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La maison sort de son cocon

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Evolution de la famille, avènement des 35 heures, émergence du télétravail, convergence numérique… Autant de facteurs qui induisent de nouveaux comportements dans la maison. Et donc de nouveaux habitats, plus que jamais au centre de toutes les attentions. Visite guidée

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“La bonne architecture “se marche” et “se parcourt” au-dedans comme au-dehors. C'est l'architecture vivante”. Cette définition n'est pas celle d'un jeune ingénieur dans le vent, ni la synthèse du dernier cabinet de tendances à la mode, mais l'appréciation de… Charles-Edouard Jeanneret, plus connu sous le nom de Le Corbusier, l'inventeur de la machine à vivre. Fallait-il être à la fois visionnaire, architecte et artiste pour imaginer ce que pourrait être la maison du… XXIe  siècle ? La maison refuge et autre habitat protecteur contre les agressions extérieures ont, en tous les cas, fait leur temps. Les Français plébiscitent un lieu ouvert sur le monde qui favorise les relations familiales, amicales, de voisinage et qui permet la “modalité” pour reprendre l'idée du studio créatif de France Télécom. La maison est une “recherche”, un centre d'activités diverses qui s'ouvre aux autres tout en préservant l'intimité de chacun. Surtout, elle est devenue l'objet de toutes les attentions. Il faut dire que les Français y passent la majeure partie de leur temps : près de dix-huit heures par jour en moyenne, estime le sociologue Gérard Mermet, dans Francoscopie 2005. C'est un peu plus que la moyenne européenne. Est-ce à dire que nous serions plus casaniers que nos voisins ? Pas forcément.

Technologies et bricolage font bon ménage

Les raisons sont plutôt à rechercher du côté de la réduction du temps de travail, du développement du télétravail et de l'augmentation de la population d'inactifs. En tout, le temps libre représenterait ainsi 42 % de la vie éveillée des Français, contre 14 % seulement pour le travail. Avec un pouvoir d'achat en stagnation, pas question de multiplier les échappées touristiques et les sorties culturelles… D'autant plus que la technologie aidant, beaucoup d'activités se sont internalisées. Rentré chez lui, le Français zappe ainsi d'écrans en écrans : les jeux vidéo, l'ordinateur et la télévision l'occupent au moins quatre heures par jour… Face à ce déferlement du virtuel, les activités manuelles, comme le petit bricolage et les loisirs créatifs qui comptent 19 millions d'adeptes, suscitent un engouement qui ne se dément pas depuis quelques années. Tant et si bien que la moitié des Français déclarent préférer les joies du foyer à celles des sorties, quand 91 % d'entre eux affirment vouloir passer plus de temps à la maison pour profiter davantage de leur famille… 63 % des Français considèrent d'ailleurs la maison comme un facteur déterminant dans la quête du bonheur individuel, juste après la famille, mais devant le travail et les loisirs selon l'Observateur Cetelem. « Le rapport même au logement a changé », souligne François Bellanger qui s'occupe de l'Observatoire de l'habitat (Transit City). « Auparavant, lorsque les gens acquéraient un logement, ils avaient une idée de revente. On le considérait comme un investissement de long terme, une zone de stabilité. Aujourd'hui, c'est différent : on veut en profiter immédiatement, qu'il soit bien tout de suite », ajoute-t-il.

