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Créer un nom de marque HIGH-TECH, un parcours délicat

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Trouver un nom porteur d'un point de vue marketing, libre de toute exploitation commerciale et disponible en «.com» pour internet est devenu un vrai défi. enquête sur les solutions pour contourner l'encombrement tout en évitant les écueils juridiques.

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Créer un nom de marque n'a jamais été aussi complexe. Parmi les secteurs les plus touchés par cette complexité, le high-tech. Chaque jour en France, plus de 90 marques sont déposées en classe 9 (appareils et instruments scientifiques) . Alors que nombre de projets de création de marque ou de produit sont repoussés, ceux qui se lancent dans ce défi doivent être très vigilants pour créer une marque percutante tant sur le plan linguistique que marketing et juridique.

Dans le domaine des technologies concerné en priorité par les classes 9, 38 (télécommunications) ou 42 (évaluation scientifique, création de logiciels, etc.), la saturation est imminente: dans la seule classe 9 aux Etats-Unis, on dénombre à la fin du mois de mars 2010 près de 3,2 millions de marques déposées contre 2,21 millions en mars 2009, soit une augmentation de 45 % Comme l'explique Jacques Seidmann, fondateur de l'agence MàLT (Marques à long terme), «ce qui caractérise les marques high-tech est l'encombrement des classes dans lesquelles elles sont enregistrées et la dimension mondiale du marché visé». En France en 2009, 81 127 marques, toutes classes confondues, ont été déposées à l'Inpi (Institut national de la propriété industrielle), soit une augmentation de 9,7 % par rapport à l'année précédente. Cette progression a été de 3,5 % au premier trimestre 2009 et de 5 % au deuxième par rapport aux mêmes périodes de l'année 2008, pour atteindre 16,4 % au troisième trimestre et 14,9 % au dernier trimestre, même si la crise économique a ralenti l'activité.

Si le secteur des nouvelles technologies est moins impacté que ceux de la banque-assurance (classe 36) ou des véhicules et leurs composants (classe 12), l'encombrement est tel que solliciter une agence de création de marques semble être un passage incontournable. Ces agences assurent la démarche créative mais aussi l'accompagnement et le conseil, notamment dans le suivi juridique de la création de marque.

Du cahier des charges à la recherche d'antériorité

La mission des agences de création de marques est complexe. Ces sociétés peuvent intervenir simplement dans le domaine créatif en s 'appuyant sur un cahier des charges précis défini par le client, mais aussi proposer des services additionnels comme la recherche approfondie d'antériorité ou l'accompagnement dans les négociations pour récupérer une marque déjà déposée.

La phase-clé est sans doute la définition de la nature du produit ou de l'entreprise que l'on souhaite nommer. Pour Jean-Pierre Gauthier, fondateur de l'agence Apanage, « cette étape de réalisation d'un cahier des charges est essentielle. C'est la base de notre travail. Ces informations, ces attentes, ces ambitions sont les fondations sur lesquelles le projet et la marque vont s'appuyer. »

Une fois le cahier des charges défini, les créatifs peuvent se mettre au travail. « Le rôle du créateur de marques consiste à transformer la demande du client en un univers sémantique. Ce qui implique de passer du temps avec les responsables du projet, du marketing au chef de produit », explique Rodolphe Grisey, directeur associé de l'agence Demoniak. Les agences travaillent alors à établir des listes de noms susceptibles de correspondre à la fois aux valeurs véhiculées par l'entreprise et au positionnement du produit, tout en respectant des critères évidents de séduction, de résonance à la marque, mais également en restant prononçables. « Globalement, pour créer une marque high-tech, nos méthodes ne changent pas, explique Rodolphe Grisey. A nos yeux, véritable enjeu est de faire oublier la tendance techno dans le nom. »

Plus pragmatique encore, Jacques Seidmann estime quant à lui que «l'encombrement des classes ainsi que la dimension mondiale demandent un brassage d'idées plus élevé pour aboutir à des propositions disponibles ». Chez Apanage, Jean-Pierre Gauthier cherche en permanence à élargir ses champs d'investigation, notamment pour les marques technologiques: 'Nous avons ces derniers temps enrichi notre fonds documentaire de dictionnaires de langues «exotiques». C'est souvent un réservoir de pépites. »

