureau un peu de son univers privé. Le Gripic note ainsi l'exemple d'un chef de projet pour qui le mobile rappelle «qu'il y a une vie hors du travail» et le relie en pensée à la commu nauté indistincte de ses proches. L'objet joue pour lui le rôle d'une photo d'enfant posée sur le bureau. C'est un cordon ombilical en somme. Francis Jauréguiberry évoque le «cocooning téléphonique», et précise que le mobile permet d'être «rassuré par des êtres chers à des moments difficiles de la journée». Le portable modifie donc notre rapport au temps et à l'espace. Ainsi, Gérald Gaglio le définit comme «l'objet de l'action, de la réaction, de la réponse immédiate, de l'instantanéité». Un objet qui nous a rendus tous terriblement impatients. Nous ne supportons plus les files d'attente. Et si, par malheur, il faut patienter, le temps est alors systématiquement optimisé: nous passons un coup de fil, nous jouons avec notre mobile... Si nous attendons un rendez-vous au restaurant, le mobile sert d'alibi, de passe-temps. Nous le posons sur la table, vérifions notre messagerie. Il nous occupe les mains et l'esprit. «Grâce au mobile, je reprends le contrôle de mes temps morts, précise Joëlle Menrath, dirigeante de Discours et Pratiques. C'est un outil qui permet de métamorphoser la situation dans laquelle je suis. C'est du temps sur lequel j'agis.» Sans pour autant nous faire oublier le lieu où nous nous trouvons. «Je ne crois pas du tout à l'ubiquité, stipule Joëlle Menrath. Quand on téléphone à un arrêt de bus, on entend les bruits de la ville, on regarde autour de soi, on regarde les vitrines... Donc on ne s'évade pas du lieu dans lequel on est. Au contraire. Dans tous types de lieu, on observe que les gens ont une attention suraiguë aux conditions sonores et matérielles.»

Le mobile joue sur le temps et l'espace

Cependant, le téléphone portable a aussi ses travers. Pour Gérald Gaglio, il met à mal la planification: «On délègue son organisation à l'objet mais parfois un peu trop. On va moins prévoir sur un temps long ce qui peut générer des effets pervers.» Une idée que partage Gérard Mermet dans Francoscopie 2007: «La notion de planification tend à disparaître au profit d'une gestion de la vie «en temps réel» faite d'improvisations, d'ajustements et de changements successifs. Ainsi, la possibilité d'appeler pour dire que l'on va être en retard à un rendez-vous n 'incite guère à la ponctualité.» Et d'ajouter: «Le portable modifie aussi le rapport à l'espace: on peut grâce à lui être présent, au moins virtuellement, à plusieurs endroits en même temps. Il illustre et amplifie le mouvement récent et déplus en plus apparent vers un mélange de la vie personnelle, familiale, professionnelle, sociale. Avec les avantages et les inconvénients que cela implique: amélioration de l'efficacité par la 'joignabilité«, mais accroissement de la »corvéabilité« et de la »traçabilité«.»

Ainsi, la frontière entre la vie professionnelle et la vie privée se trouble. Que serait la série 24 h Chrono sans la présence du téléphone portable? Son héros, Jack Bauer, y est passé maître dans la gestion simultanée des problèmes inhérents à sa vie privée et à sa vie professionnelle. Et les problèmes de réseaux, de batterie, bref d'injoigna- bilité, constituent un des ressorts dramatiques de la série. «Le mobile ne fait pas tomber les barrières entre le privé et le professionnel, mais il les rend plus poreuses», observe Gérald Gaglio. La sphère privée pénètre dans l'univers professionnel. Et inversement on devient joignable à son domicile, en dehors de ses heures de travail. L'objet affectif peut apparaître alors comme profondément intrusif. Dans Le Diable s'habille en Prada, l'héroïne Andréa voit sa vie privée complètement bouleversée par son nouveau travail, son temps libre étant constamment perturbé par les coups de téléphone de sa patronne Miranda. Le portable devient alors un objet de stress quotidien, la sonnerie symbole de problèmes à surmonter. Au lieu d'avoir une relation affective avec son mobile, Andréa finit par avoir de l'aversion pour cet objet qui lui impose d'être joignable 24 heures sur 24, sept jours sur sept. C'est un cas extrême. Alice Holzman signale ainsi que les utilisateurs sont devenus plus matures. Ils savent agir sur la joignabilité. «Avant, il pouvait être considéré par certains comme un fil à la patte, souligne- t-elle. Ce qui est maintenant marginal.» Les clients jouent sur le transfert d'appel, utilisent l'affichage du numéro pour décider d'y répondre ou non, mettent leur téléphone sur vibreur... Le filtrage des appels n'est plus tabou. Elle conclut: «Le mobile retrouve son rôle: être à disposition des utilisateurs», et non l'inverse.

Maître ou esclave?

