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Georges Lewi (High Co Institute) :La marque est la fille indigne du marketing

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La marque n'a jamais été aussi puissante. Si puissante, qu'elle serait à l'origine de bien des maux de notre société. Pourtant, les extensions auxquelles elle est soumise risquent, selon Georges Lewi, “gourou” de la marque, de lui faire perdre sa nature de repère sur un marché.

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Qu'est-ce qu'une marque ?


Georges Lewi Pour les industriels, comme pour les consommateurs, une marque est un repère sur un marché.

MM C'est tout…?


GL Oui, mais c'est beaucoup. Lorsque l'on a dit cela, il y a deux mots essentiels : marché et repère. Il faut définir son marché, définir en quoi la marque y fait repère et pour qui le fait-elle. Si on est capable de répondre à cela, on est les rois. Coca-Cola est un bon exemple. La marque fait repère sur le marché des colas, c'est indéniable. Lorsque la compagnie s'est définie de nouveaux marchés, les soft drinks, puis les boissons sans alcool, elle a estimé que la marque ne faisait pas repère sur ces marchés, elle a donc créé Fanta, Sprite, Minute Maid. C'est la même chose pour les clients. Toute la problématique de marque, du brand stretching et de marques qui parfois s'appauvrissent, on la retrouve là. Si le client considère que le repère est insuffisant, il se détourne de la marque, y compris du noyau central, parce qu'il ne comprend plus.

MM Qu'est-ce qui fait qu'il ne comprend plus aujourd'hui, ce qu'il comprenait hier ?


GL Cette définition induit que, pour le consommateur, la marque est, selon l'expression de David Aaker, une “mental box”, boîte mentale, où se mêlent trois éléments : le produit et son mix - d'une manière assez simple, quel prix, quelles implications, je suis prêt à y mettre ? - ; l'élément relationnel, qui entraîne le discours publicitaire et la communication relationnelle - à quel club, à quel clan j'appartiens ? - et un troisième élément, appelé les valeurs, les promesses de la marque - comment fait-elle un tant soit peu progresser le monde, et en quoi rejoint-elle mes idées ? Avec ces trois fonctions, qui vont au-delà de la définition, on a le Meccano de la marque, que j'appelle les trois niveaux contractuels : le contrat transactionnel, le contrat relationnel et le contrat social. Toutes les grandes marques ont développé ces trois niveaux, pas de façon équilibrée : certaines sont plus transactionnelles, d'autres vont plus vers le relationnel, d'autres vers le social, encore que cela soit un peu plus “casse-gueule”.

MM Pensez-vous au marketing éthique et au développement durable?


GL Ces deux termes me font hurler. Les marques éthiques d'ailleurs, plus que le marketing éthique. Dans nos sociétés, qui sont loin d'être pauvres, la moindre des choses est de payer et de faire travailler dans un minimum de conditions décentes, qui sont loin d'être nos propres conditions décentes, ses ouvriers et sous-traitants. Cela n'a rien à voir avec le marketing ou les marques. C'est un minimum vital pour notre société. C'est aussi un minimum moral si on ne veut pas que ce monde nous explose à la figure. C'est la même chose pour le développement durable. Que l'on oblige les entreprises à publier un rapport annuel sur le développement durable, pourquoi pas. C'est un élément incitatif. Mais, que l'on communique là-dessus me semble amoral, voire immoral. La moindre des choses pour une société structurée, qui prône des valeurs, c'est de faire attention à ce qu'elle rejette dans le sol. Là, il faudrait vraiment donner un coup de sifflet. Qu'un label comme Max Havelaar existe, c'est très bien puisqu'il garantit le respect d'éléments moraux. Que Malongo s'en serve dans sa communication, je trouve cela honteux. C'est le minimum. En plus, comme tout le monde communique dessus, cela devient totalement inopérant. C'est comme si on communiquait sur le fait que l'on ne fouette pas ses ouvriers !

MM Vous sortez dans quelques jours un livre consacré aux marques mythiques. Comment devient-on une marque mythique lorsque l'on est une marque tout court ?


GL Avec du temps. Globalement trois générations, ce qui est un peu désespérant pour les autres. Dans les années 90, des articles disaient “IBM est mort, Apple marque mythique”. La marque avait alors une dizaine d'années et on a vu ce qui est arrivé dans les années 93-95. Tant qu'une marque n'a pas au moins une quarantaine d'années, on ne peut pas parler de marque mythique parce qu'il existe un élément fondamental du mythe qui est l'origine voilée. Le deuxième élément, c'est qu'il faut que la marque soit porteuse d'une parole universelle qui fasse sens pour tous les hommes et cela ne peut se fonder que sur des grandes valeurs, la liberté, la générosité. Le troisième élément, c'est la logique binaire. La marque devient mythique parce qu'à un moment, elle a apporté quelque chose d'important, dont l'origine est perdue, mais qui continue d'agir. Elle lutte contre un fléau incarné ou non. Tous les mythes ont eu à lutter, ils avaient une fonction sociale qui était d'aider les hommes. C'est Prométhée qui va voler le feu aux dieux pour le donner aux hommes. C'est cette logique d'opposition. Certaines marques mythiques ont tendance à échoir lorsqu'elles n'ont plus de bataille à mener. Une marque passive risque de perdre sa logique mythique.

MM Parmi les marques qui n'ont pas encore 50 ans, peut-on identifier celles qui, génétiquement, sont appelées à devenir des marques mythiques ?


