Automobile: le «vert», moteur de la mobilité nouvelle
Plus design, plus écologique, plus urbaine et moins chère, l'automobile devra faire sa petite révolution pour plaire aux jeunes conducteurs. Les constructeurs tentent enfin de convaincre foules de passer à l'énergie verte, notamment à l'hybride et à l'électrique.
«Je souhaite que notre pays prenne le virage d'une mobilité durable. Plus généralement, le développement de la voiture verte et l'innovation en faveur de technologies propres de déplacement seront évidemment un des sujets centraux pour réussir la mutation de la filière automobile », indiquait François Hollande, lors de la dernière élection présidentielle. Un symbole. Enfin, Arnaud Montebourg, ministre du Redressement productif, soutient l'essor des voitures vertes. Il a augmenté le bonus pour les voitures les moins polluantes dans son plan pour la filière automobile. Pour se rendre à l'Elysée lors de son investiture, le 15 mai, François Hollande roulait en Citroën DS5 hybride. Ces choix sont censés montrer la voie à suivre pour les constructeurs automobiles. Car le secteur est à un carrefour de son existence: « La voiture arrive au bout d'un cycle, constate François Bellanger, directeur de Transit-City, Urban & Mobile Think Tank. Le modèle unique de la voiture industrielle est révolu: il va y avoir une multiplication des motorisations selon les réalités locales. C'est la fin du modèle dominant de la monoénergie, la fin de la berline et de la domination de l'essence. » Un avis que semblent partager les consommateurs, de plus en plus nombreux à bouder l'automobile. Selon l'Observatoire des mobilités et arbitrages automobiles (OMA) de la société d'études Bipe, depuis le début de l'année, la part du budget des ménages consacrée à l'achat automobile, déjà à son plus bas niveau historique dans l'Hexagone, pourrait s'élever à 3 % cette année, contre 5 % il y a dix ans. Pire, l'usage de la voiture serait lui aussi en chute libre: «Alors que 76 % des Français se déplaçaient tous les jours en voiture en 2010, ils ne sont plus que 72 % à le faire aujourd'hui», pointe le Bipe, tandis que le kilométrage annuel par véhicule est en repli, selon le Bilan de la circulation.
Autres raisons de ce constat: la flambée des prix à la pompe et un pouvoir d'achat en berne. De quoi faire une plus grande place à des technologies moins énergivores? En tout cas, les Français se sentent de plus en plus aptes à franchir le pas. Selon une étude du groupe Specific Media, 90 % des consommateurs français envisageraient à terme d'acheter une voiture «verte». « Les automobilistes sont enfin prêts, constate Philippe Besnard, directeur général de Specific Media pour l'Europe occidentale. La préoccupation écologique est devenue une réalité dans le processus d'achat automobile. » Selon lui, ce goût pour l'auto écolo mûrit depuis 2005: « C'est à cette période que la notion de puissance, chère à l'automobile, est passée au second plan. Via des messages publicitaires brandissant le spectre de l'écologie ou même simplement de la conduite civique, les constructeurs ont fait évoluer la perception de l'automobile ainsi que lego du consommateur » Finis les stéréotypes virils qui s'agrippaient au volant, le discours éthique est devenu omniprésent, accompagné d'une dimension de partage. Quitte à verser parfois dans le greenwashing...
