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La beauté conjuguée au pluriel

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Dans notre société dominée par l'apparence, la beauté est décortiquée dans la vie privée comme professionnelle. Si l'on n'a jamais autant jugé sur le physique, les tendances évoluent vers une beauté naturelle, plus assumée. En somme, plurielle.

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Véronique Liaboeuf (Dragon Rouge)

«Le corps devient plus que le visage un instrument de représentation sociale.»

Quels points communs y a-t-il entre Monica Belluci, Pénélope Cruz et Scarlett Johansson? Toutes trois sont séduisantes, certes, mais surtout sensuelles, sexy avec des corps loin d'être filiformes et sans bourrelets. Des corps sublimes qui ont d'ailleurs été plébiscités par les lectrices de l'hebdomadaire Elle en juin dernier et désignés «plus beaux corps 2007». Pourquoi ceux-là plutôt que d'autres? «Toute norme produisant son antinorme et amorçant un nouveau cycle de tendances, on voit naître le rêve d'un corps plus normal, un corps naturellement musclé et qui exprime le soin que Von se porte, mais un corps dégagé des injonctions fixées par d'autres», explique dans son livre, La société mosaïque, Jolanta Bak, p-dg d'Intuition. Car voilà, plus que la beauté encore, le corps a pris «une place centrale dans nos vies. Il est la vitrine de notre identité», ajoute l'auteur. Dans le domaine de la beauté, le corps est ainsi au coeur de nos préoccupations. Il parle à notre place, révèle le côté performant ou volubile des individus. «Le corps devient plus que le visage un instrument de représentation sociale», note Véronique Liaboeuf, directrice associée de Dragon Rouge. Il parle aux autres, traduit nos aspirations, révèle les modes de vie, à tel point que certains chefs d'entreprise ne cachent pas n'employer que des «sportifs faisant au moins trois heures de sport par semaine». Selon Véronique Liaboeuf, il existe plus que jamais un «diktat de la performance». Et ce, quels que soient les canons de la mode, pour peu qu'on paraisse aller de l'avant, optimiser son âge et toujours prendre le dessus.

Michela Marzano, philosophe et chercheuse au CNRS, parle même «d'obligation de résultats au niveau de la beauté». Elle explique qu'on a à la fois la pression du travail et de la beauté: «La beauté devient un critère de recrutement. Une personne qui correspond à un modèle sera plus facile à recruter. Quelqu'un d'obèse aura plus de difficultés. Comme si l'incapacité à contrôler sa faim impliquait une incapacité à maîtriser son plan de travail, et donc ses objectifs!» L'aspect physique du corps serait donc scruté et analysé pour essayer de détecter les performances du futur employé! Le sociologue Jean- François Amadieu partage ce point de vue, pointant du doigt le caractère de plus en plus stigmatisant de la surcharge pondérale et de l'obésité: «Les personnes en surcharge pondérale sont de moins en moins bien perçues, tolérées, et pourtant leur pourcentage est croissant.» Résultat: une partie de la population est marginalisée, tout simplement à cause de kilos en trop. Natacha Dzikoswki, directrice internationale de l'image chez Sephora, estime en effet que notre société fait que nous n'avons aucune excuse pour ne pas avoir une belle apparence, être en bonne santé et être performant: «Quand des personnes sont en surpoids, ont les dents jaunes, les cheveux mal peignés, on estime qu'elles n'ont pas le contrôle d'elles-mêmes.»

