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Grâce à Internet, la créativité va retrouver le chemin des médias

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Où nous mène cette révolution technologique qui bouleverse notre façon de nous informer, de nous divertir et de consommer les médias ? Dans leur dernier ouvrage, Médiabusiness (1), Danièle Granet et Catherine Lamour mettent en perspective les évolutions en cours dans tous les secteurs des médias, ainsi que leur interdépendance liée au rôle d'Internet.

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Depuis quelque temps, la presse écrite est annoncée comme mourante. Y croyez-vous ?

Danièle Granet : Non. Mais il est vrai que l'on constate un déclin de la presse traditionnelle, notamment quotidienne et magazine. L'environnement médiatique a changé avec l'arrivée de l'Internet. Nous n'avons plus autant de temps à consacrer à tous les médias. Il y a également un trop plein de la presse magazine, ainsi qu'une trop grande rigidité et un manque de créativité pour la presse quotidienne. Ce déclin est mondial.

La révolution d'Internet bouleverse les rapports de force et de pouvoir entre émetteur et récepteur. Est-ce la raison qui rend la notion de média si complexe aujourd'hui ?

Catherine Lamour : La crise de la presse vient principalement du Web, qui participe à la métamorphose totale du monde des médias. Pour la première fois dans l'histoire du transfert de la connaissance, Internet peut remplacer tous les médias car il transporte à la fois l'écriture, le son et l'image. La révolution, c'est aussi l'immédiateté. Il est possible d'écouter la radio, lire le journal et regarder la télévision sur un écran unique. Tout cela change les données sur lesquelles s'était inscrite l'écriture. L'écrit va ainsi probablement se reporter sur d'autres supports, comme des écrans ou des papiers recyclables qui serviront à réactualiser votre journal dans une borne, par exemple. Nous sommes entrés dans un changement de technologie, de mentalité, de civilisation. D. G. : Je ne pense pas qu'il y ait une disparition programmée de la presse quotidienne ou magazine. Il s'agit simplement d'une addition qui rassemble tous les médias. Le média papier, même si c'est un papier transformable, a encore de beaux jours devant lui. Dans vingt ans, on aura encore de la lecture.

Au vu du nombre croissant de blogs, la définition des médias comme support de diffusion n'estelle pas dépassée aujourd'hui ?

C. L. : Les bloggers sont certes des fournisseurs d'information. Mais l'information est quelque chose de vérifié. Elle appartient à des professionnels, que sont les journalistes. Aujourd'hui, l'âge d'or des blogs pourrait être dépassé. Si, en décembre dernier, on comptabilisait 56 millions de blogs actifs dans le monde, les contributeurs fréquents et actifs ne représentaient que 2 % seulement des internautes. Il faut donc remettre les chiffres dans leur contexte. C'est vrai que l'on assiste à l'explosion des blogs, mais ce n'est pas un raz-de-marée. D. G. : Le blog n'est qu'une expression. Nous entrons dans une ère où le consommateur d'information et de divertissement va être acteur et spectateur. Comme le disait en décembre dernier Olivier Fleurot (président exécutif de Publicis Worldwide, ndlr), les médias qui gagneront demain seront ceux qui sauront mélanger les contenus apportés par les éditeurs et ceux des lecteurs.

TF1 a lancé une émission hebdomadaire constituée de vidéos d'internautes, W9 a un projet similaire pour 2007 et France Télévisions réfléchit à une émission politique... L'ère de l'égocasting va-t-elle engendrer une nouvelle génération de programmes ?

C. L. : Aujourd'hui, chacun peut choisir à toute heure et en tout lieu ce qu'il veut regarder. Dès lors, l'organisation classique des médias se trouve directement menacée. De la consommation “de masse”, on passe à la consommation “à la carte”. Ces deux modes se croiseront de plus en plus. Mais il est vrai que la mobilité et la portabilité des récepteurs vont bien sûr entraîner une demande de programmes mieux adaptés à une consultation plus rapide et plus hachée des émissions. De plus, le public, et notamment les jeunes, veut contribuer à fabriquer les programmes. D. G. : La demande s'oriente également vers du divertissement. L'explosion de la consommation de musique en atteste. Depuis l'arrivée des lecteurs MP3, le nombre de chansons téléchargées ne cesse d'augmenter. Il en sera de même avant 2008 pour la consommation des images. Les séries américaines ou anglaises envahissent les grilles. Par conséquent, le divertissement sera, comme nous l'écrivons, le veau d'or du XXIe siècle.

Vous écrivez aussi que le modèle économique pourrait à l'avenir reposer sur la publicité. Pourquoi ?