Les énergies vertes investissent le marché
Toyota fait partie de ces constructeurs qui sont parvenus à se saisir du thème de environnemental. Lancé en 1997, son modèle hybride (qui combine essence et électricité), la Prius, n'était qu'un véhicule de niche pour avant-gardistes écologistes. C'est désormais une voiture de masse: au premier trimestre 2012, elle est montée sur la troisième marche du podium mondial des autos les plus vendus au monde (247 230 ventes), faisant plus que doubler ses ventes par rapport à la même période en 2011. Au final, ce sont près de 4 millions d'hybrides du Japonais qui circulent dans la nature (dont 1,5 million aux Etats-Unis) . Et pour creuser son avance, le constructeur nippon a sorti en Europe la Yaris hybride en juin dernier. Un lancement qui correspond à la stratégie du groupe: étendre la technologie 100 % hybride à l'ensemble de ses modèles du Vieux Continent d'ici à 2020. Et une résolution qui porte à croire que Toyota a confiance en sa capacité à convaincre les consommateurs: pour la marque, l'hybride est la technologie de demain. « Au lancement de son premier modèle hybride, la Prius, en 1997, le constructeur japonais est passé pour un Martien, se rappelle Philippe Boursereau, responsable de la communication chez Toyota France. Aujourd'hui, nos modèles touchent le grand public. »
Désormais, c'est au tour de Renault-Nissan d'enfiler sa panoplie de Martien. Car le constructeur franco japonais est le seul à jouer à fond la carte de l'électrique, via une gamme de quatre voitures zéro émission» (ZE), qui sortent tout au long de l'année 2012. Un pari fou? A priori oui, au vu des chiffres publiés en mai dernier par l'Avem (Association d'information sur les véhicules électriques): le marché français plafonne à 2 645 véhicules électriques vendus au cours des quatre premiers mois de l'année, dont 1 587 voitures particulières. C'est à peine plus de 0,3 % du marché global (811 805 véhicules utilitaires et particuliers immatriculés entre janvier et avril, selon le Comité des constructeurs automobiles français), très loin des 5 à 10 % espérés pour 2020 par la plupart des constructeurs et des analystes du secteur.
Alors pourquoi l'électrique patine-t-il? « Considérer que le véhicule électrique va se substituer au modèle thermique est une erreur, avance Frédéric Fréry, professeur à l'ESCP. Il ne permet de parcourir qu'une centaine de kilomètres, en roulant à l'économie. Les consommateurs n'achètent pas un véhicule pour le seul usage quotidien, mais pour couvrir l'ensemble de leurs besoins. L'automobile risque d'être un produit éternellement émergent. » Le p-dg de Renault-Nissan, Carlos Ghosn, n'en démord pas: 10 % des 80 à 1 00 millions de voitures vendues d'ici là dans le monde seront des modèles électriques. Pour y parvenir, il a injecté 4 milliards d'euros dans la production de véhicules électriques. « Le leader, ce sera le premier qui parviendra à commercialiser des véhicules électriques massivement à l'échelle mondiale, avance le p-dg. Et comme Toyota, on s'y prend tôt, pour garder l'avance technologique et avoir une position de leader sur ce secteur avant la fin de la décennie. »
Changer les mentalités
Si Carlos Ghosn croit autant en l'électrique, c'est en partie parce que le manque d'autonomie, principal frein à l'achat de ce type de véhicule, est en passe d'être résolu: « Aujourd'hui, le trajet moyen d'un automobiliste est de 50 km par jour et nos véhicules électriques ont désormais une autonomie de 180 km », explique Emmanuel Bouvier, directeur marketing de la gamme électrique de Renault-Nissan. Et pour convaincre les consommateurs de la viabilité de ses véhicules, le constructeur emploie les grands moyens. Pour la sortie, au printemps dernier, de la Twizy, quadricycle à mi-chemin entre un scooter et une voiture, la marque au losange s'est offert le couple Guetta comme ambassadeurs. Au programme, notamment, un clip vidéo nommé «Alphabeat - Plug into the positive energy», relayé sur Facebook Connect, afin de s'adresser aux 30 millions de fans du profil de David Guetta.
Une véritable stratégie de marketing virale, qui vise à séduire une clientèle connectée, les jeunes. Une cible à ce point prioritaire que la firme avait déjà placé sa gamme de voitures ZE dans le troisième volet du jeu vidéo le plus vendu au monde sur PC: Les Sims. « Le joueur apprend à recharger son véhicule et à mesurer ses économies en carburant, explique Raphaëlle Gomez, de la communication de Renault. C'est une façon d'intégrer les mécanismes de l'électrique dans l'inconscient collectif. » Résultat: la Twizy a enregistré 935 immatriculations en deux mois, un démarrage encore jamais observé sur le marché du véhicule électrique.
Au-delà de cette campagne de communication, pour François Bellanger, le petit succès de ce modèle s'explique par son design: « En plus de la motorisation, l'automobile doit faire sa révolution dans ses formes et ses modes d'accès. Autrement dit, il faut une voiture plus légère au style plus épuré. De toute façon, c'est imparable, puisque l'autonomie limitée des batteries électriques ne rend la technologie adaptable que sur des citadines. » Ainsi, en proposant des concepts automobiles ludiques, urbains et écologiques, Renault commence à plaire aux jeunes. C'est dire s'il devenait urgent que les constructeurs innovent pour essayer de replacer la voiture dans le coeur des jeunes adultes.
