Cross media: comment passer du concept à la pratique?
Il y a dix ans, on parlait de campagnes plurimédia, voire de stratégies à 360° fondées sur des plans médias se résumant à des campagnes intégrant télé, presse écrite, affichage et radio. Avec le déploiement de l'univers digital et de sa myriade de canaux, le cross media a pris le relais. « Ce concept repose sur le développement d'une bonne synergie entre ces divers canaux, en l'occurrence tous ces points de contact auxquels ont désormais accès l'ensemble des marques, quel que soit leur secteur d'activité, pour atteindre leur cible. Ce sont les interactions et la synergie entre les canaux qui définissent le cross media. Nous étions dans l'addition, aujourd'hui, nous sommes dans l'interaction», explique Sylvain Bucalo, channel planning manager de l'agence Extrême. Et Denis Gaucher, directeur général délégué de Kantar Média, de confirmer: «Le cross média s'appuie sur l'interconnexion entre médias traditionnels, enseignes, packaging et le monde du digital, avec ses réseaux sociaux, ses moteurs de recherche, ses sites d'information et les applications sur smartphones et tablettes. » Si l'idée semble simple, son application l'est moins. Sinon, comment expliquer que 21 % des annonceurs soient plurimédia (au moins deux médias mis en oeuvre) et que «seuls 100 d'entre eux communiquent sur plus de six médias », comme le notait Denis Gaucher, en juin dernier lors d'une table ronde sur le cross média organisée par l'Electronic Business Group (EBG)?
« Nous avons repensé l'activation cross media de notre plateforme de marque »
3 question à ...
Stanislas de Parcevaux, directeur marketing d'Orangina-Schweppes France(1).
Marketing Magazine: Oasis reste la marque de soft drinks qui a connu la plus forte croissance depuis 2006, avec un CA multiplié par deux en six ans. Votre stratégie cross média y a beaucoup contribué. Comment avez-vous procédé?
Stanislas de Parcevaux: En tant que n°1 français des boissons aux fruits et n°2 des soft drinks derrière Coca-Cola, nous favorisons le cross média. Et notamment, depuis 2009, via les plateformes de communication digitales. Sur Facebook, Oasis affiche le plus grand nombre de fans: plus de 2,4 millions. Ces plateformes, tels les réseaux sociaux, servent à dialoguer avec les consommateurs de tout âge et à adresser des messages ciblés et adaptés au canal. L'avènement du digital nous a permis de repenser l'activation cross media de notre plateforme de marque. Auparavant, comme toutes les grandes marques, nous étions focalisés sur la presse écrite, l'affichage et la télé.
En quoi consiste la redistribution des rôles?
La télé, la presse écrite et l'affichage restent essentiels, mais ce mode de communication a perdu de sa persuasion. C'est aujourd'hui la preuve tangible qui forge une opinion sur la marque. Face à un consommateur très averti, il faut créer une expérience de marque pour obtenir l'adhésion. Il faut être qualitatif et répondre aux attentes des fans pour susciter l'engouement.
Nos premières applications Oasis pour mobile datent de 2010. Depuis, nous comptons 2,184 millions de téléchargements. Avec Facebook, nous développons notre engagement, avec Twitter, notre hyperréactivité, sur les smartphones, notre proximité et, enfin, sur YouTube, notre capacité à diffuser massivement notre contenu.
Parlez-nous de votre opération «Be fruit, un état d'esprit».
Cette opération fondée sur l'humour, mise en place par l'agence Marce, a démarré en avril 2012. Elle associe supports classiques et canaux digitaux. Entre autres, Facebook, Twitter, YouTube, Dailymotion et un QR code. Avec une adaptation du message à chaque support selon la cible. Dans le même temps, nous avons lancé Oasis Tropical dans le circuit CHR. Soit huit mois de travail en amont sur tous les points de contact. Nous avons ainsi gagné, en volume, 0,8 point de parts de marché en avril et 0,1 point en cumul à la fin juin (source: Nielsen).
Démultiplier l'efficacité des campagnes
Le marketing requiert désormais beaucoup d'agilité parce que le délai de mise sur le marché se réduit et que la pression du résultat s'accentue en période de crise. Cela explique peut-être que peu d'annonceurs sachent orchestrer avec finesse l'ensemble des médias.
