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Le couple R&D et marketing doit mieux fonctionner

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La 8e édition du Mercator vient d'être publiée et rend compte des dernières évolutions du marketing. Pour Jacques Lendrevie et Julien Lévy,coauteurs de l'ouvrage, le marketing est désormais l'affaire de tous dans l'entreprise. Et l'innovation produit est au coeur de la création de valeur.

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Vous venez de publier le Mercator, huitième du nom. Quelles en sont les principales nouveautés ?

Jacques Lendrevie : Les évolutions du Mercator correspondent toujours aux évolutions du marketing. Internet et ses potentialités ont donc été naturellement analysés depuis deux éditions, non pas comme une révolution du marketing, car les principes fondamentaux restent tout à fait les mêmes avec ce nouvel outil, mais comme une nouvelle donne puisque le Web modifie surtout les rapports de force entre producteurs et distributeurs ainsi qu'entre producteurs et consommateurs. Le Net offre des possibilités nouvelles mais n'a pas bouleversé fondamentalement la conception du marketing. C'est pourquoi nous n'avons pas écrit de chapitre sur ce média et l'avons intégré tout au long de l'ouvrage.

Julien Lévy : Le livre présente également de nouveaux développements sur le low cost qui nous paraît très important non pas seulement en politique de prix mais aussi en stratégie marketing. Le chapitre distribution évolue également beaucoup, ainsi que les relations entre marques et distributeurs.

Vous jouez cette année la carte multisupport avec un livre mais aussi un CD-Rom et un site. Le multicanal est-il symbolique du marketing d'aujourd'hui ?

J. Lévy : Absolument. Le multicanal nous paraît plus intéressant que l'Internet lui-même. La problématique des entreprises aujourd'hui, ce n'est pas de dire que le marketing de masse est mort. C'est typiquement la mauvaise approche, car les sociétés de taille importante continuent de faire du marketing de masse. Mais cela ne suffit plus. Quelle que soit la taille de l'entreprise, il faut des stratégies de différenciation et de segmentation.

J. Lendrevie : Le marketing est en train de se complexifier, car les marketeurs s'adressent à un consommateur de moins en moins stéréotypé. Nous sommes dans une phase de transition où l'approche multicanal est donc davantage appropriée en distribution et en communication. Ce qui pose bien sûr un problème de savoir-faire. Le modèle unique n'a plus lieu d'être. Il faut désormais introduire de la cohérence et avoir une expertise multiple face à des cibles diverses. Arrêtons de parler de substitutions et d'évolutions. Aujourd'hui, face à ces différentes strates qui doivent s'organiser de façon intelligente et à cette complexification, il est nécessaire d'adopter une multistratégie.

Est-ce cette complexification qui a vraiment changé le marketing en trente ans ?

J. Lévy : L'image complexe que l'on a du marketing ne date pas d'aujourd'hui. Rétrospectivement, ce métier a toujours été simple. La stratégie de marque, qui était désignée comme complexe, est devenue une banalité. Et est complètement validée. Aujourd'hui, les médias interactifs, le multicanal, les process, les schémas d'organisation ne sont pas encore intégrés dans les entreprises. Les nouveaux enjeux du multicanal paraissent donc obscurs, mais ils se sont déjà clarifiés par rapport à il y a trois ans. Le marketing n'est donc pas plus complexe qu'auparavant, c'est la tâche des marketeurs qui est plus complète.

J. Lendrevie : J'ajouterais que cet outil est d'abord un enjeu de pouvoir. C'est une façon de conquérir de la puissance. Il n'y a pas de marketing s'il n'y a pas d'adversaire, puisque c'est la concurrence qui le justifie. La pire des choses d'ailleurs étant de perdre son pouvoir sur les consommateurs. Cette activité a donc été inventée à un moment où les marchés sont devenus de masse. C'est-à-dire où l'on ne connaissait pas ses consommateurs.

Le principal changement se situerait donc au niveau des relations des marques avec leurs consommateurs ?

J. Lendrevie : Si la marque a tellement marqué les esprits dans les années 80, c'est que les producteurs ont vu au travers du concept de marque une façon de reprendre du pouvoir. Aujourd'hui, les consommateurs via le Web 2.0 peuvent le faire.

J. Lévy : On le voit d'ailleurs dans tous ces sites tels que My Space qui échappent aux marques qui se demandent comment récupérer les consommateurs.

