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Changement de nom, changement de peau ?

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Dans les deux dernières décennies, la moitié des entreprises du Cac 40 ont changé de nom. Les marques elles-mêmes sont en constante mutation, la tendance étant à la rationalisation du porte-feuille… Des changements qui peuvent déstabiliser le consommateur.

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Le 16 janvier dernier, les rayons de l'ultra-frais ont connu une petite révolution. Le fameux Bio de Danone, lancé en 1987 et consommé par près de 10 millions de foyers en France, a changé de nom pour devenir Activia. Une métamorphose qui pourrait bien nuire aux ventes du petit pot vert car, « rien n'est plus important que le changement de nom. Avec lui s'évaporent toutes les émotions associées à ce nom en interne et en externe. Un nom est une forme cohésive à l'intérieur de sa clientèle, le signe d'une confiance patiemment bâtie. Chaque changement de marque est donc une baisse d'énergie, une diminution de la prestation », souligne le professeur de marketing Jean-Noël Kapferer, dans son livre Ce qui va changer les marques (2002, Editions d'Organisation). L'abandon d'un nom ne se fait donc pas par simple convenance. Les raisons sont souvent à chercher du côté juridique : incompatibilité avec une réglementation en vigueur ou télescopage avec un nom déjà existant. Ensuite, il faut aller voir du côté du changement de structure capitalistique de l'entreprise, suite à un rachat, une fusion, etc. Enfin, les marques peuvent décider de faire peau neuve pour appuyer un changement de stratégie, tenter de faire oublier une mauvaise image ou un accident de parcours. « En fait, dans la majorité des cas, un changement de nom est un échec, car cela veut dire que l'entreprise n'a pas réussi à développer la marque précédente au niveau où l'on peut élever sa valeur », explique Georges Lewi, directeur du BEC-Institute, chargé d'enseignement à la Sorbonne (Celsa) et à HEC. Et l'abandon d'un nom coûte cher. Il faut du temps et de l'argent (entre 5 et 50 millions d'euros pour une grande entreprise) pour se reconstituer une notoriété équivalente, sans savoir si on la récupérera un jour ni si l'on pourra appliquer la même prime de marque aux consommateurs en perte de repères.

Des consommateurs déboussolés

Cependant, le risque est moins important pour une marque Corporate. « Ce qui peut arriver à la rigueur, c'est que les salariés continuent d'employer l'ancienne dénomination mais, en général, cela n'a pas d'impact négatif sur le business », relativise Georges Lewi. A ce jour, un seul ratage fait cas d'école: celui de Royal Mail, la Poste anglaise qui s'était rebaptisée Consignia en 2001. Deux ans, une notoriété nulle et des déboires financiers plus tard, la direction faisait marche arrière. Il n'en va pas de même pour les marques-produits, qui ont une résonance émotionnelle très forte chez les consommateurs. Le risque est alors de perturber les clients qui peuvent ne plus reconnaître leur produit habituel ou douter du maintien de sa qualité et donc de faire chuter les ventes. Le groupe Mars en a fait les frais quand il a remplacé les confiseries Treets par les M&M's. Il a fallu dix ans pour que la nouvelle marque retrouve le niveau de vente de l'ancienne. Quinze ans plus tôt, le même groupe aura dû dépenser des dizaines de millions de francs pour imposer ses Twix en lieu et place de la barre chocolatée Raider. Pas étonnant donc que, lorsque Danone se retrouve au pied du mur pour changer le nom de l'une de ses marques phares (Bio), le groupe sorte le grand jeu. Prévenu depuis 1991, par l'adoption d'une réglementation européenne interdisant l'usage de termes généralement considérés par le consommateur comme une référence au mode de production biologique (Bio, Ecolo, etc.), Danone avait obtenu un sursis jusqu'en 2006. Ce n'est qu'en juillet prochain que Bio sera définitivement abandonné au profit d'Activia, la dénomination utilisée dans le reste du monde et qui évoque une action dynamique des ferments vivants. Mais la campagne destinée à faire accepter le changement a commencé en novembre dernier, selon la technique du fondu enchaîné (soit la cohabitation des deux marques pendant une certaine période). Huit mois de matraquage, plusieurs spots TV, un site internet dédié (www.biodevientactivia.fr), une campagne presse, un balisage en magasins et la mention du double nom sur le packaging même, seront-ils suffisants pour faire passer la pilule et vendre ses 660 millions de pots annuels ? Le groupe l'espère et le répète en boucle : les bienfaits santé du produit sont intacts, “rien ne change sauf le nom”. La charte graphique a été, d'ailleurs, préservée. Toutefois, un tel cas est rare. Un changement de nom est souvent l'occasion d'améliorer le produit pour à la fois coller aux nouvelles attentes des consommateurs et justifier la transformation.