Vers de nouveaux comportements dans la maison

Le logement idéal prévoit donc de favoriser les contacts entre les membres de la famille tout en respectant leur soif d'autonomie. Car ces vingt dernières années les modes de vie ont considérablement évolué. Peu de personnes vivent vraiment seules ; celles-ci ne représenteraient que 10 % de la population. Mais il existe de multiples structures de vie au sein d'un même domicile : familles monoparentales, recomposées, homoparentales, multigénérationnelles, génération “Tanguy” qui s'attarde chez ses parents, sans compter les colocations et autres formes de communautés affectives (comme la cooptation de résidents dans une même usine). « Seulement 65 % des familles sont de type traditionnel », estime Jolanta Bak, directrice du cabinet Intuition. C'est pourquoi « la notion même de famille ne convient plus, souligne Monique Eleb, socio­logue spécialiste de l'habitat. Il faut désormais parler de groupe domestique. » Et tout cela induit de « nouveaux comportements dans la maison », indique le sociologue Guillaume Erner. Notamment en termes de rythmes de vie. Si bien que la maison est devenue une sorte de camp de base où « chacun vit et travaille de son côté », explique Daniel Kaplan. Pour le secrétaire général de l'association FING (Fondation internet nouvelle génération), la “famille” est ainsi devenue une institution contractuelle se composant d'individus qui cherchent leur réalisation propre avec des modes de vie extrêmement individualisés, voire de plus en plus désynchronisés. « Les individus mènent désormais des vies parallèles. Ce qui induit différentes intimités dans la maison », relève Guillaume Erner. « De plus en plus, la famille est un réseau social particulier mais ouvert, contractuel, dynamique qui n'existe pas uniquement dans un foyer », renchérit Daniel Kaplan avant de souligner que « la famille existe même si ses membres ne se trouvent pas au même endroit, elle existe en mobilité ».

Vivre ensemble séparément

Mobilité : le mot est lâché. Et devrait influencer plus d'un constructeur. Désormais on vit ensemble avec des occupations parallèles. « On emporte partout sa musique avec soi et on circule dans la maison avec des objets communicants », explique Daniel Kaplan. « Le téléphone mobile s'utilise beaucoup à domicile (20 % des Français disposent d'ailleurs uniquement d'un téléphone mobile, ndlr). C'est d'ailleurs lui qui a instauré une utilisation très personnelle de tous ces nouveaux outils », ajoute ce dernier. De même qu'Internet est apparu pour désenclaver des PC, de nouveaux réseaux se construisent désormais pour tisser dans une même toile l'ensemble des objets communicants de la maison. Ce que Rafi Haladjan, fondateur d'Ozone, appelle le Réseau Pervasif (cf. Marketing Magazine, n° 100, p. 42). Le portable a donc déclenché la mobilité et de ce fait, un nouveau lien vers l'extérieur. Désormais le téléphone est lié au mobile, au SMS, à l'e-mail, au PDA. « L'individualisation des modes de vie s'exprime alors à son plus haut niveau. Tout cela a amené la famille à vivre ensemble séparément », note Daniel Kaplan. Ce qui semble maintenant important à construire, ce sont les différents réseaux à faire vivre ensemble. Selon le tout dernier magazine dédié aux innovations technologiques de la maison, Home, édité par Iracom, le cocooning a ainsi définitivement laissé place au “hiving” qui permet d'être bien chez soi tout en étant tourné vers l'extérieur. Ainsi, comme le résume Chris­tophe Rebours, fondateur d'In Process, « les évolutions sociétales font forcément naître des évolutions du cadre de vie ». En outre, l'habitat est devenu à la fois lieu de travail, de réception, de loisirs et de détente. “Une unicité de lieu facilitée par le développement des nouvelles technologies qui apportent des solutions high-tech et esthétiques à ces envies”, selon le magazine Home. Après le téléphone sans fil, on supprime désormais les câbles des ordinateurs avec le Wi-fi, ­ Wi-max et la technologie bluetooth. En attendant les capteurs et puces de la maison du futur. Le groupe japonais Matsushita, leader mondial de l'électronique grand public, souhaite ainsi que ses produits servent à chaque instant de la vie. Au début de l'année, l'entreprise high-tech a donc présenté au Japon une maison bardée de capteurs et puces. Comble de l'intelligence numérique, le constructeur a tenu à équiper cette habitation d'une reconnaissance par analyse de l'iris. Certes, cette maison numérique relève encore de la science-fiction, mais nos foyers actuels s'équipent de points de communication par petites touches. L'exemple le plus connu étant le célèbre lapin Nabatzag (lire Marketing Magazine, n° 99, p. 23). Cet envahisseur du futur, né d'une collaboration entre Violet et In Process, révolutionne les nouvelles technologies puisqu'il permet à deux individus d'une même maison, mais aussi de pays différents de communiquer. Car, encore une fois, la mobilité est partout. « Nous assistons à une grande transhumance entre l'espace privé et l'espace professionnel. Alors forcément, le réseau sans fil trouve sa place comme le décloisonnement de la maison », note Christophe Rebours.

