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Consommer rime aujourd'hui avec créer. Les clients ne se contentent plus d'acheter ce que les marques veulent bien leur proposer. Ils mettent la main à la pâte et participent activement au processus de conception des produits, des services et des politiques de communication. L'ère de la customisation est ouverte.

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«Il y a peu de différence entre un homme et un autre, mais c'est cette différence qui est tout », a dit le philosophe américain William James. Chacun d'entre nous est unique et libre. Du moins, c'est ainsi que l'on aimerait que les autres nous reconnaissent. L'heure est aujourd'hui à la réalisation de soi, et « produire de la différence est un moyen de montrer que l'on existe. Certains ont les capacités artistiques pour le prouver, mais le commun des mortels le fait en consommant », remarque Benoît Helbrunn, docteur en sciences de gestion et auteur de La consommation et ses sociologies (Armand Colin). Si les objets qui nous entourent sont un peu la vitrine de ce que nous sommes, quel meilleur moyen de se singulariser que de les concevoir ou les modifier selon nos envies? Autrefois réservée au luxe, la personnalisation se démocratise. Les marques sont de plus en plus nombreuses à répondre à ce désir de différenciation, en proposant au consommateur un rôle actif dans la création des produits et des services qu'il achète. Leur relation s'en trouve modifiée. Le consommateur passe du statut d'acheteur à celui de coconcepteur ou codesigner. Il réclame le droit de choisir ce qu'on va produire pour lui.

@ Istockphoto

Plus qu'une simple tendance

Portée par la crise, la coproduction fait partie des nouvelles tendances de consommation «fondées sur la réalisation de soi autonome», selon une étude«Le consommateur va-t-il changer durablement de comportement avec la crise?», Cahier de recherche n° 268, décembre 2009. du Credoc. On peut la définir comme «l'activité par laquelle le consommateur contribue à la production du bien ou du service qu'il consomme. Ainsi, qu'elle soit mesurable ou non, la coproduction implique le client dans les différentes étapes de la création de valeur». Cependant, pour Benoît Helbrunn, la personnalisation est bien plus qu'une simple tendance. « C'est un phénomène de fond lié à l'avènement de la société démocratique et à l'apparition de la notion d'identité au XVIIIe siècle », explique-t-il. Or, notre identité se définit à la fois de manière collective et individuelle. Nous voulons nous singulariser tout en cherchant à appartenir à un groupe. Le but étant d'être différent, mais pas trop. Tout le monde n'est pas Lady Gaga... « Les codes que l'on montre doivent être signifiants pour la communauté dans laquelle on veut s 'inscrire. On ne peut pas, par exemple, mettre n'importe quelle sonnerie sur son téléphone professionnel », observe Catherine Lejealle, docteur en sociologie. Alors comment concilier ces deux désirs contradictoires? « Le génie des marques consiste à proposer une base commune de référence, qui permet de fonder une identité collective, puis des systèmes de personnalisation, qui produisent de la petite différence », analyse Benoît Helbrunn.

Comme beaucoup de concepts, la personnalisation est à géométrie variable. Elle dépend de la nature de la participation du consommateur. Quand celle-ci est plutôt faible, la personnalisation « s'apparente à une recommandation de la part de l'entreprise, l'amenant généralement à choisir un produit au sein d'une gamme préexistante », explique Aurélie Merle, professeur de marketing et spécialiste de la customisation de masse. Mais dès lors que le consommateur modifie directement l'objet grâce à des moyens de production spécifiques, on peut parler de customisation de masse. Ainsi, tandis que Clarins se contente de proposer une crème adaptée à une cliente en fonction du questionnaire que cette dernière a rempli sur Internet, Lego va plus loin, en offrant la possibilité de dessiner et d'acheter ses propres créations grâce à un logiciel dédié. Quel bénéfice le client tire-t-il de la customisation d'un produit? « Les différents travaux montrent que le consommateur accorde de la valeur d 'une part au produit customisé, et d'autre part à l'expérience de codesign », souligne Aurélie Merle. Il apprécie le fait de posséder un objet adapté à ses goûts et besoins, qui lui permet d'exprimer sa différence. De plus, cette expérience créative l'amuse et lui procure une certaine fierté.