C. L. : La publicité est l'enjeu de toutes les batailles à venir, la condition décisive de survie ou de trépas des médias, de la presse comme de l'audiovisuel. Car, là où est le consommateur est la publicité. Quand Murdoch achète MySpace.com, il vise bien évidemment 60 millions de personnes et la possibilité de passer des bannières. D. G. : Il faut que les médias intègrent que lorsque le consommateur est satisfait du contenu, la publicité ne le gêne pas forcément. Pour qu'elle séduise, il faut donc de bons contenus éditoriaux et culturels. C'est pour cela que nous écrivons que la publicité est le pétrole des médias.

Mais ce pétrole se fait rare…

C. L. : Chaque média doit se battre sur deux fronts : contre les copieurs de formules qui marchent et pratiquent la stratégie du coucou et contre le média révolutionnaire qu'est Internet. D. G. : Les investissements publicitaires ne suivent plus l'inflation, alors que les nouveaux prétendants affluent : quotidiens gratuits, Internet, télévisions thématiques et locales. La concurrence est de plus en plus rude. La course à la publicité est une course au consommateur. Il faut donc le suivre et le retenir.

Les recettes publicitaires de certains sites Internet explosent alors que celles des médias classiques baissent. L'avenir de la presse serait-il exclusivement sur le Net ?

C. L. : Non. Les recettes publicitaires sur Internet ne représenteront en 2009 que 10 % de l'ensemble des recettes médias globales. Cela veut dire que le système ne bascule pas aussi vite qu'on le dit. Ce qui a considérablement changé, c'est que le consommateur de médias est de plus en plus multisupport. Il est donc global.

Le groupe NRJ remodèle son offre publicitaire sur une marque justement globale. Est-ce là l'avenir des groupes médias ?

C. L. : Sans groupes multimédias, les grands journaux d'information de presse écrite sont orphelins. Ils n'ont pas la possibilité de trouver des activités complémentaires, telles que la radio, Internet ou la télévision. D. G. : Oui. Reste que le grand problème en France est qu'il n'y a pas de grands groupes médias. Il faudrait que les politiques mènent une réflexion sur ce sujet. Nous sommes le seul pays d'Europe à ne pas avoir de grands groupes multimédias, ce qui est dangereux. Soit la France sera contournée, soit elle sera rachetée par des groupes internationaux. Le rachat du groupe L'Express par Roularta n'est pas anodin. Et l'arrivée de fonds d'investissement qui font commerce d'entreprises non plus. Or, les médias ne sont pas une marchandise comme les autres.

Quel bilan faites-vous de la TNT ?

C. L. : C'est un progrès, car la TNT apporte une dizaine de chaînes supplémentaires gratuitement à des gens qui n'en avaient que cinq ou six. C'est une étape dans le grand déploiement de la société des écrans. Mais la TNT reste encore la lutte des petits opérateurs contre les gros. D. G. : Il faudra également régler le problème des ressources. On revient encore à la publicité. Le gâteau publicitaire n'est pas extensible. Donc il stagne. De plus, la part des médias décroît par rapport à celle du horsmédias. Il faudra donc atteindre assez d'audience pour intéresser les publicitaires. Cela va prendre du temps. Que restera-t-il alors comme chaînes thématiques ?

Et qu'en est-il de la télévision mobile personnelle ?

C. L. : Elle n'en est qu'à ses balbutiements. Il y a pour l'instant beaucoup de problèmes technologiques. Il est extrêmement coûteux d'amortir les coûts de transmission par satellite. Et les fréquences téléphoniques ne sont pas suffisamment stables. Le prix est également rédhibitoire. On n'a pas encore réussi à faire une offre rassurante pour le consommateur. Il faut également retravailler les programmes et les modules. Mais les promesses sont immenses. Comme le dit Young Kil Suh, P-dg de la société coréenne TV Média, la télévision mobile combine deux des produits les plus vendus dans le monde : la télévision et le téléphone portable.

Si le monde de demain devenait tout numérique, quelle serait la place des médias traditionnels ?

D. G. : Je ne pense pas qu'il y ait de risques dans l'immédiat. Le journal papier assure la mobilité sans électricité. Or, le talon d'Achille de tous les autres médias, c'est qu'il faut une recharge, une prise électrique ou une batterie. C'est une des raisons pour laquelle on ne remplacera pas, au moins pendant quelques décennies, le papier. C. L. : Un média n'a jamais remplacé un autre média. Tous s'additionnent entre eux, contribuant à l'évolution de nos modes de vie vers plus de confort et plus de technologie.