Pour passer à l'acte, estiment les experts, il faut allier interactivité et résonance, deux mots clés. «Le cross média mobilise les divers canaux de façon spécifique, les uns au service des autres. Un canal sert un autre. En d 'autres termes, la résonance constitue l'un des piliers du cross media», poursuit Sylvain Bucalo. L'idée de base étant de démultiplier l'efficacité. L'opération Jeep 2012, conçue par Arthur Schlovsky (GroupeM) à l'occasion des trois plus importants rassemblements de sports extrêmes (les Winter X Games de Tignes, l'Adrénaline Challenge et le Quick Silver d'Hossegor), associait ainsi brand journalisme - à travers une série de films sur YouTube - réseaux sociaux (concours photo) et relais dans les médias classiques (RMC, L'Equipe et Le Dauphiné) . Pas de formule magique pour bâtir une véritable stratégie cross média. Cela exige une excellente connaissance des supports «afin d'assurer un choix pointu des médias et des canaux, stipulent Olivier Albert et Sandy Arzur, deux des quatre associés de l'agence Zone franche, spécialisée dans la cross activation. L'enjeu consiste à passer d 'un message unique et standardisé, comme c était le cas auparavant, à un autre, adapté à chaque support, expose Sandy Arzur. Il s 'agit d'injecter plus de finesse, d'intelligence dans le message pour un consommateur soumis à de multiples influences et qui attend des contenus variant selon le support. » Ce que Sylvain Bucalo appelle «le stretching du concept», qui consiste à différencier les messages pour les adapter aux divers médias. Olivier Mazeron, dg de GroupM Interaction, rappelle que certains consommateurs regardent simultanément, sur un sujet, la télé et la tablette, «sur laquelle il faut proposer des expériences complémentaires». C'est pourquoi Arthur Schlov sky a créé GroupM, structure vouée à la conception et à la production de contenus pour le digital.
Devant la multiplicité des supports, les marques doivent éviter l'écueil du saupoudrage et décliner leurs messages à bon escient. « Gare au millefeuille, alerte Sylvain Bucalo. Attention à ne pas noyer la communication dans une masse de supports. » Autre élément-clé, la connaissance de la cible et de ses comportements afin de diffuser le bon message au bon endroit. Rien de commun entre les secondes allouées à l'achat d'une lessive et les trois à quatre mois de réflexion pour une voiture. En résumé, une bonne connaissance des vecteurs de communication de la cible, du Net aux magasins en passant par le packaging, reste primordiale. Et ce ciblage nécessite l'intervention de spécialistes, déclarent d'une même voix les agences ad hoc.
Former des tandems qui fonctionnent bien
Une bonne stratégie cross média implique parfois de choisir des couples de médias qui fonctionnent bien: les campagnes télé reprises sur le Web, la lettre papier et l'e-mail ou le SMS pour relancer. Idem pour l'événementiel et le digital, le second faisant office de caisse de résonance pour le premier. Chez Kantar Média, on parle de «tradigital», à savoir un mix savamment dosé entre un support classique et le digital. «Le principe d'une campagne dans la presse écrite affichant un QR code à télécharger sur smartphone fonctionne très bien, observe Denis Gaucher. En lui donnant de l'ampleur, le digital devient un très bon complément. » Les marques vont donc pouvoir (et devoir) affiner leur stratégie. «L'ADN de la marque va ressortir de façon plus construite, plus nourrie », souligne Olivier Albert. Et les marques devront aller encore plus loin dans la personnalisation de leurs récits. «Il va falloir casser les paramétrages ancestraux du marketing et aller aussi vite que le train des consommateurs», juge Matthieu de Lesseux, président de DDB Paris. Autant de mutations qui vont affecter les métiers des annonceurs et les agences. «Cela va à l'encontre de nos organisations au sein de nos agences et chez les annonceurs, reconnaît Mercedes Erra, présidente exécutive de Havas Worldwide. De nombreuses interrogations demeurent, le cross media a encore du chemin à parcourir. » Notamment pour évaluer ses résultats. GroupeM Interaction a créé à cet effet le ROC, Return on content, une méthodologie pour mesurer les stratégies de cross media. «Les dispositifs du cross media permettent un retour sur investissement plus rapide, voire supérieur Mais il faudra instaurer de vrais systèmes de mesure pour calculer sa rentabilité», confirme Sylvain Bucalo. A l'heure où l'efficacité prime dans les directions marketing, de tels outils deviennent indispensables.
Des résultats quantifiables : le cas de la Seat Mii
- Lancement : la Mii de Seat, petite citadine ; octobre-novembre 2011, Espagne.
- Le plan cross média :
- Presse et affichage, pas de TV.
- Relations presse.
- Événementiel : dans 5 grandes villes du pays, 500 personnes (2/3 F et 1/3 H) invitées.
- Le digital :
- site Seat (www.seat.es/mii) : vidéo présentant le véhicule et proposant un essai ;
- un mini site dédié ;
- campagne de bannières sur des sites partenaires espagnols ;
- Facebook : essai virtuel du véhicule.
- Résultats : www.seat.es/mii a été le sitele plus visité en Espagne en octobre 2011 (plus de 400 000 visites).
3 000 personnes ont réservé un essai. 11 % des Espagnols ciblés ont acheté une Mii grâce à ce plan cross media.