Aurélie Merle (professeur de marketing)

« Le consommateur s'intéresse à la customisation et à l'expérience de codesign. »

En magasin et sur Internet

La personnalisation fait parfois partie de l'ADN de la société. L'enseigne Build A Bear a par exemple forgé sa réputation sur un concept novateur: le consommateur se rend dans une boutique pour fabriquer lui-même sa peluche, du rembourrage au choix des accessoires et vêtements, en passant par l'enregistrement d'un message ou d'un son. Dans un tout autre genre, la chaîne Subway fait de la personnalisation du sandwich, réalisé sous les yeux du client, un argument de vente majeur. Pour d'autres marques, la customisation est un moyen de renouveler son offre et son image. Conscient du désir d'exclusivité de ses clients, Repetto vient par exemple de lancer, dans sa boutique rue de la Paix à Paris, un nouveau service baptisé L'Atelier Repetto. Celui-ci permet de personnaliser sa ballerine dans plus de 250 nuances d'agneau et d'y ajouter les bordures et lacets de son choix. Chaque paire unique est ensuite marquée d'un R doré, incrusté dans le talon. La marque prévoit d'élargir ce service aux modèles pour homme et enfant. Si les expériences réussies de personnalisation en magasin existent, elles prennent une tout autre dimension sur Internet. Ainsi, on voit fleurir de plus en plus de sites d'ecommerce qui proposent à la vente des produits personnalisés. C'est le cas de Longchamp et de M&M's. « Sans la montée en puissance continue des systèmes et des réseaux, la customisation comme alternative à la production de masse n'est pas envisageable, estime André Beirnaert, vice-président de l'Institut français de la mode et créateur de Capcusto, une start-up dédiée à la personnalisation des vêtements. La customisation, par les outils sur lesquels elle s 'appuie et sans lesquels elle n'existerait pas, nous mène aux limites de l'interaction entre monde virtuel et monde réel. Je crée une chose immatérielle, et je reçois un produit bien réel. »

Sur le site de Desperados, l'internaute peut personnaliser ses bouteilles de bières.

Sur le site de Desperados, l'internaute peut personnaliser ses bouteilles de bières.

Des produits à dominante symbolique

La customisation de masse peut s'appliquer à différentes catégories de produits. Mais, selon Aurélie Merle, « compte tenu des bénéfices identitaires recherchés, il semble toutefois préférable que le produit revête une valeur symbolique, en plus de sa valeur fonctionnelle. Ceux qui impliquent limage de l'utilisateur devraient posséder un plus fort potentiel, même s ils sont consommés en privé. » C'est le cas des chaussures, des vêtements, des accessoires, du parfum, de l'automobile ou de l'habitat. Nike est souvent cité comme un exemple de réussite en matière de personnalisation. Sur le site internet de la marque ou grâce à une application iPhone, l'internaute peut directement customiser une centaine de baskets, d'équipements et d'accessoires. Il utilise un logiciel de design assisté qui lui permet de concevoir virtuellement la chaussure de ses rêves. Chez Converse, on peut laisser libre cours à son imagination sur plus de 40 modèles et faire inscrire son nom ou un mot au bas de sa basket. Le fabricant américain de lunettes Oakley a lui aussi compris l'intérêt d'offrir un service de personnalisation pour ses produits. L'internaute paramètre en ligne une dizaine de modèles de lunettes en fonction de ses goûts. Tout y passe: la couleur de la monture, la teinture des verres, les branches et même la sacoche de protection. Même principe, ou presque, avec des meubles sur le site de L'Usine à design. Desperados ne vend ni vêtements, ni chaussures, ni accessoires. Pourtant, la marque de bière s'est, elle aussi, laissée tenter par l'aventure de la customisation en lançant cette année son site communautaire de création de bouteilles personnalisées. Après s'être inscrit, l'internaute peut concevoir sa propre étiquette grâce à une large palette de couleurs et de motifs, puis inviter des amis à compléter son décor et commander ses propres réalisations. Effet garanti à l'apéritif... Dans un tout autre genre, le spécialiste du jouet éducatif LeapFrog propose pour Noël une peluche à personnaliser dotée d'un port USB. En la reliant à une application à télécharger, les parents enregistrent le prénom et les goûts de leur enfant. La peluche Scout s'adresse ensuite à lui nommément et lui chante ses chansons préférées. « C'est extraordinaire pour l'enfant de voir que la peluche lui parle, il se sent unique », assure Guillaume Mamez, directeur marketing de LeapFrog.