On entend souvent dire que le consommateur est devenu plus expert, qu'il décode le marketing...

J. Lévy : Le marketing est complètement intégré à la culture populaire. Le problème, c'est que le consommateur vous tient un discours de chef de produits. On a donc un public plus avisé mais aussi plus distant. Avec les prises de paroles sur Internet et les espaces collaboratifs, de nouveaux enjeux apparaissent.

J. Lendrevie : Le consommateur a sacrément évolué. Il tient toutes les ficelles. Le marketing comme outil principal de conquête du pouvoir a donné l'illusion qu'il est en train de se perdre ou se fragiliser.

Faut-il aller vers des stratégies de transparence ?

J. Lévy : Les entreprises sont face à une nouvelle donne. Les marques doivent accepter d'être de plus en plus partagées avec leurs clients. Quand on en a une très forte, les clients sont défenseurs, promoteurs. Comme toute démocratie, on est dans une stratégie d'influence et non de contrôle. Et beaucoup d'entreprises travaillent encore de cette manière. Le blog de la marque Vichy en est un exemple. Le tout est de savoir intégrer un dialogue. Apple dispose d'une stratégie de marque extraordinaire car elle écoute. Les Appleophiles constituent des forums de discussion dont elle s'inspire.

J. Lendrevie : Beaucoup de marques résistent encore. Jusqu'à ce jour, les entreprises ont beaucoup parlé aux consommateurs et ont tout fait pour qu'ils ne parlent pas beaucoup. Internet va faire évoluer les choses car il va leur permettre de s'exprimer.

Votre introduction est titrée “Le rôle du marketing est de créer de la valeur”. Est-ce de la valeur pour le consommateur ou pour l'actionnaire ?

J. Lendrevie : Le marketing est un moyen parmi d'autres pour créer de la valeur pour l'entreprise. Le but est que le client choisisse une marque. Et accepte d'en payer la contrepartie.

La valeur pour le client est donc compatible avec celle pour les actionnaires ?

J. Lendrevie : Il le faut. Le marketing étant tout de même au service des financiers. Le problème est qu'il a besoin de temps ou de durée. Or, on lui en donne de moins en moins car il faut des résultats immédiats. Il y a une confrontation stérile entre le commercial qui est rattaché à des résultats immédiats et le marketing à qui on ne laisse pas cet espace-temps nécessaire. L'ultimatum classique de septembre est hélas toujours d'actualité.

J. Lévy : Aujourd'hui, on met l'accent sur la valeur. En effet, le rôle du marketing est de créer de la valeur économique pour l'entreprise en réalisant de la valeur perçue pour les clients. Or celle-ci est formalisée comme la perception de ce que le client obtient pour ce qu'il donne. Mais c'est aussi la résultante entre les bénéfices et les coûts. C'est pourquoi une réflexion sur la valeur perçue nous semble fondamentale aujourd'hui. D'autre part, à la question “vous dépensez en marketing, combien ça rapporte ?”, il faut donc démontrer de plus en plus un retour sur investissement.

Les présidents issus du marketing sont rares... Comment expliquezvous cela ?

J. Lendrevie : Les conseils d'administration sont en effet majoritairement composés de financiers, les discours sont donc financiers. Et souvent, les stratégies marketing ne sont pas essentielles.

J. Lévy : Ce n'est pas vrai pour toutes les entreprises. Il en existe certaines, notamment dans le secteur de la grande consommation où la culture marketing est toujours très forte. Et puis, il y a toujours eu des tendances. Le marketing était une grande innovation de management dans les années 70, les stratèges sont arrivés ensuite. Déjà, on disait que le marketing perdait du pouvoir.

Quel rôle la fonction marketing doit-elle vraiment avoir aujourd'hui ?

J. Lendrevie : Aujourd'hui, dans la définition de l'homme ou de la femme marketing, deux dimensions méritent d'être approfondies : celle financière et celle liée au produit. Beaucoup trop d'investissements marketing sont encore non justifiés. Le marketing a besoin de se redonner cette dimension financière. Un plan marketing qui n'est pas accompagné d'un compte d'exploitation prévisionnel crédible, c'est du pipeau. Il faut également revenir à une proximité avec le produit. Le marketing a été trop souvent caricaturé en étant l'expertise du consommateur. C'est aussi celle du produit. L'innovation n'est pas possible si l'on ne connaît que le marché de la distribution. Il est nécessaire que le couple R&D et marketing fonctionne mieux.