Nouveau nom, nouveau cap

C'est notamment ce qu'a décidé Soleillou, une marque spécialisée dans les produits à base d'herbes de Provence. Après avoir passé le cap des 40 ans, changé de propriétaire, décidé de lancer une marque propre et de s'exporter à l'international, Soleillou a décidé de s'appeler Soléou. Un changement a priori minime mais qui veut pourtant dire beaucoup selon le président, Dominique Amirault : « C'est une sorte de naissance, insiste-t-il. Quand je suis arrivé dans l'entreprise, j'ai découvert que le nom n'avait aucun sens, que les gens (l'entreprise est basée en Provence) et le personnel le voyait comme une invention de Parigot. Ce n'était pas l'esprit de la marque, basé sur l'authenticité. » Et de poursuivre : « Les étrangers avaient du mal à le prononcer, à l'écrire, surtout les Anglo-Saxons. » Mauvais point quand on ambitionne de se développer à l'international et, en particulier, aux Etats-Unis. Pendant plus d'un an, la PME va donc mandater une agence pour consulter consommateurs et prospects et trouver Le nom. Soléou en sortira gagnant : traduction quasi exacte de soleil en provençal, la nouvelle appellation évoque à la fois l'huile (oléo), l'olive, sol (soleil en italien et en espagnol), la santé… des items en totale adéquation avec la marque qui s'est, en plus, offert un nouveau logo et des packagings plus modernes… Beaucoup de changements et peu de moyens financiers pour communiquer dessus, sachant que la nouvelle identité avait déjà coûté près de 50 000 euros, une somme pour une petite entreprise de vingt-cinq personnes. « Nous avons simplement mis une petite collerette sur nos produits pour expliquer le changement de nom et éviter que les gens pensent à une contrefaçon par exemple », ajoute Emilie Pouteau, responsable marketing. Rien à voir avec la grosse artillerie déployée par HSBC, nouvelle dénomination des CCF, Banque Hervet, Banque de Baecque Beau, UBP et autre Banque de Picardie passées sous la coupe de la multinationale. Un véritable “big-bang”. En une nuit, le 8 novembre dernier, ce sont 350 agences qui sont passées sous la bannière HSBC. Un travail énorme sur lequel la société a largement communiqué, mettant en avant les chiffres de la métamorphose : 16 000 heures de travail de pose et de dépose, 35 équipes tous corps de métiers confondus déployées sur l'ensemble du territoire, 150 personnes pour retirer les caches et des “journées portes ouvertes” pour accueillir les clients dans toutes les agences qui en profitaient pour les informer des nouvelles offres. La campagne aura également été à la hauteur avec l'habillage des passerelles d'avions aux couleurs d'HSBC suivie de multiples publicités : 230 spots radio par semaine ; 120 annonces presse écrite de novembre à janvier ; 1 000 spots TV sur chaînes hertziennes et câblées?; 80 500 spots au cinéma. Le tout pour un coût de 15 millions d'euros… Un budget conséquent mais qui s'avérait nécessaire selon Jean-Noël Kapferer. « Dans ce cas, l'alternative était de garder un nom qui avait une notoriété locale contre un de réputation mondiale… On ne change pas seulement de nom mais aussi de trajectoire, de stratégie », note ce dernier.

Pas si tragique…

Et finalement, qui viendra pleurer la mort de ces noms si le service reste intact, voire meilleur ? « En fait ce n'est pas si dramatique, aime à répéter Georges Lewi, personne ne descendra dans la rue pour protester contre un changement de nom… » Pour preuve, même des marques plus que centenaires ont opéré leur mue sans heurt. Il y a huit ans, le numéro 1 de l'assurance, UAP, se dissolvait dans Axa après une OPA surprise. Aujourd'hui, qui citerait encore spontanément l'UAP ? Quelle est donc la valeur de la marque si l'on peut la tuer, la remplacer ou la faire revivre, à l'envi ? Florence Hussenot, directrice générale d'Adwise, un cabinet marketing qui réalise des créations de noms (et a changé le sien en décembre) tente une explication quasi métaphysique. « Ce n'est pas parce que l'on tue un nom que le nom est mort », ose-t-elle. Chambourcy en est l'illustration parfaite. La marque a beau avoir disparu au profit de Nestlé - qui en a tout de même repris tout le code visuel - elle n'en reste pas moins vivace dans la tête des consommateurs… Certaines marques peuvent donc avoir du mal à changer de peau… Ainsi, des cosmétiques Gemey, appellation locale de Maybelline, uniquement utilisée en France. Le groupe L'Oréal, dont la stratégie est clairement de favoriser les marques internationales, peine à faire prendre la mayonnaise vu le capital émotionnel lié à la marque. Une difficulté que l'on doit peut-être à la stratégie de l'entreprise, avance Georges Lewi. Lorsque l'on garde les deux noms pour opérer un changement en douceur, la place octroyée à l'une ou à l'autre marque est très importante?: « L'erreur a peut-être été de mettre Gemey en première position, explique le spécialiste des marques. Cela a donné un incroyable coup de jeune à cette marque et l'a probablement sauvée. Aujourd'hui, les études montrent que la marque a besoin de ses deux pieds. » Le duo qui devait être, au départ, éphémère se serait-il donc transformé en une nouvelle marque ?

A nouveau nom, nouvelle valeur ?