L'ampleur des listes de noms est variable selon les cas, mais le premier filtrage présenté au client porte en règle générale sur 60 à 100 propositions. A ce stade, les agences ont déjà effectué des vérifications préliminaires de disponibilité, ce qui n'apporte toutefois pas de garanties totales. Mais après sélection par le client d'une «short list» d'une vingtaine de noms, des recherches complémentaires d'antériorité approfondies sont effectuées. Cependant, si le nom qui séduit le plus est déjà déposé, il ne faut pas se résigner pour autant. « Une marque déposée n'est pas toujours un obstacle car nombre d 'entre elles ne sont pas exploitées et sont récupérables. Un dépôt peut aussi être contourné », souligne Rodolphe Grisey. En effet, les inscriptions dans les classes s'effectuent soit sur la France (via l'Inpi), soit à l'échelon européen (via l'Ohmi, Office de l'harmonisation dans le marché intérieur - marques, dessins et modèles), soit à l'international (via le Wipo, World Intellectual Property Organization). Lorsque des noms sont déjà déposés, « les juristes peuvent entrer en action et mener des tractations pour négocier des accords de coexistence, ce qui se fait très régulièrement », constate Delphine Parlier, associée gérante de l'agence Quensis.

Jacques Seidmann (MàLt): « Le créateur de noms est un funambule qui opère sur un triple registre: linguistique, juridique et marketing. »

Jacques Seidmann (MàLt): « Le créateur de noms est un funambule qui opère sur un triple registre: linguistique, juridique et marketing. »

La réactivité est essentielle

Alors que l'on assiste à une véritable foire d'empoigne pour déposer des marques associées à des noms de domaine en «.com», il est essentiel que les entreprises, une fois le processus de création de marque engagé, soient réactives. Selon Jean-Pierre Gauthier (Apa nage), « entre la réunion de lancement et de définition du cahier des charges et la première liste de propositions, le délai idéal est de trois semaines. Les délais de validation juridique peuvent varier de dix jours à un mois, selon la complexité du projet».
Aussi, pour parvenir à se décider rapidement, mieux va ut ne pas multiplier les décideurs: un groupe de travail idéal n'excède jamais quatre ou cinq participants. La rapidité est décisive. Les noms de domaine étant particulièrement volatiles et pouvant être achetés par un simple clic (contrairement aux marques qui doivent être déposées dans des classes spécifiques), il est essentiel de réagir promptement. Ainsi, les agences ont souvent le réflexe de déposer les noms qui leur semblent les plus pertinents sans attendre la validation de leur client et lorsque ce dernier arrête son choix, validé juridiquement,«les domaines sont rétrocédés gracieusement par l'agence», confie Marcel Botton (Nomen).

@ Fotolia/3dbrained

Des erreurs à ne pas commettre!

Dans un contexte économique tendu, il faut limiter les risques. Lancer un produit ou un service est un travail suffisamment délicat pour ne pas s'exploser à des tracasseries juridiques. Aussi, même si la société recourt à des bases de données nationales et internationales pour vérifier la disponibilité d'une marque, Jean-Pierre Gauthier estime que « jamais les agences ne remplaceront l'analyse de l'expert en droit des marques. C'est pourquoi systématiquement, nous recommandons un avis de juriste ». Un préalable indispensable avant d'investir dans un nom. Le secteur high-tech est encore plus sensible dans ce domaine. L'actualité l'a démontré à maintes reprises: en mars 2010, dans une affaire qui a opposé Google à Integra Telecom, l'USPTO (United States Patent and Trademark Office - Bureau américain des brevets et des marques de commerce) refuse en première instance à Google l'enregistrement de la marque Nexus One, en invoquant un risque de confusion avec la marque Nexus déposée en 2008 par Integra Telecom (service de partage de bande passante). De même, en janvier, Apple et Fujitsu se livraient bataille pour le mot iPad. Apple était d'ailleurs déjà rodée après les négociations entreprises en 2007 avec Cisco pour la marque iPhone. Les exemples ne manquent pas. Par conséquent, la principale erreur à ne pas commettre est de négliger la phase de recherche d'antériorité. Pour Marcel Botton, fondateur de Nomen, l'agence française leader dans la création de marques, « il faut toujours doubler les recherches d'antériorité en investiguant une première fois au moment du choix du nom et une seconde fois au moment du lancement, car entre-temps existe ce que nous appelons la «période d'occultation». » En effet, entre le moment où une entreprise dépose une marque et l'amorce de la communication sur cette marque, des concurrents ont pu eux aussi déposer des noms. « Les agences ont pour mission d'éviter les mauvaises surprises, déclare Rodolphe Grisey. Il y a fort à parier qu'un nom a déjà une antériorité. La question est de savoir si cette antériorité est gênante ou pas! »