Tout comme les objets, les services tendent également à la personnalisation. Numéricable a annoncé fin 2009 le lancement de Zoond. Cette chaîne musicale s'adapte aux goûts et à l'humeur du téléspectateur. Il lui suffit d'utiliser sa télécommande pour noter ses chansons préférées. La chaîne mémorise ses choix et personnalise la diffusion en fonction des critères de notation. Il peut également affiner son niveau de découverte, en décidant par exemple de voir 25 % de clips qu'il aime et 75 % de clips inédits. «Les consommateurs veulent désormais qu'on leur offre quelque chose qui est vraiment pour eux. C'est un vrai challenge pour les marques», affirme Jonathan Hall, directeur général d'Added Value France, qui a travaillé avec l'un des plus importants fabricants de jeans sur le sujet. «Levis se demandait comment réagir à cette tendance de la personnalisation. Nous avons donc créé pour eux, à partir de notre plateforme digitale AV-ID, une communauté de 20 personnes incroyablement créatives, réparties dans 10 villes à travers le monde. Nous leur avons demandé ce qu'ils personnalisaient, comment et pourquoi. Ils nous ont fourni durant quatre semaines du texte, des photos, des esquisses et des vidéos. Et nous en avons fait un film de sept minutes qui a été présenté l'année dernière. » Levi's a ensuite ouvert à San Fransisco le Levi's Tailor Shop, dans lequel des couturiers sont à la disposition des clients pour personnaliser les jeans.

Le coût de la personnalisation

Jusqu'où peut-on pousser cette logique de personnalisation des produits et des services? Peut-on imaginer qu'un jour, tous les consommateurs puissent acheter des produits ou services totalement uniques, imaginés par eux et pour eux? Pas si simple... «Entre les possibilités actuelles et la généralisation du concept, il y a un écart. Tout pousse à la personnalisation d'un point de vue sociologique et technologique, mais économiquement parlant, qui dit personnalisation dit aussi rareté et donc prix plus élevé», observe Rémy Oudghiri, directeur du département Prospectives chez Ipsos. Acheter des M&M's personnalisés sur Internet coûte ainsi cinq fois plus qu'en magasin. «Le modèle économique de la personnalisation n ' a pas encore été trouvé, sauf dans le domaine du luxe», estime Rémy Oudghiri. Outre l'aspect financier, il ne faut pas négliger le coût cognitif et social. Customiser un article grâce à un logiciel prend du temps et demande un minimum de compétences. Certaines personnes ont peur d'effectuer de mauvais choix et de voir leur entourage réagir négativement.

Personnaliser pour son propre compte des produits déjà existants est possible, mais concevoir des objets ou services totalement nouveaux pour le plus grand nombre s'avère plus difficile. Avec l'apparition du Web 2.0, les internautes créent de plus en plus de contenu, qu'ils exposent publiquement sur les blogs, forums, réseaux sociaux ou sites comme Wikipédia ou YouTube. On ne leur donne plus la parole, ils la prennent. Et leur discours acquiert du pouvoir. Les nouvelles technologies ont donc réinventé la relation avec le consommateur. Les entreprises n'ont d'autre choix que de l'écouter. Et puisque les internautes manifestent le désir de créer et de participer, elles ont aussi tout intérêt à imaginer des moyens de les encourager à le faire en faveur de leurs produits et de leur univers. C'est pourquoi les stratégies marketing intègrent de plus en plus cette notion de participation et d'interactivité, en offrant un rôle prépondérant aux clients. Depuis plusieurs années, Danette les encourage par exemple à voter pour choisir le prochain parfum de leur crème dessert. Dans la même optique, Kambly vient de lancer une grande campagne de promotion à l'occasion de ses 100 ans. Son slogan: «Devenez créateur de saveurs». En plus de donner la parole aux consommateurs en leur proposant d'élire leur saveur préférée, Kambly les incite à déposer une recette de leur invention qu'ils aimeraient voir réaliser. «Nous avons voulu faire passer le message que chacun de nous est créateur de quelque chose, explique Frédéric Deschamps, directeur conseil de l'agence Comme un lundi. En reconnaissant sa capacité à faire de bons biscuits, la marque valorise le consommateur. » Mais pour Ludovic Delaherche, directeur conseil de Eyeka, il faut aller bien plus loin: «Faire voter des gens pour un produit est une pantalonnade. La personnalisation ne doit pas être un prétexte. Il faut qu'elle soit sincère pour fonctionner. »