J. Lévy : Ce qui est fascinant entre les étudiants d'HEC et les ingénieurs, c'est qu'ils ont des cultures extrêmement différentes. Aujourd'hui, les entreprises ont vraiment besoin d'une double compétence pour perfectionner les innovations et la diversité. Reste qu'à mes yeux, une des grandes qualités du marketeur est d'avoir non seulement le sens du marché mais surtout une vision. Quelqu'un comme Steve Job en est l'illustration. C'est Apple avec itunes qui a créé le marché des baladeurs.

Il n'y a pourtant pas beaucoup de Steve Job visionnaires dans l'Hexagone...

J. Lendrevie : Le souci est que le marketing doit en effet se transformer en une vision d'un marché et plus seulement en une photographie. Ce qui est plus courant. Plus les marchés sont matures et moins il est utile de demander au consommateur ce qu'il souhaite. L'entreprise n'est pas créatrice en demandant quelle innovation ce dernier désire. Elle devient innovante quand elle le trouble. Ce n'est plus l'étude de marché qui va conduire à faire une politique générale.

J. Lévy : Cette dernière va permettre de valider. La vision dans l'entreprise est vraiment fondamentale. Il y a une différence entre des sociétés qui sont dirigées par des visionnaires et les autres où l'on est dans les process, la routine, le suivi. Quand une société est dirigée par des visionnaires, cela se sent dans son ensemble. Il arrive cependant que des visionnaires se trouvent en situation d'échec comme le baron Bic quand il a lancé ses parfums.

Le marketing est-il, comme on l'entend beaucoup, en crise ?

J. Lendrevie : Depuis quarante ans, j'entends que le marketing est en crise. Il existe toujours une suspicion comme quoi c'est du vent. Il est juste confronté à de nouveaux challenges.

J. Lévy : Il y a toujours eu des altermondialistes, des “no logos”. Le propre de cette activité, c'est de travailler sur un environnement qui est mouvant. C'est pour cela que nous aimons faire ce métier. Et que le Mercator change tous les trois ans.

Quels changements voyez-vous dans les années à venir ?

J. Lévy : Actuellement, on construit les outils conceptuels d'un monde plus interactif avec des moyens de communication différents, des BDD, des lignes de produit de plus en plus fragmentées. L'évolution du marketing va être de valider et de développer des outils utiles aux managers.

J. Lendrevie : Au centre du marketing réside la notion d'information. Depuis trente ans, une révolution dans ce domaine s'est engagée. Aujourd'hui, elle s'accélère. C'est cela qui va beaucoup changer. Notamment avec un nouveau marketing de bases de données. Ce qui induit des conséquences opérationnelles très intéressantes. D'autre part, les mirages d'Internet d'il y a cinq ans sont en train de se réaliser. Nous sommes encore dans l'expérimentation. On va très rapidement connaître de nouvelles utilisations. Je reviens aussi à mes premiers amours sur la défense des consommateurs. Et je crois qu'un jour l'on verra également quelque chose de formidable grâce à l'Internet, plus important encore que le boycott que Danone a connu. Ce sera une véritable prise de position des consommateurs. Je ne suis pas sûr que, demain, certains jeunes consommateurs restent aussi passifs qu'aujourd'hui.

Parcours JULIEN LÉVY


Diplômes HEC, Sciences Po Paris, études approfondies en philosophie et sociologie politiques. Docteur en gestion. Consultant en entreprise Maître de conférences au Cnam. Enseigne le marketing à HEC où il est directeur du Mastère Management et nouvelles technologies HEC/ Télécom Paris.

Parcours JACQUES LENDREVIE


Diplômes HEC, DES Sciences économiques, Harvard Business School (ITP) Consultant auprès de plusieurs dirigeants d'entreprise Professeur Honoraire à l'Ecole des Hautes Etudes Commerciales, Département marketing Titulaire de la Chaire “Management et Nouvelles Technologies” Fondateur de la majeure Marketing à HEC (spécialisation en 3e année) Fondateur et directeur scientifique du Master HEC /Télécom Paris : “Management et Nouvelles Technologies” Professeur au MBA de l'Ecole supérieure des affaires de Beyrouth.

 
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PROPOS RECUEILLIS PAR AVA ESCHWÈGE

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