@ (C) Laurent Blachier

La beauté sous contrôle

Au contraire, un corps inspirant la forme et la bonne santé est de plus en plus valorisé. En un mot, un corps respirant la jeunesse, alors que paradoxalement, on assiste à un vieillissement inéluctable de la population. «C'est ce qui explique les efforts pathétiques que font les individus pour retarder les effets du vieillissement», ironise Jean-François Amadieu, qui parle de «discrimination croissante» à l'égard des plus de 45 ans. Dans le même temps, en Corée, les maîtres du bistouri occidentalisent les yeux, nez et oreilles des jeunes afin de leur donner plus de chance d'être embauchés dans l'entreprise qu'ils désirent! Contrôler son corps reviendrait donc à contrôler par là même sa vie. «Est considéré comme beau ce qui est sous contrôle», résume Michela Marzano. D'où cette valorisation de la maîtrise du corps, que ce soit par des régimes alimentaires ou encore par la pratique régulière d'un sport. Un postulat qui est entré dans l'entreprise mais aussi pour la première fois dans la Ve République en politique. A l'instar de Nicolas Sarkozy, apparu pour son investiture à l'Elysée le teint hâlé ou encore en couverture de nombreux hebdomadaires en pleine séance de jogging avec sa proche équipe.

Pendant longtemps cependant, la surcharge pondérale était corrélée à un statut social élevé, et donc valorisée car signe extérieur de richesse. Jean-François Amadieu souligne même que «l'opulence allait avec la bonne chère. Aujourd'hui, on ne mange plus rien. Plus vous êtes dans des milieux favorisés, plus les repas sont élégants mais frugaux, un tend a ta limite de l'anorexie.» Cette époque est bel et bien révolue.

Les programmes minceur font la Une de tous les magazines féminins. «Nous sommes pris au piège des images, des discours médiatiques et sociétales qui alimentent les complexes», poursuit Michela Marzano.

Paradoxalement, dans une société qui prône l'indépendance et la liberté, l'homme est donc toujours soumis à des normes touchant à son identité même. Pire, ces normes sont souvent inatteignables. Les féminins affichent les trois quarts du temps des femmes jeunes, minces, au grain de peau parfait. Et les masculins mettent en Une des corps d'hommes jeunes et musclés. «La barre est mise très haut», constate la philosophe. Aussi les femmes comme les hommes sont-ils à la poursuite d'une image idéale, qu'ils ne pourront jamais atteindre. Ils se retrouvent alors «face à un dualisme entre la volonté et la matérialité». Le corps est considéré comme «une matérialité façonnée à son gré». Pour Michela Marzano, la pression créée par la société renforce ce dualisme et fait que l'on s'éloigne de notre corps réel.

Natacha Dzikoswki (Sephora)

«Nous sommes de plus en plus dans une société de l'image où la représentation est clé.»

Le culte de la perfection

Lors de la présentation du carnet de tendances 2007 de Research International en juin dernier, Geneviève Reynaud, anthropologue et directeur innovation, spécifiait ainsi que «le culte de la perfection est à son paroxysme et que l'inesthétisme passe de plus en plus mal dans une société où tout vous est proposé pour améliorer votre image». Résultat: la chirurgie esthétique se généralise, au risque même de devenir «aussi banale que la coloration capillaire de nos grands-mères». Ce que confirme Natacha Dzikoswki. Selon cette spécialiste de l'image, il n'y a plus de tabou envers la chirurgie esthétique. «Cette tendance est très américaine et très actuelle, note-t-elle. Prendre soin de soi, se traiter et se chouchouter sont des disciplines en vogue.» Un point de vue partagé par Cécilia Tassin, responsable du planning stratégique et du développement du cabinet de design B&G. «Ce qui compte désormais, c'est la relation qu'on rétablit avec soi-même.» Une tendance notamment due au fait que les femmes d'aujourd'hui ne veulent, selon Jolanta Bak (Intuition), «rien rater. Elles cherchent à garder une allure tonique et svelte».

