La redistribution des cartes
En trois mois, les trois grandes sociétés d'affichage françaises ont changé de main. Cette nouvelle donne est la conséquence de la reconnaissance internationale des qualités de l'affichage national.
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Resté stable pendant de nombreuses années, le patrimoine de l'affichage
français a connu depuis le début de l'année une entrée en force des
investisseurs étrangers. Ce mouvement a tout d'abord été provoqué par la
volonté de deux grands groupe français, Lagardère et Vivendi - respectivement
actionnaires de Giraudy et d'Havas Média Communication (Avenir, AP Systèmes...)
- de se désengager du média affichage pour des raisons stratégiques internes.
C'est Jean-Marie Messier qui a initié le mouvement en annonçant son
désengagement des actifs non stratégiques du groupe Vivendi pour se recentrer
sur le multimédia et l'édition. Clairement, les activités de publicité
extérieure du groupe Havas Média Communication, filiale de Vivendi, était à
vendre. Mais, alors que le feuilleton Avenir traînait en longueur, c'est
Lagardère qui a le premier sorti sa botte de Nevers, en cédant Giraudy en mars,
soit à peine un mois après avoir annoncé officiellement sa décision de se
retirer de l'affichage. Plus surprenant, Giraudy n'a pas été cédé à un groupe
déjà implanté dans l'affichage, mais à un fonds d'investissement britannique de
la Deutsche Bank, Morgan Grenfell, servant d'appui aux managers de
l'entreprise. Vendu pour 1,43 milliard de francs, soit un peu plus que son
chiffre d'affaire annuel (1,3 MdF), Giraudy était donc le premier afficheur à
changer de main, sans toutefois que la structure globale du marché en soit
véritablement bouleversée.
La valse des numéros un
Restait à régler le futur d'Avenir et des autres sociétés de publicité
extérieure d'Havas, dont AP Systèmes, Sky Sites ou Claude Publicité. C'est JC
Decaux qui remportait la mise, début mai, pour un prix extraordinairement élevé
de 6,05 MdF, le chiffre d'affaire d'Havas Média Communication se situant à 3,4
MdF en 1998. Grâce à cette acquisition, le groupe français devenait numéro 1
mondial de l'affichage, prenant position sur le grand format extérieur et
restant toujours le roi du mobilier urbain. Une position plutôt bien vue par le
marché publicitaire, la vision qualitative du média selon Jean-Claude Decaux
étant très appréciée. Celui-ci estime notamment à 100 000 le nombre de panneaux
à supprimer en France, et pense que le démantèlement du patrimoine, déjà bien
entamé, doit se poursuivre pour améliorer la qualité des réseaux. Ce qui, pour
certains observateurs, est considéré essentiellement comme un effet d'annonce.
Mais Clear Channel, qui avait déjà acquis le groupe More et Sirocco en 1998,
n'entendait pas rester en dehors du grand format après s'être fait souffler
Avenir. Début juin, les Américains ont donc acquis plus de 50 % des actions de
Dauphin, détenu par la famille fondatrice et la Compagnie Saint-Honoré pour un
prix de 960 F par action, alors qu'elles valaient encore 400 F deux mois
auparavant. Une OPA était simultanément lancée, aux mêmes conditions, sur le
reste des actions du groupe Dauphin, coté au second marché de la Bourse de
Paris. Après clôture de l'offre, le 29 juillet, Clear Channel détenait 99,7 %
des actions et des droits de vote de Dauphin OTA. Soit une opération se
chiffrant à un peu plus de 3 MdF pour le groupe américain, le chiffre d'affaire
de Dauphin étant d'1,5 MdF en 1998. Pour Dauphin, le changement de
capitalisation devenait presque un passage obligé dès lors qu'Avenir était
passé entre les mains de Decaux. « Nous avons senti la constitution de grands
groupes internationaux, expliquait Jacques Machurot, Président du directoire de
Dauphin, lors de l'annonce de rachat. Le rapprochement avec Clear Channel
ouvrait des perspectives de développement. » Dauphin-More Group ainsi créé
devenait à son tour numéro un mondial de l'affichage (voir interview page 75).
