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La famille en chantier

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Françoise Héritier, professeur au Collège de France, directrice du laboratoire d'anthropologie sociale est l'auteur d'une oeuvre majeur* qui bouleverse les idées reçues. Pour mieux penser les transformations à venir de la famille et de la société, elle nous convie à une réflexion vivifiante sur la pensée du masculin et du féminin et ses conséquences.

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Peut-on donner une définition universelle de la famille ?


Non ! Même si la réalité que recouvre le terme de famille se rencontre dans toutes les sociétés qu'elles soient passées ou actuelles. La monogamie, base de la famille conjugale, est un usage ancien et pratiqué par différents types de société. Mais il n'est pas le seul. Néanmoins, même dans les sociétés qui légalisent la polygynie, la monogamie est la forme d'union la plus répandue.

Quelle est la vision occidentale de la famille ?


Dans cette façon de voir, le régime familial fondé sur la monogamie admet que des unions socialement acceptées peuvent être contractées à plusieurs reprises par de mêmes individus, à des moments différents de leur vie, dans des conditions réglementées par la loi. C'est un lieu d'apprentissage où se lient des sentiments complexes et où s'inculque une culture partagée. C'est là où s'exercent des droits et des devoirs et où surtout la prohibition de l'inceste est constante. Et l'on peut dire que toutes les formes de famille traduisent un haut degré de civilisation puisque la famille crée non seulement la société mais façonne l'être social.

Quels sont les grands changements contemporains qui sont en train de modifier la famille ?


L'un d'entre eux qui n'est pas le plus visible, mais il aura des effets importants sur le couple, est l'allongement de la durée de vie. Aujourd'hui, cinq générations peuvent coexister. Il y a aussi le recours à de nouvelles possibilités techniques comme la Procréation Médicalement Assistée. Mais ce sont, sans aucun doute, l'augmentation de la longévité et la contraception qui marqueront le plus nos cultures occidentales.

A la question "Quel a été l'événement le plus important du XXe siècle selon vous ?", les hommes ont répondu "les premiers pas des astronautes sur la Lune" ; les femmes "la contraception". Qu'en pensez-vous ?


Evidemment. La contraception a donné aux femmes le droit de disposer de leur corps alors qu'un homme naît avec ce droit. L'abolition du patriarcat, l'érosion de la domination et de l'autorité masculines constituent un phénomène propre à nos sociétés. La contraception a déclenché une série de mesures qui ont changé la notion de famille. Mais, n'oublions pas, que dans les sociétés traditionnelles, les femmes continuent de subir des grossesses à répétition et de supporter une énorme charge de travail. Elles veulent moins d'enfants y compris dans les pays de l'Islam. Elles réclament ce droit à la contraception. Pareil en Afrique. Aujourd'hui, c'est là que tout commence pour que les femmes obtiennent le statut de personne...

Le racisme n'est-il que la conséquence du sexisme ?


En effet, le racisme, c'est avant tout le sexisme. Il est à la base de tous les processus de colonisation. C'est pourquoi il est fondamental de lutter contre le sexisme pour s'attaquer au racisme, dont l'homophobie et toutes sortes de rejets et d'exclusions ne sont que la conséquence logique.

Car nous continuons à être victimes de vieilles images ?


Oui ! Et elles sont largement diffusées par la publicité et le marketing. Mais je dirais que le modèle archaïque dominant est surtout éternisé par les politiques. Il ne correspond pourtant plus à la réalité sociale et affective de la de mixité. Il est urgent de subvertir la hiérarchie qui fait que tout ce qui est considéré comme féminin est inférieur. Il ne s'agit pas pour autant de sombrer dans l'indifférenciation. Mais de supprimer ce regard masculin du dénigrement.

Comment voyez-vous se dissiper le malaise qui traverse la relation homme/femme et la famille ?


L'abolition du patriarcat, l'érosion de la domination et de l'autorité masculine est un phénomène de nos sociétés. Et la solution au malaise des hommes, à leur perte de repères se trouve dans l'éducation. Elle seule peut faire comprendre le bénéfice pour les deux sexes de se parler à égalité. C'est par l'élaboration d'une pensée autonome, d'une réflexion sur le monde, sur le bon et mauvais usages de la différence des sexes que nous dépasserons notre mal être. Il faut pour cela que les femmes tiennent à leur statut de personne et refusent de se laisser traiter en objet sexuel.

Quel désir vous a porté pour écrire ces deux tomes de "Masculin/Féminin"* ?


J'ai voulu attirer l'attention de ceux qui nous gouvernent. Sans réflexion posée, nos sociétés deviendront de plus en plus pathologiques et rendront nombre d'individus malades d'eux-mêmes. La valeur différentielle des sexes est portée par la famille. Mais aussi par les jouets, les manuels scolaires, la télévision, la publicité, le cinéma, le marketin... Il va nous falloir accepter la primauté de l'égalité des sexes dans la reconnaissance de leur asymétrie. C'est à cette condition que nous pourrons prétendre à faire progresser l'humanité dans son ensemble, dans un certain esprit de famille réinventé... * Masculin/Féminin I La pensée de la différence(1996) Masculin/Féminin II Dissoudre la hiérarchie (2002) Editions Odile Jacob.

 
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