GL Oui, toutes celles qui sont nées d'une très forte transgression. Apple présente tous les gênes d'une marque mythique. Il faut qu'elle passe cette deuxième génération. La marque est un phénomène générationnel. Une marque naît d'une rencontre avec une génération à qui elle apporte quelque chose de neuf. Une vraie surprise par rapport à ce qui existait. La génération se l'approprie, elle devient sa marque. On revient au côté attributif. La tribu est parfois un peu large mais, globalement, une partie du public dit “c'est ma marque” et les autres ne se reconnaissent pas dedans. La difficulté, c'est la deuxième génération. Prenons l'exemple de McDo en France. C'est une marque qui a été très transgressive au niveau de la nourriture. Elle a cassé tous les codes du repas français. On mangeait avec les doigts, on mangeait chaud, froid, mou, salé, sucré, à toute heure. Mais la génération des plus jeunes est née avec McDo. Elle se pose la question de savoir ce que cette marque apporte de neuf. Cette deuxième génération est une période extrêmement difficile pour toute marque. Mais, lorsqu'elle a passé les 40 ans, les deux générations, et qu'elle arrive à faire un bout de la troisième, c'est-à-dire qu'elle s'ancre dans une socio-culture, elle est en partance pour le mythe. Mais encore faut-il, que dans ses 50 ans, elle refasse un coup d'éclat extrêmement important pour revenir sur le marché.

MM Ce coup d'éclat peut-il être un coup de pub ?


GL Non. La publicité permet, tous les 5-7 ans, de faire un clin d'œil au public à travers les codes de communication en vigueur. Le coup d'éclat est une vraie remise à plat avec, probablement, des extensions de marque et de produits significatives.

MM Mais, en jouant l'extension, la marque ne risque-t-elle pas de devenir une marque qui parle à tout le monde et donc qui ne parle plus à personne,qui vise tout le monde et ne vise plus personne ?


GL C'est le débat auquel on ne peut pas échapper et qu'il faut initier. La vraie problématique du moment, c'est la bataille fondamentale entre marketing et marque. Globalement, la marque échappe à l'entreprise. La marque est clairement la fille du marketing. Elle n'est pas née d'autre chose, mais c'est la fille indigne. Dès qu'il y a phénomène de marque, il y a bataille entre la marque et le marketing. Le marketing a pour vocation d'étendre les parts de marché et d'être là pour tout le monde, tandis que la marque, pour développer sa valeur ajoutée, doit suivre une logique beaucoup plus attributive, même si elle essaie de vendre au maximum de gens. Elle le fait à travers une identification beaucoup plus restreinte. Or, aujourd'hui, les marques ont un vrai souci. En étant trop larges, trop fortes, trop grandes, elles développent, en leur sein, une vraie logique anti-marque.

MM La formule est brutale. Pouvez-vous en dire plus ?


GL La marque repose sur une logique de liberté. Avant la marque, le café était le café-café. Il n'y avait pas le choix. La marque a apporté le choix. Aujourd'hui, sur le marché du jus d'orange, j'ai le choix entre Tropicana, Minute Maid… A chacune, j'attribue un territoire de compétences, plus ou moins naturel, plus ou moins sophistiqué, un lieu de distribution, un pricing, des évocations sémantiques, des valeurs prônées. Or, les groupes qui ont compris, grâce aux financiers, que les marques sont synonymes de “brand equity”, de valeur ajoutée, tirent dessus pour, à partir du fond de marque, aller le plus loin possible. Le risque, c'est que le consommateur ne reconnaisse plus son repère et là, le marketing joue contre la marque. Dans une certaine mesure, les groupes s'en moquent. Ils sont sur une logique de création de valeur sur un temps relativement réduit. Si une marque est fusillée, ils en ont d'autres qui sont sur la pente montante, ou ils en achèteront et développeront le même schéma.

MM Au final, n'est-ce pas une stratégie hasardeuse ?


GL Je n'en suis pas sûr, du moins financièrement. Vous avez une marque qui fait 100 millions d'euros de chiffre d'affaires, sur laquelle vous avez une prime de marque de 15 %. Par rapport au produit standard, vous avez 15 millions. Si vous montez cette marque à 1 milliard, vous allez passer à 150 millions de contribution. Finalement, si vous achetez pour 50 millions une autre marque qui est dans une logique alternative, vous la redynamisez, et laissez tranquillement mourir votre marque. Entre temps, vous aurez gagné 100 millions. MM Dans ce cas, que devient votre définition de la marque qui est un repère sur un marché ? GL Il n'est pas sûr effectivement que le consommateur s'y retrouve. En revanche, le groupe, lui, va s'y retrouver. La définition, qui est la même pour les deux parties, n'est donc pas entendue de la même façon par les deux côtés. Le mot marché est plus important pour l'entreprise, le mot repère, pour les consommateurs. Les groupes, même s'ils affirment que la marque est importante pour eux, sont dans une logique financière.

MM Etes-vous optimiste sur l'avenir des marques ?


GL Moyennement. On les sent à la fois incontournables, parce que les gens ont besoin de repères au moins sur les marchés. Le deuxième élément, c'est qu'à faire des marques trop grandes, trop fortes et qui ne sont plus symboles de liberté parce qu'il n'y a plus de choix, on risque de créer un rejet du consommateur qui, progressivement, sur un certain type de produits, va aller vers des MDD qui, rappelons-le, ne sont pas des marques. Ce sont des produits qui ont un nom. A l'exception, peut être, de Reflets de France qui est en création de valeur absolue. Et qui doit être rentable pour le groupe Carrefour.

 
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Propos recueillis par Rita Mazzoli

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