Vous écrivez que la convergence des médias n'arrivera à maturité qu'à l'horizon 2015 et qu'elle entraînera une refonte complète de nos modes de vie. Pouvez-vous aller plus loin ?

D. G. : Pour commencer, l'analogique sera supprimé. Le numérique permettra ainsi une société du tout écran. Ce sera l'occasion d'accélérer l'histoire. Cette révolution du numérique remet notamment en cause le rapport parents/enfants et le discours de l'autorité. C. L. : Quel que soit notre âge, nous serons tous connectés en permanence. Il y aura une facilité de transfert de la connaissance comme l'humanité n'en a jamais connu. La mobilité est l'eldorado des quinze prochaines années. C'est donc une révolution semblable à celle du transistor pour la radio. Il n'y aura plus d'heures d'écoute, plus d'heures de pointe. Bref, le “mobi-spectateur” ne sera plus forcé d'adapter son mode de vie aux horaires de la télévision. Reste que vu l'offre médias, il lui faudra faire des choix. La grande affaire, devant la profusion d'images, d'écrits et de sons, sera donc d'apprendre aux jeunes à faire ces arbitrages. On ne mange pas tous les plats surgelés que l'on trouve dans son congélateur en même temps. Il en sera de même pour les médias. On doit apprendre à la jeunesse à savoir regarder des images et organiser son temps média.

Dans votre ouvrage, vous écrivez en effet que le temps est l'enjeu fondamental dans la lutte que se livrent entre eux les médias…

C. L. : Une question préoccupe les médias : comment transformer le téléspectateur passif en client rémunérateur ? C'est à qui réussira à capter l'attention du “client” le plus longtemps, le plus souvent. Cette guerre quotidienne commence lorsque le consommateur se lève et ne s'achève pas avant qu'il ne dorme. Au-delà des sommes forfaitaires qui lui sont facturées pour un abonnement à un bouquet de chaînes, à un opérateur Internet ou de téléphonie, l'objectif est de le faire consommer à la carte. D. G. : L'alpha et l'omega de tous les plans de financement des médias, c'est l'Arpu (2). C'est-àdire le revenu moyen par individu. Dans ce jeu du chat et de la souris, le marketing est de plus en plus pointu pour atteindre le consommateur là où il est le plus réceptif.

Le magazine Time a décidé que la personnalité de l'année 2006 c'était “Vous”, en raison de la montée en puissance des sites Internet alimentés par les utilisateurs. Qu'en pensez-vous ?

C. L. : Time a eu l'idée de faire cette couverture car, selon le magazine, “Vous”, c'est-à-dire les internautes, contrôle l'ère de l'information. Ce qui renvoie à notre thèse selon laquelle les “think tanks” et autres “spin doctors” ont une puissance démultipliée par les moyens de communication numérique. D. G. : Le grand concept de village global qu'avait lancé Mac Luhan arrive seulement maintenant.

Internet sera-t-il définitivement le grand gagnant de cette évolution du paysage médiatique ?

C. L : Il y a vis-à-vis d'Internet une sorte de résistance naturelle. Essayons donc de comprendre le Net et de vivre avec, sans pour autant laisser tomber les médias traditionnels. D. G : Internet a permis des remises en question fondamentales et a cassé un marché stagnant. Grâce à cet outil, la créativité va retrouver le chemin des médias.

Catherine Lamour

MA Université de Berkeley, USA (1961) ; IEP de Paris (1964). 1966-1968 chargée de mission au district de la région parisienne puis à l'Oream- Lorraine. 1969-1971 rédactrice au service étranger du Monde. 1971-1980 directrice de collection chez Stock, Grasset, Le Seuil, Fayard et productrice indépendante pour la télévision. 1980-1982 responsable des relations édition/télévision à la direction générale d'Hachette. 1983-2002 directrice de l'unité films documentaires de Canal+ et de sa filiale “Docstar” puis directrice des événements culturels. Depuis janvier 2003, gérante de CL Images Conseil.

Danièle Granet

Formation d'histoire (Sorbonne), Centre de Formation des Journalistes (1967). Directrice de collection chez Stock, puis chez Grasset, collection “Le Temps des femmes”. Carrière dans la presse de 1978 à 1988 : L'Express, Le Nouvel Économiste, Le Figaro, Stratégies. 1989-1993 directrice de la communication du Crédit agricole et P-dg d'Uni-Éditions. 1993- 1999 directrice générale de Novapress. 1999-2003 directrice générale du CFPJ. Journaliste indépendante depuis 2004.

 
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Ava Eschwége

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