Si le risque juridique est clair, il ne faut pas négliger non plus le risque linguistique. Miser sur l'originalité absolue, c'est aussi s'exposer à des noms peu intelligibles à l'international, pouvant éventuellement entraîner des contresens. Même si, pour Jacques Seidmann, « ce qui fait la valeur d'un nom est sa rareté », il faut également admettre, comme le souligne Delphine Parlier, qu' « une marque réussie est une étoile qui parvient à briller plus fort que les autres dans une galaxie où il est difficile de se distinguer. Pour y parvenir, l'analyse de l'environnement concurrentiel est un préalable indispensable. » Le problème se complexifie lorsque l'on envisage la présence sur Internet. Comme l'explique Jacques Seidmann, « quand nous trouvons un mot évocateur, prononçable dans toutes les langues, qui n 'est déposé dans aucune classe libre en «.com», avec une page vierge sur Google... nous sommes en présence d'une pépite! » Or les pépites se font de plus en plus rares...

Delphine Parlier (Quensis): « Créer un nom pour une marque ou un produit, c'est se glisser dans la peau d'un alchimiste. »

Delphine Parlier (Quensis): « Créer un nom pour une marque ou un produit, c'est se glisser dans la peau d'un alchimiste. »

87 millions de sites actifs en «.com» Source: recensement Domaintolls.com au 5 mai 2010

Carbone Lorraine devient Mersen

Carbone Lorraine est l'un des premiers acteurs à avoir développé les applications industrielles du carbone et du graphite dans le monde il y a plus d'un siècle. Malgré ce passé industriel riche, le groupe a fait le choix de changer de nom: depuis le 21 mai, Carbone Lorraine est devenu Mersen. Ce nom, tout droit issu de l'agence Nomen, aura nécessité près d'un an de travail pour plus de 20 personnes (dont six juristes).
« Carbone Lorraine nous avait contactés il y a cinq ans pour envisager un changement de nom, explique Marcel Botton. A l'époque, nous n'avions pas jugé cela opportun. » Mais depuis, Carbone Lorraine a acquis de nouvelles sociétés, réorienté ses activités vers les énergies nouvelles et, surtout, le mot «carbone» est devenu assez mal connoté. Après avoir étudié pas moins de 2 182 noms possibles, c'est finalement Mersen qui a été retenu après un contrôle linguistique sur près de 32 pays et juridique sur 30 pays. Mersen possède trois significations fondamentales: le traité de Mersen, qui date de 870, a plus ou moins signé l'acte de naissance de l'Europe telle que nous la connaissons aujourd'hui ; Mersen est aussi l'acronyme de «Matériaux, Electricité, Recherche, Service et ENergie» ; enfin, Marin Mersenne était un scientifique du XVIIe siècle, ami de Descartes. L'ensemble des significations induites correspondaient parfaitement à l'esprit que voulait incarner Carbone Lorraine.

Rodolphe Grisey (Demoniak) :«Désormais, la problèmatique internationale est prise en compte systèmatiquement dans le processus de création de marque.»

Rodolphe Grisey (Demoniak) :«Désormais, la problèmatique internationale est prise en compte systèmatiquement dans le processus de création de marque.»

Jean-Pierre Gauthier (Apanage) : «L'utilisation de vocabulaire inventé, de préfixes ou de suffixes évocateurs de technologie permet la création de marques fortes et distinctives.»

Jean-Pierre Gauthier (Apanage) : «L'utilisation de vocabulaire inventé, de préfixes ou de suffixes évocateurs de technologie permet la création de marques fortes et distinctives.»