Fluidité, ouverture et libre circulation

Car voilà, qui dit mobilité dit décloisonnement. « La nouvelle maison est post-individualiste, elle reflète une vision communautaire et est beaucoup plus ouverte sur les amis et la famille. On veut certes avoir de l'intimité, mais aussi être connecté aux autres, surtout ne pas se sentir seuls », ajoute Jolanta Bak. Une nouvelle logique s'instaure entre espaces publics et privés : les seconds se réduisent et restent ouverts dans la journée. Fluidité, ouverture et libre circulation sont donc les maîtres mots de cet habitat nouvelle génération. Les portes tendent à disparaître, tout comme les vestibules et les couloirs. Finie la conception haussmanienne de l'habitat : aujourd'hui, l'idée est de ne pas prédestiner les pièces à une fonction précise, il n'y a plus de frontière entre celles dévolues à la technique et celles de “plaisir”. Chacune devient un « loft multifonctionnel », selon François Bellanger. La chambre ne sert plus seulement à dormir, elle fait également office de bureau et de salon bis. En 2006, 45 % des 11-19 ans possèdent d'ailleurs une télé dans leur chambre, selon TNS Media Intelligence. « Tout l'entertainment se déplace du salon à la chambre. La convergence numérique va se retrouver dans cette pièce », illustre Christophe Rebours. Le lit devient ainsi canapé, et la télévision la station de la famille où se mélangent programmes TV, recherches Internet et visioconférence. « La télévision deviendra le lieu où l'on pourra consulter toutes les données », confirme Nathalie Portolan, psychologue ergonome chez France Télécom. Du coup, le salon perd progressivement de sa superbe. « C'est devenu une pièce sans destination », tranche Jolanta Bak. Dorénavant, la cuisine occupe le rôle de pièce à vivre. On veut tout y faire, cuisiner, surveiller les devoirs, recevoir et papoter. « On retourne à la pièce chaleureuse, limite paysanne même si elle peut par ailleurs être très technologique. Les gens sont prêts à faire des sacrifices pour avoir une grande cuisine », ajoute-t-elle. « Cette pièce est devenue un espace de partage, un lieu communautaire, d'échanges, de réunion où l'on se laisse des post-it », renchérit Christophe Rebours. Bref, un lieu à vivre. Car dans cette pièce trône un symbole, quasi spirituel : celui de la table où l'on échange et se rassemble. Enfin, les Français affectionnent particulièrement la salle de bains ou “salle de bien”, selon Gérard Mermet. Une pièce dans laquelle on vit, un lieu de détente où il fait bon s'occuper de soi et un lieu de communication par le corps avec ses enfants. On la voudrait grande, design, confortable et ouverte… mais elle ne dépasse pas 4 m2 en moyenne.