Et que faut-il comprendre lorsqu'une marque passe sous l'identité d'une autre, plus connue et davantage valorisée ? Pourra-t-elle prétendre à une prime de marque plus élevée ? C'est, notamment, la question que pose le changement de nom de Daewoo dont les véhicules européens arborent désormais l'écusson de Chevrolet. Deux marques à l'image très différente et dont la fusion a déstabilisé plus d'un client. Si Chevrolet souligne que les véhicules ex-Daewoo ont été modifiés pour coller à leur nouvelle marque (la Matiz a ainsi été transformée à 80 %), l'affaire n'en suscite pas moins un débat passionné sur les forums automobiles (www.forum-auto.com)?: « Hyundai s'est fait un nom (et des parts de marché) en Europe, Daewoo aurait pu faire pareil mais badger les actuelles Daewoo en Chevrolet est une erreur monumentale, ça va décrédibiliser Chevrolet », s'offusque un internaute quand un autre relativise?: « Ça ne colle pas trop avec l'image de Chevrolet que j'ai, mais bon, si ça peut aider à vendre mieux, pourquoi pas… ». Car comme le souligne Jean-Noël Kapferer, « Daewoo était un échec, elle n'est jamais devenue une vraie marque en Europe. Le fait de passer sous le logo Chevrolet ne lui donne pas une autre valeur mais cela permet de ne pas dépenser sur une marque à laquelle personne ne croit ». Dans cette valse de noms, reste à compter sur la compréhension et l'intelligence du consommateur, souligne Catherine Veillé, d'Ipsos Insight Marques. « Un consommateur rodé, qui n'est pas dupe des enjeux marketing et qui a souvent eu affaire à un changement de nom au sein de son entreprise. »

Egg sort de sa coquille pour devenir Oney.fr. Etude de cas Six mois après la métamorphose, les anciens et nouveaux clients de la banque en ligne plébiscitent Oney.

Arrivée sur le marché français en 2002, la banque en ligne Egg n'a jamais su trouver son public. Et les pertes de la filiale française ont plombé les comptes de l'ensemble du groupe… Fin 2004, le verdict tombe : ses activités de crédit sont rachetées par la banque Accord (groupe Auchan) et la marque doit changer de nom dans les six mois… « Egg était une marque très forte et attachante, explique Stanislas Chavanat, responsable marketing Oney.fr. Nous avons réalisé un baromètre d'évaluation pour mesurer ce degré d'attachement et nous nous sommes rendu compte que les clients formaient un peu une tribu, très fière. Il ne s'agissait donc pas d'une création mais bien d'un changement de nom. Cela ne se gère pas de la même façon : là, il s'agissait de bien prendre en compte la base des 60 000 clients existants. » L'objectif pour l'agence Dragon rouge était donc de garder ce capital sympathie tout en lui donnant une crédibilité dans le monde de la finance et l'élargir au maximum de clients potentiels. « Nous avons élaboré trois scénarios avec des marques fictives, correspondant chacune à un positionnement différent, se souvient le président de Dragon rouge, Christian De Bergh. Un premier axé sur la simplicité et l'optimisme, un deuxième sur l'hédonisme et un troisième sur la modernité et les early-adopteurs. On a retenu le premier. » Ce n'est qu'à partir de ce moment que l'agence a pu réfléchir au nom en lui-même. « Nous l'avons incarné dans une histoire du style “Je veux le miel et l'argent du miel”, déclinée sur tous les supports de communication et de paiement de la marque… Oney s'est vite détaché : c'est “money” sans les mauvais côtés du “m” (lié à des termes négatifs, comme malaise ou misérabilisme) en gardant l'idée du plaisir (honey) et de l'honnêteté (honest) », souligne-t-il. Testé par différents groupes qualitatifs à Paris et en province, sur les clients et prospects, Oney a remporté tous les suffrages. Pouvait alors commencer la phase de lancement et de communication interne et externe. Un passage obligé qui détermine, en partie, le succès de la marque. « Nous avons choisi la méthode du biseau, en privilégiant une mise en place en douceur pour rassurer les clients et le personnel », insiste Stanislas Chavanat. Ainsi, tous les chefs de service ont été associés par le biais de réunions expliquant le pourquoi et le comment du changement de nom. « C'est un moyen de mobiliser l'interne, reprend-il, le changement de nom est aussi un moyen de se remettre en cause et de redynamiser les équipes internes. C'est aussi une bonne opportunité pour faire évoluer la marque et les offres. » Côté clients, la banque a lancé une campagne de teasing internet, mobile et courrier. Le tout dans une synchronisation quasi parfaite : le 31 août, à 11 h 30, les journalistes et les clients découvraient en même temps le nouveau nom de la banque. Six mois plus tard, il est encore un peu tôt pour dresser un bilan définitif de cette métamorphose, mais déjà la banque s'affirme satisfaite des premières retombées. Pour Stanislas Chavanat, « la marque Egg n'est pas encore effacée mais les nouveaux clients ont bien souscrit à Oney.fr et la banque a enregistré peu de départs depuis le changement ».

 
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Béatrice Héraud

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