Le nom de domaine, indissociable de la marque

Etre présent en ligne est aujourd'hui incontournable. Et qu'il s'agisse d'une marque technologique ou non, la problématique est la même. Si les classes 9, 38 ou 42 sont encombrées, le «.com» l'est également! En effet, selon le recensement effectué quotidiennement par Domaintools.com, il apparaît que l'on dénombre au 5 mai 2010 près de 87 millions de sites actifs en «.com», 13 millions en «.net» et 8 millions en «.org». Tous les noms communs du dictionnaire anglais sont déjà déposés.

Dès lors, plusieurs solutions sont envisageables. Il est tout d'abord possible de renoncer au traditionnel et éminent «.com» pour s'orienter vers des extensions nationales comme le «.fr»: avec 2 millions de sites actifs, il reste encore des noms disponibles. Mais cela peut être préjudiciable dans le cas d'un développement important à l'international. Une autre piste consiste à renoncer à l'idée d'un nom court, mais il est alors capital que la marque soit très signifiante. Enfin, on peut opter pour des néologismes. Dans tous les cas, la marque doit répondre à trois impératifs: le nom doit être facile à prononcer, facile à mémoriser et ne pas susciter de contresens. Puisque les dictionnaires sont désormais en passe d'être épuisés (du moins pour les termes les plus porteurs) et que le dépôt de mots d'usage courant est impossible, les créatifs doivent sans cesse inventer. Pour gagner du temps dans leur exploration des champs sémantiques, ils disposent d'outils très variés. Ainsi, MàLT utilise une banque de noms qui contient environ 20 000 références classées par thèmes. Chez Quensis, on exploite trois bases de données différentes: la première est lexicale et comporte environ 10 millions de mots de tous pays. Les références sont ensuite croisées avec une deuxième base de noms en «.com», puis enfin avec la base des marques. « Des filtres de tri permettent alors non pas de trouver nécessairement la perle rare, mais au moins d'éliminer les évidences », témoigne Delphine Parlier de Quensis. L'agence n'hésite pas non plus (comme la quasi-totalité de ses concurrents) à utiliser des générateurs informatiques. « La création assistée par ordinateur nous permet d'élargir les champs du possible. Le logiciel se charge de faire des vérifications à la fois linguistiques et de validité juridique. »

Marcel Botton (nomen): « Les attentes de nos clients sont plus importantes que par le passé. »

Marcel Botton (nomen): « Les attentes de nos clients sont plus importantes que par le passé. »

Ainsi, pour créer une marque high-tech aujourd'hui, le soin apporté à la composition de l'équipe est essentiel. Il faut en effet savoir fédérer autour du projet d'une part des créatifs attentifs et ambitieux, des responsables de produits qui connaissent leur secteur et la concurrence sur le bout des doigts, et d'autre part, des juristes ingénieux et perspicaces qui, parfois, seront amenés à négocier habilement des accords avec des concurrents...

« Le maximum pour limiter les risques »

Accompagnant les projets dès leurs balbutiements, les agences de création de marques sont finalement de précieux indicateurs de l'activité économique. « L'activité a sensiblement ralenti, c'est un fait. Mais pas dans tous les secteurs. Et déjà nous ressentons les premiers frémissements de la reprise », indique Marcel Botton, fondateur de l'agence Nomen. Il concède aisément que le métier qu'il exerce depuis plus de vingt ans est en pleine évolution. « Les prix de nos prestations n'ont pas véritablement baissé, mais les attentes de nos clients sont plus importantes que par le passé. » Cependant, le chef d'entreprise n'y voit finalement que des aspects positifs: « Nous sommes condamnés à améliorer sans cesse la qualité de notre prestation, notamment sur le plan des investigations à mener sur la disponibilité d'une marque. » Pour cela, Nomen intègre un véritable service juridique qui se charge d'effectuer des vérifications aussi approfondies que possibles.
« Néanmoins, on ne peut rien garantir à 100 %, confie Marcel Botton. Personne n'est à l'abri d'une procédure ou d'une contestation. Mais nous faisons le maximum pour limiter les risques. » Le développement d'Internet et l'amélioration sensible de la gestion des bases de données lui apparaissent comme des facilitateurs d'activité. « Tout est plus rapide et plus facile aujourd'hui.
Hormis pour certains pays, les bases sont mises à jour en temps réel et même au cours d une séance de brainstorming, nous pouvons enquêter sur un nom. Il y a seulement cinq ans, ce n'était pas possible. »

 
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José Roda

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