Concevoir des contenus pour les marques

Les exemples de marketing participatif se multiplient chez les annonceurs. Le concept à la mode est le crowdsourcing (approvisionnement par la foule en français) . Le principe: faire appel à la créativité, à l'intelligence et au savoir-faire des internautes pour concevoir sa communication et ses produits. On peut citer l'exemple de Vitaminwater, qui a lancé début 2010 sa première boisson communautaire, imaginée par ses fans sur Facebook. L'application Flavorcreator permettait d'élaborer une recette inédite. Toujours sur le réseau social de Mark Zuckerberg, voici une autre initiative, française cette fois-ci: celle de Céline Verleure qui veut lancer la première ligne de parfum 2.0. « Participez à la création d'une marque de parfums différente, intuitive, créative, artistique, rare, à forte personnalité, aux antipodes des lancements de parfums au marketing lisse », écrit-elle sur sa page, qui compte plus de 1700 fans. La communauté a d'ailleurs déjà choisi fin février 2010 le nom de la marque, Olfactive Studio, et le concept de la photographie contemporaine. Il restait à trouver le logo, la charte graphique, la forme du flacon, le packaging et les jus. La société française Eyeka organise ce dialogue constructif à plus grande échelle. Fondé en 2006, le leader mondial du crowdsourcing est une plateforme de cocréation qui permet aux marques et agences d'organiser des opérations de marketing participatif. La société anime une communauté de 100 000 internautes, répartis dans 60 pays, qui conçoivent des contenus pour les marques. Cette collaboration a lieu à plusieurs niveaux: création, distribution et marketing des produits. Le but est de communiquer, de recueillir des insights, d'innover et de renforcer la proximité de la marque. Impliquez le consommateur et il deviendra votre meilleur ambassadeur...

Qui participe? 1 % des consommateurs, selon la règle des 1-9-90 de Jakob Nielsen (9 % modèrent ces contenus et 90 % se contentent de les lire). Leur objectif? « Les créateurs amateurs peuvent gagner de l'argent mais je pense surtout qu'ils désirent être entendus et faire partie d'une communauté. Ils veulent que la marque s'identifie à eux et non le contraire. La clé, c'est l'authenticité », explique Ludovic Delaherche (Eyeka) . Les appels à création peuvent être des concours vidéo ou photo. Numéricable, qui souffrait d'une mauvaise image, a ainsi lancé une opération appelée «20 secondes pour convaincre», qui invitait les membres d'Eyeka à poster des vidéos susceptibles de convaincre les Français des qualités de l'opérateur. Les meilleures ont été diffusées à la télévision. Perle du Nord a également fait appel à la créativité des membres d'Eyeka pour lancer sa campagne TV, afin de promouvoir une nouvelle gamme d'endives, qui a d'ailleurs été cocréée il y a quelques mois par les consommateurs eux-mêmes. En effet, ceux-ci avaient déjà pu apporter leur avis et idées sur un site dédié, www.lagrande-enquete.com. Certaines marques vont plus loin en lançant des appels à création. C'est le cas de Reebok, qui a demandé à la communauté d'imaginer et de concevoir ce qu'elle pourrait proposer de nouveau aux femmes de 18 à 25 ans, en dehors des chaussures de sport, vêtements, accessoires, équipements... Résultat: plus de 700 concepts reçus. Une mine d'or pour l'équipementier.

Les consommateurs, source de pertinence

Pour célébrer ses 20 ans, la marque de prêt à porter Carnet de vol a demandé aux membres d'Eyeka de créer les visuels d'une gamme de tee-shirts collector. « Les tables rondes avec nos clients montraient qu'ils voulaient s'impliquer davantage dans la vie de la marque », souligne Norah Luttway, directrice marketing et communication de Carnet de vol. Parmi les 700 propositions reçues, cinq ont été commercialisées. L'un des modèles est même devenu le numéro un des ventes. Preuve qu'associer le consommateur au processus de création est bon en termes de communication et peut aussi s'avérer rentable. De là à en faire une panacée... « Je pense que la cocréation ne fonctionne pas sans un minimum de prérequis, comme le capital sympathie. Il faut d abord que les gens aient envie de participer à l'histoire de la marque », analyse Laurent Laforge, président de l'agence Mode d'emploi. « La coproduction est un mythe développé par les marques pour donner de l'importance aux consommateurs. Mais j'en ai rarement vu proposer des idées innovantes », estime Benoît Helbrunn. « Le produit du siècle ne sera sans doute pas inventé par les consommateurs, reconnaît Ludovic Delaherche (Eyeka), mais ils peuvent imaginer de nouvelles fonctionnalités. Si la créativité reste du domaine des agences, les consommateurs, apportent de la pertinence. »

Laurent Laforge (Mode d'emploi)

«Il faut que les gens aient envie de participer à l'histoire de la marque.»

 
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Solenne Durox

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