Tout reste à inventer

Et c'est d'ailleurs là que le bât blesse : toutes ces attentes, partagées par des groupes très différents, restent bien souvent des vœux pieux. La maison idéale, on la rêve, mais peu la réalisent. Flambée des prix de ­l'immobilier, manque de place… mais aussi défaut de prise de conscience des différents acteurs qui interviennent lors de la construction d'une maison. « Architectes, investisseurs, Etat… chacun se renvoie la balle », souligne François Bellanger. « La bataille se situera de plus en plus entre les équipementiers et les providers de réseaux. Il est évident que la convergence numérique est en train de redistribuer les cartes », commente Christophe Rebours. Quant aux équipementiers, « leurs propositions d'innovations restent encore faibles ou inadaptées », ajoute François Bellanger. Pour preuve, le rythme de croissance du marché du meuble reste modeste (2,5 % en 2005, contre 4 % en 1990 selon l'Ipea-Insee), notamment par rapport à nos voisins européens comme l'Italie ou les pays scandinaves. Et pourtant, les aspirations sont fortes. En témoigne le succès de la presse déco, dont le nombre de titres est parmi les plus élevés au monde, ou des émissions de télévision sur le sujet. « La customisation ou le design arrivent également de manière très forte. Du coup, nous réfléchissons beaucoup à la notion d'objet de télécommunication décoratif », glisse Nathalie Portolan. Sans parler de la multiplication des magasins de déco intérieure comme Habitat, Ikea, Maison du Monde, Lafayette Maison et les centres commerciaux dédiés exclusivement à la maison. Il n'existe plus un modèle légitime. Les gens ne veulent plus du clés en main ou du total look : on chine, on bricole, on rapporte des objets du monde entier… en clair, on brise les codes normatifs pour créer son espace à soi. « Le rêve, ce serait de pouvoir changer de décor comme on change de chemise », ose Nathalie Portolan. Un décor qui nous ressemble. “La maison est le reflet de l'âme”, écrit même le psychologue et écrivain François Vigouroux dans son ouvrage L'âme de la maison. Dès lors, il n'est pas étonnant que les tentatives de maisons intelligentes telles qu'imaginées par les grands industriels se soient toutes soldées par un échec. Les Français ne veulent pas d'un foyer gouverné par la technologie mais un domicile simple, pratique et confortable où elle serait au service de la famille. Reste à intégrer la multiplication des appareils high-tech qui pose à la fois la question de l'esthétisme, du confort des meubles associés comme le canapé mais aussi de la convergence. « Il y a beaucoup de demandes et d'attentes mais le sujet est complexe. C'est une espèce de fantasme, explique Nathalie Portolan. On veut par exemple voir sans être vu. » Pour le moment, seule une infime partie des foyers interconnectent leurs objets électroniques. Pour autant, les prévi­sionnistes tablent sur une explosion du phénomène d'ici quelques années. Et les opérateurs réfléchissent sérieusement à la question. « A partir du moment où vont naître des objets qui proposent des services, il va falloir intégrer les communications à des moments de vie », ajoute Nathalie Portolan. Reste que « la maison de demain est un lieu où l'on est bien chez soi et où la technologie n'est pas visible », tranche Christophe Rebours. Une maison qui rend service et qui reste ouverte sur la communauté ». Une maison tout simplement intelligente.

Une maison au naturel

Parmi les grandes aspirations des Français en termes d'habitat, on trouve un logement naturel. Pour autant, l'heure de la maison écologique n'a pas encore sonné. Car si l'Ademe vient de publier des chiffres très encourageants sur l'augmentation de l'installation de poêles, panneaux solaires et autres modes de chauffage aussi écolos qu'économes, les Français ne se sentent concernés par la “maison durable” qu'à partir du moment où le prix de l'énergie monte… Et si l'intérêt des architectes pour les maisons “vertes” ou “écologiques” est manifeste, les consommateurs restent encore attachés aux matériaux de construction traditionnels. Ce qu'ils veulent, c'est un jardin. Un coin de nature considéré comme une véritable pièce où l'on pourrait bouger… Demain, les balcons pourraient ainsi s'élargir et se verdir pour laisser entrer la nature à chaque étage…

De nouveaux meubles pour de nouvelles maisons

Matériel portable qui se connecte au matériel domestique, meuble qui se plie et se range ou se déplace facilement, équipement intelligent… Les Français souhaitent d'abord des meubles qui s'adaptent à leur style de vie. On n'envisage pas de la même façon la chambre d'un enfant de 10 ans et celle d'un adulescent de 26 ans (25 % des 25-30 ans habitent encore chez leurs parents). Dans les 10 m2 carrés impartis, il faut alors créer une sorte de loft où le couchage se dispute avec le rangement et la technologie. L'allongement de la vie des seniors devrait également aboutir à une sorte de médicalisation de certains meubles. C'est donc tout l'intérieur de l'habitat qui bouge, qui offre du service et devient partie intégrante de la déco. A l'instar de la table toboggan (ci-dessous), créée par In Process, qui permet à chacun de trouver sa place.

 
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Ava Eschwège et Béatrice Héraud

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