Une dimension internationale
Comment expliquer le
formidable intérêt suscité par l'affichage français ? Il s'agit tout d'abord de
considérer la structuration et l'implantation des afficheurs français sur
l'ensemble de leur territoire national ainsi que leur forte présence dans les
pays européens. « Le marché français est le marché modèle de ce média de masse,
explique Michel Cacouault, P-dg de Giraudy. Les afficheurs français ont bien
fait leur travail en offrant du matériel de qualité et de bons réseaux. De
plus, il n'existe pas de barrières d'entrée légales pour les étrangers,
contrairement à d'autres médias. » Le seul moyen d'acquérir une position
privilégiée sur ce marché bien structuré réside dans la croissance externe, ce
qui explique l'offensive de Clear Channel. Face à ce marché très attirant, les
investissements semblent démesurés par rapport à la rentabilité affiché des
groupes. Ainsi, Giraudy affichait un résultat net de 34 MF en 1998, contre 102
MF pour Dauphin. L'amélioration de la rentabilité devrait d'abord passer par
l'investissement. « Il va y avoir beaucoup d'investissements sur le média, un
marketing nouveau, des produits nouveaux. Les synergies au sein des groupes
devraient se développer, il va falloir qu'ils sortent des résultats plus
importants », estime Albert Asseraf, directeur du département affichage de
Carat Expert. Avec un regroupement de sociétés, il est notamment plus facile
d'envisager des économies d'échelle, ne serait-ce qu'au niveau managérial et au
niveau des études, voire des structures. L'acquisition des sociétés françaises
n'est toutefois pas obligatoirement expliquée par un souci de rentabilité
immédiate sur le plan national, mais par un souci de positionnement sur les
marchés étrangers où sont présents les afficheurs nationaux. Avenir est
notamment implanté en Belgique, en Grande-Bretagne, en Espagne et en Italie, et
l'activité affichage transport d'Havas Média Communication est représentée sur
une bonne partie du globe. Le groupe Decaux possède quant à lui des activités
dans plus de 20 pays, dont les Etats-Unis. Dauphin est, de son côté, implanté
en Belgique, en Espagne et en Italie, alors que Clear Channel est très bien
représenté dans les pays scandinaves et en Grande-Bretagne. Roger Parry,
président de Clear Channel International ne cachait d'ailleurs pas, lors de
l'annonce du rachat de Dauphin, la recherche de nouveaux accords, notamment en
Espagne et en Italie. Le marché français demeurant pour toutes ces sociétés une
référence qui n'est pas forcément amené à subir d'énormes bouleversements. «
Actuellement, il est difficile de savoir ce que vont changer les mouvements
dans l'affichage, estime Jean Minost, directeur d'Affi-Conseil chez Médiapolis.
En France, j'aurais tendance à penser que l'impact ne sera pas si important. Le
marché est mature, il y a moins de choses qui peuvent bouger. Les sociétés
françaises ont un savoir-faire reconnu et se sont trouvées en position d'être
rachetées par des entreprises qui ont moins de savoir-faire et plus de cash. Le
principe consiste à se développer à l'international en acquérant le
savoir-faire. » Cette tendance à l'internationalisation des sociétés
d'affichage et aux regroupements capitalistiques ne fait que suivre celles des
autres intervenants du marché publicitaire - annonceurs, conseils médias et
agences. Et même si, pour l'instant, les campagnes internationales d'affichage
demeurent encore techniquement difficiles à réaliser, le marché pourrait se
normer et offrir quelques opportunités aux annonceurs.
Le mobilier urbain en pointe
Avec les regroupements en cours, la frontière
entre le métier de l'affichage grand format, le métier du mobilier urbain ou de
l'affichage transport devrait s'estomper. Tous les opérateurs sont désormais
présents sur plusieurs champs d'activité. Toutefois, les hostilités pourraient
être très sérieuses sur le mobilier urbain où, jusqu'à présent, le groupe
Decaux connaissait une concurrence limitée. Avec le regroupement d'Adshel, de
Sirocco et de Dauphin Mobilier Urbain, la concurrence devient plus palpable, et
le renouvellement prochain de quelques concessions importantes en France
pourrait donner lieu à des empoignades sévères entre les grands intervenants.
Ainsi, après Rennes, Adshel emportait en juillet la concession de mobilier
urbain de l'agglomération de Montpellier, Pour Michel Cacouault, la
problématique est quelque peu différente, « notre problème marketing est de
couvrir l'ensemble du territoire français, si nous ne sommes pas présents, nous
répondrons avec du mobilier urbain ». Une politique décidée au gré des
opportunités, alors que celles des concurrents serait plutôt de défendre ou de
prendre des positions fortes sur ce marché. Si pour la plupart des annonceurs,
les évolutions du marché de l'affichage ne devraient pas influencer trop
directement la commercialisation du média, des synergies entre les diverses
formes d'affichage pourraient se développer et faciliter l'achat d'espace
multisupports.