Aux Etats-Unis, le chirurgien esthétique a même remplacé le psy dans le coeur et le discours des Américaines! Si la chirurgie est devenue «socialement acceptable», selon Cécilia Tassin, nous n'en sommes pas encore arrivés à ce stade en France. Il n'en reste pas moins que les injections de Botox progressent et que l'acte chirurgical touche une population de plus en plus jeune et large. «Et si toutes n'osent ou ne peuvent passer sur le billard, nombreuses sont celles que ce nouvel imaginaire de performance visible séduit», ajoute encore Cécilia Tassin. Cette dernière observe notamment un retour de l'homme en blouse blanche ou encore du développement du discours de la preuve dans la communication des marques (promesse tenue, NDLR) . Si la chirurgie esthétique se tait encore discrète, le Botox fait, lui, une entrée en force. «Il est le onzième mot le plus connu au monde, se targue le Docteur Pierre Secnazi, spécialiste de la médecine esthétique. Avant, on était dans le correctif, maintenant les patients souhaitent anticiper.» Selon lui, la France compte ainsi 500 000 actes de médecine esthétique par an. Soit cinq fois moins qu'aux Etats-Unis. Un chiffre qui, selon ce dernier, va croître pour la simple raison que «la quête de beauté est aujourd'hui omniprésente, systématique, voire obligatoire. C'est à n'en pas douter le résultat d'une certaine pression sociétale et culturelle». Lors d'une rétrospective au musée d'Art moderne de Saint-Etienne cet été, l'artiste Orlan a souhaité pour sa part utiliser la chirurgie esthétique non pas pour ressembler au modèle féminin classique, mais au contraire pour en sortir. En surdimensionnant un jour sa bouche, l'autre jour son menton, l'artiste entend interroger la société sur la frontière parfois très mince entre beauté et monstruosité et sur les limites extrêmes de ce que l'on peut faire avec son corps.

Jean-François Amadieu parle, quant à lui, de corps de plus en plus aseptisés, travaillés et artificiels, «où tout ce qui est naturel ou animal est de plus en plus rejeté». La sudation, la transpiration, la pilosité, les signes du vieillissement sont alors systématiquement repoussés, alors que ce ne sont que des aspects naturels de notre corps et de notre condition d'être humain! «Cela ne correspond pas à la réalité humaine faite de failles, souligne Michela Marzano (CNRS). Il faudrait apprendre à vivre avec nos défauts et donc avoir conscience qu'il n'y a pas de modèle unique de beauté, que l'on peut être beau dans la différence.» Ou tout simplement dans le naturel...

Le naturel revient au galop

Heureusement, la tendance semble prendre un léger virage. Certaines marques ont d'ailleurs suscité ce mouvement. A l'instar de Nivea, The Body Shop, Natura, Yves Rocher, ou plus activement de Dove et son intérêt pour l'estime de soi. La marque et sa campagne «Pour toutes les beautés» (voir MM 95) ont à coup sûr fait réfléchir sur certains modèles. «La beauté est depuis trop longtemps définie par des stéréotypes étroits et figés. Les femmes nous ont dit qu'il était temps que cela change. Nous croyons que la beauté peut revêtir toutes les formes, toutes les tailles et tous les âges. C'est pourquoi Dove a lancé la campagne 'Pour toutes les beautés«», note la marque sur son site internet. Une campagne mondiale qui a visiblement atteint ses objectifs, notamment celui de proposer une vision de la beauté plus large, plus saine et plus démocratique. «Une vision de la beauté que toutes les femmes puissent s'approprier et apprécier au quotidien.» Preuve que le sujet a plus que touche sa cible, son dernier film Evolution - signé par Olgilvy & Mather Toronto - a remporté le Grand Prix au Festival international de la publicité à Cannes en juin dernier. Hasard du calendrier, relation de cause à effet? Selon Rémy Oudghiri, directeur du Planning Stratégique et de la Prospective d'Ipsos Insight, on assisterait depuis peu à la volonté de sortir du modèle du mannequin anorexique. «Aujourd'hui, les personnes trop refaites paraissent défaites», acquiesce pour sa part Pierre Secnazi, spécialiste de la médecine esthétique. Deux tendances seraient donc en train d'émerger selon Rémy Oudghiri: d'un côté «l'idée de se transformer sans suivre aveuglément des modèles mais se trouver soi-même», et de l'autre, l'idée de s'assumer tel que l'on est. Des idées qui ne sont certes pas simples à appliquer, car entre les discours et les faits, il existe souvent nombre de contradictions. Et les discours peuvent même s'opposer. Les magazines conseillent un jour à leurs lecteurs de s'accepter tels qu'ils sont, et le lendemain ils leur livrent des conseils pour perdre dix kilos avant l'été, ou encore leur listent les meilleures adresses de chirurgiens esthétiques... Ainsi, Adeline Attia, directrice générale d'Allegoria, spécialiste des études marketing et prospective, n'hésite pas à dire qu'il existe «une vraie hypocrisie entretenue par les médias». Elle parle même de schizophrénie entre les discours prônant le fait de manger mieux et plus, les mannequins toujours aussi minces, la vague du naturel, et l'explosion de la chirurgie esthétique.