L'utilisateur en serait-il devenu maître? Pour Joëlle Menrath, il ne serait ni maître ni esclave de son mobile. Elle définit le portable comme «un outil qui nous contraint à prendre la maîtrise des situations que l'on vit». L'utilisateur doit, en effet, constamment évaluer la situation dans laquelle il se trouve, pour décider s'il peut répondre à son portable, s'il doit le mettre sur vibreur, s'il doit l'éteindre... «Nous nous créons des séquences de temps en fonction des priorités que nous avons, ajoute-t-elle. Le portable est un outil qui nous force à établir un ordre de priorité à chaque instant.» Si auparavant, l'homme pouvait sembler contraint de répondre à son téléphone, aujourd'hui, il est passé maître dans la gestion de son «injoignabili té». Joëlle Menrath pour- h suit: «Le portable est devenu un symbole avant d'être un outil de joignabilité. Dans la réalité, la disponibilité se négocie à chaque moment. Elle n 'est jamais donnée. Il nous a été vendu comme l'outil de la joignabilité alors qu'en fait aujourd'hui il est plutôt utilisé comme l'outil de la communication non intru- sive.» Et de conclure: «Nous pensons ordinairement que nous sommes toujours joignables et davantage en lien avec les autres. En fait, les gens passent leur temps à développer des stratégies pour se rendre injoignable.»

C'est pourtant un objet dont nous retirons des bénéfices en termes relationnel. Si beaucoup de gens commencent souvent par critiquer le portable en affirmant qu'il constitue «la fin du lien social», que «nous ne communiquons plus ensemble, étant tous accrochés à notre petit portable, que nous vivons dans des bulles», il est dans la réalité considéré de manière positive. Pour Joëlle Menrath, «le mobile est un moyen d'exprimer son inquiétude», en termes de manque de civilité, de manque de morale... Ce qui explique ce décalage entre le discours et la pratique. Le portable devient alors un bouc émissaire.

Alice Holzman pointe le fait que le mobile «a renforcé les liens entre les générations», créant davantage de connivence et de contacts entre les plus âgés et les plus jeunes, par exemple entre les grands-parents et leurs petits-enfants, «qui les accompagnent dans la découverte de leur mobile». Les parents divorcés en raffolent également, permettant à chacun de joindre ses enfants sans passer forcément par son ancien conjoint. Selon Gérald Gaglio, le mobile est «un fabuleux instrument de mise en relation». Aussi les Français estiment-ils que le portable facilite les échanges et renforce les liens familiaux. Pour l'Afom et TNS Sofres, «il apparaît que le téléphone mobile participe d'une dynamique de protection de soi et de ses proches dans un climat de pessimisme.» Il devient ainsi une sorte de «doudou commun» qui permet à la famille et au cercle d'amis de rester connectés ensemble, quelle que soit la distance qui les sépare, et d'être en situation de confiance et de réassurance. Mais si le portable est un outil social, il n'en est pas moins un objet individuel. Personnel, il ne se prête pas, ou qu'à de rares occasions. «Pour les 1 7-25 ans, il est pour moi et rien que pour moi», souligne Alice Holzman. Gérald Gaglio abonde dans son sens, affirmant que l'intérêt du téléphone portable est d'être personnel avant même d'être mobile.

Sur ce sujet, lisez aussi
- «Les trois générations du mobile»sur l'Observatoire sociétal du téléphone mobile. (MM10S, nov.2006)
- «Mobile à tout faire». (MM 104, mai 2006) marketing.fr

Alice Holzman (Orange): «Le mobile a renforcé les liens et les contacts entre les générations.»

Alice Holzman (Orange): «Le mobile a renforcé les liens et les contacts entre les générations.»

Un objet paradoxal

Bien souvent, le portable est utilisé de manière sédentaire, chez soi ou au bureau. Et même lorsqu'il est remplacé, l'ancien reste toujours présent. Ainsi, d'après l'étude réalisée par l'Afom et TNS Sofres, 30% des Français conservent leur ancien portable, 28% préfè rent le donner à un proche et 14% le rapportent au magasin. Signe, s'il en fallait, que l'utilisateur entretient bien une relation anective avec lui. Frappé du «sceau de l'ambivalence et de l'ambiguïté», selon les termes de Gérald Gaglio, le consommateur accepte cette double face. Il le rend, en effet, à la fois plus libre tout en engendrant de l'addiction, chacun se sentant perdu quand il oublie son portable chez lui. Il représente à la fois un lien social tout en étant un objet profondément individuel et personnel, quasiment autobio graphique. Il permet de parler a ses proches a distance et constitue également un vaste sujet de conversation entre nous. Il y a deux ans, le Gripic notait que le mobile était une «machine à faire parler les Français». Chacun se plaît, en effet, à raconter ses anecdotes sur l'usage de son portable, à comparer le design et les fonctionnalités de son appareil avec celui du voisin. Le mobile a, selon les termes de l'Afom, «une vie que l'on se plaît à raconter parce que c'est un peu notre vie, et parce qu'il tient lieu d'indice de civilité. Cet objet de discours cristallise de nombreux questionnements sur ce que signifie vivre ensemble».

 
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Aurélie Charpentier

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