Gilles Gaultier (Gaultier & Associés) : « Plus que jamais, la recherche marketing doit être transversale »
A la suite du Congrès Esomar qui s'est tenu à Paris en septembre dernier sur le thème de l'innovation, Gilles Gaultier (Gaultier & Associés) livre ses réflexions sur l'évolution de la recherche marketing. Comment va-t-elle relever le défi de la valorisation de son expertise et de ses apports dans la création de valeur ajoutée ?
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L'innovation fait partie de ces thèmes que les manifestations
professionnelles remettent en lumière à intervalle régulier. Ce caractère
cyclique n'a rien d'aléatoire. Son apparition correspond toujours à des
périodes clés où il redevient possible ou souhaitable de repenser l'entreprise
à moyen et long termes. Le redémarrage de l'économie se confirme - le marché
des études en témoigne - et le marketing peut à nouveau porter son regard
au-delà des échéances les plus immédiates. Reprendre en considération le moyen
terme n'est pas toujours facile. De mauvaises habitudes se sont prises au cours
de ces dernières années. L'accélération des processus de décision et le
re-engineering ont souvent tenu lieu de stratégie. L'adaptation, la réactivité,
le changement permanent des organisations ont souvent servi de projet
d'entreprise.
Des contributions traditionnelles
L'accent mis sur le rôle essentiel de la recherche marketing dans l'élaboration
de nouveaux produits et services est nécessaire. Les rapports entre innovation
et recherche marketing ont souvent été riches de tensions, de déceptions, voire
d'incompréhension ces dernières années. La recherche marketing est souvent
apparue comme sanction ou frein des démarches d'innovation. La valorisation de
ses apports a généralement été insuffisante. Dans certains cas, on a même eu
tendance à la considérer comme illégitime, limitant son champ d'intervention à
l'aval de l'innovation, de la création de concepts. Au cours ce congrès, les
interventions ont à la fois confirmé les apports traditionnels de la recherche
marketing, mais ont aussi ébauché un certain nombre de perspectives. Le congrès
Esomar s'est attaché à revaloriser les apports traditionnels de la recherche
marketing. Celle-ci a longtemps tiré sa légitimité de la connaissance de la
demande, du client, à la fois dans ses comportements et attitudes au présent,
mais également en observant, en repérant, en mesurant les symptômes du
changement. Cette expertise de la demande a toutefois conduit à limiter ses
interventions à l'adaptation de l'offre, et aux ajustements réguliers qu'il
convient de lui apporter. Plus largement, la recherche marketing a constitué un
outil de navigation, une expertise des risques, des contraintes, voire des
opportunités qui conditionnent l'élaboration de l'offre. Sa légitimité est
toutefois restée davantage limitée à la configuration de l'offre. Sa
contribution en marge de la stratégie. Elle est para ou sub-stratégique dans le
meilleur des cas, ce qui a constitué une frustration fréquente pour les
chercheurs.
Des enjeux pour demain
Ces rapports
ambivalents avec l'innovation résultent, plus généralement, des relations
entretenues entre le marketing et les processus d'élaboration des démarches
stratégiques dans l'entreprise. Ils renvoient à des modes d'organisation où la
culture marketing a souvent été reléguée à la connaissance de la demande et à
l'enrichissement de la démarche commerciale. Elle est fréquemment absente des
mécanismes de décision amont. Dans ce contexte, les démarches et la recherche
marketing sont en quelque sorte à la croisée des chemins. Un premier enjeu
consiste à valoriser l'expertise de la recherche marketing pour en faire un
partenaire effectif de l'élaboration des offres. Cela nécessite une véritable
réorientation de cette expertise en intégrant à la fois la réalité de
l'entreprise et celle de son environnement. Un élargissement de l'optique
marketing s'avère nécessaire pour répondre à ce défi. L'approche devra être
beaucoup plus systémique qu'elle ne l'est aujourd'hui. Par-delà l'offre
produit/service et son adéquation à la demande dans un environnement
concurrentiel donné, une prise en compte des rapports de force des opérateurs
d'une même filière, mais également de l'incidence des problèmes
environnementaux ou sociétaux devient indispensable. D'une certaine façon, le
conflit des producteurs agricoles et de la distribution et ses multiples
implications illustrent les limites du marketing classique et définissent ce
vers quoi il doit évoluer.
De nouvelles orientations pour la recherche marketing
En dépit de son développement, la recherche
marketing a toujours été confrontée à un problème de légitimité ou de
justification de son utilité. En cela elle est condamnée à se remettre en cause
en permanence. Elle est concurrencée sur sa base par le développement des
systèmes d'information plus ou moins intelligents, et sur son expertise par les
intervenants de la réflexion stratégique. Sa vitalité va dépendre à la fois de
sa capacité à apporter une intelligence des informations et son aptitude à
analyser de manière systémique les forces qui animent les marchés. Ce congrès
constitue peut-être le premier pas d'une réflexion sur les métiers, les
savoir-faire, les compétences de la recherche marketing de manière prospective.
L'intégration des nouvelles technologies de l'information constitue une
évidence dans ce contexte, mais le redémarrage de l'économie et son incidence
sur le marché des études ne doivent pas occulter ces nécessaires évolutions.
Défi pour les utilisateurs de la recherche marketing, pour les entreprises,
l'innovation l'est également pour les instituts. La valorisation de ses
contributions, et de leurs apports dans la création de valeur ajoutée est
essentielle, de même que l'élargissement de ses champs d'intervention. Cette
valorisation ne doit pas être à usage interne. Il importe qu'elle vise les
utilisateurs réels et potentiels de son expertise et de ses prestations. Les
interventions ou réactions de ces derniers dans le cadre des manifestations
Esomar confirment ce déficit de communication de la profession. Plus que
jamais, la recherche marketing doit être transversale. Elle ne peut rester à
l'écart de l'évolution de la recherche scientifique et des évolutions
technologiques, pas plus qu'elle ne peut ignorer les changements qui affectent
la société dans son ensemble.