En outre, si les gens disent vouloir s'assumer comme ils sont, «dans les faits, Us mettent de la crème anti-âge dès 25 ans», observe Rémy Oudghiri. Ce qui lui fait dire que nous nous trouvons «à l'ère de l'ambivalence». Une ère où l'on veut paraître dix ans de moins mais où «la mode n'est toutefois plus au bistouri et aux grandes opérations contraignantes. La principale préoccupation de la clientèle est donc de se retrouver soi- même, de ralentir les effets du temps mais en douceur», analyse ce dernier. Un point de vue confirmé par Aliza Jabès, p-dg de Nuxe: «La tendance est de vouloir faire plus jeune tout en étant naturel.» Selon elle, tout doit désormais paraître naturel, «que ce soit à travers un maquillage transparent ou une médecine naturelle en passant bien sur parle soin». Cette dernière observe notamment, dans ses spas, une demande de plus en plus accrue de ses clients pour une peau lisse sans toutefois que cela ne se voit. «Depuis cinq ans, nos spas révèlent tous la même chose: le soin de la personne et le naturel sont des tendances lourdes.» Un constat que dresse également Natacha Dzikoswki puisque chez Sephora aussi, le soin est le marché qui progresse le plus. Notamment la vente de produits de soins pour hommes qui connaît une croissance à deux chiffres.

Des beautés différentes

Reste que si le naturel semble petit à petit reprendre ses droits en matière de beauté, les canons européens paraissent toutefois bien ancrés dans nos esprits. Si les stars du cinéma assument pour leur part davantage leurs formes et leurs spécificités, les mannequins demeurent toujours aussi minces, et aussi occidentales. En mai dernier, Elite a voulu faire un pas en avant en dénichant des «beautés différentes en banlieue parisienne, au centre commercial Belle Epine de Thiais. La démarche était certes louable mais le résultat démontre bien qu'il va falloir du temps avant de modifier les critères de choix. Car au final, ce sont trois blondes, une brune et une métisse - aux yeux clairs - qui ont été retenues par l'agence... Ce qui fait dire à Michela Marzano que «la différence s'approche le plus possible du modèle unique». Il faudrait, pour que cela change, «un discours critique, ajoute-t-elle, décrypter les images, montrer qu'elles sont retouchées, pointer du doigt les dangers qui se cachent derrière les régimes, permettre un discours différent et donc valoriser la différence réelle». Et surtout mettre en avant que «ce n'est pas parce que l'on ne correspond pas aux modèles qu'on ne peut pas être épanoui. Ce n'est pas parce qu'on est beau qu'on est forcément heureux». Pour Cécilia Tassin, «ce qui compte, c'est l'harmonie interne, le vécu intime». Un postulat prouvé par l'élection des plus beaux corps 2007 de l'hebdomadaire Elle où aucun n'est le clone de l'autre. Les corps commenceraient-ils à avoir une âme? A méditer.

 
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Ava ESCHWEGE, Aurélie CHARPENTIER

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