De son côté, Nissan tente aussi de changer les esprits. Et le constructeur en a bien besoin. Sa Leaf, fantomatique voiture de l'année 2011, ne déchaîne pas les foules. Depuis sa sortie, elle ne s'est écoulée qu'à 27 000 exemplaires dans le monde entier. Pour la relancer, la marque a donc mis en place la campagne digitale «The Big Turn on». Le concept: installer dans la ville européenne qui aura suscité le plus d'engouement en faveur de la mobilité électrique 30 bornes de recharge rapide (ce qui permet de faire le plein des batteries en une trentaine de minutes). Une initiative profitable aux villes, qui manquent encore cruellement d'infrastructures, pourtant cruciales au décollage de cette nouvelle génération de voitures. Autour de ce dispositif, la marque a mis en ligne une quarantaine de vidéos montrant, par exemple, que parcourir avec une Leaf cinq tours de périphérique ne coûte que deux euros.
Vers des solutions plus économiques
Une étape obligée pour Nissan: évoquer les économies substantielles réalisées grâce à l'électrique. Car si sa Leaf a calé au démarrage, c'est essentiellement à cause de son tarif d'achat exorbitant pour une citadine, 31 000 euros (déduction faite du bonus écologique de 5 000 euros). D'autant plus que la concurrence est rude. Commandes tactiles qui apparaissent en effleurant le tableau de bord, cellules photovoltaïques en nids d'abeille pour alimenter la climatisation, diffuseur de senteurs - énergisantes le matin, apaisantes le soir - dans l'habitacle: dans les concessions au mois d'octobre prochain, la Zoé, berline compacte et fleuron de la gamme ZE de Renault, a
tout d'une grande. Même son prix, identique à celui de la Clio diesel (15 700 euros) ou de la récente Toyota Yaris Hybride. Mais le détenteur d'une Zoé devra ajouter à cela la location des batteries, en payant un abonnement de 79 euros, à la façon d'un opérateur téléphonique. PSA, le concurrent principal de la marque au losange dans l'Hexagone ne fait pas mieux. La Citroën C - Zéro démarre à 16 500 euros, et la location coûte 80 euros par mois. «Pour espérer un meilleur développement du marché, certains points indispensables restent encore de mise, comme une volonté commune des consommateurs et du gouvernement de mener cette branche à bien et une implication redoublée des constructeurs dans la recherche de la production à moindre coût, pour rendre les produits accessibles à tout un chacun», estime-t-on chez Auto-IES, spécialiste de la vente de voitures neuves sur Internet.
Des initiatives que les constructeurs doivent appliquer rapidement, car d'autres alternatives, comme l'autopartage, pourraient tuer le marché dans l'oeuf. « Ce type de système contribue à redéfinir le concept de la mobilité urbaine: plutôt que d 'acheter un véhicule, on achète des kilomètres d'usage », observe Stephan Guinchard, directeur expert automobile, au sein du cabinet Simon Kucher & Partners. Ce que confirme Morald Chibout, directeur général commercial et marketing d'Autolib': « L'avenir de la voiture n'est pas à la possession mais à l'usage ». Pour preuve, ce service francilien d'auto-partage de voitures électriques exploité par le groupe Bolloré tournerait actuellement à 30 - 40 % au-dessus des objectifs, selon Vincent Bolloré: le service a atteint au mois de mai 15 000 abonnés, contre 6 800 fin février.
François Bellanger (Transit-City)
Morald Chibout (Autolib')
Philippe Besnard (Specific Media)
Emmanuel Bouvier (Renault)
De quoi court-circuiter l'achat d'une voiture électrique? Durant les six derniers mois, près de la moitié des automobilistes interrogés par l'OMA auraient modifié leur comportement, optant pour des modes alternatifs de transport pour certains trajets (18 %) voire privilégiant les usages économiques, comme le covoiturage ou l'éco-conduite (4 %). Pour les six prochains mois, 11 % des sondés déclarent vouloir utiliser moins souvent leur voiture, autant entendent emprunter plus fréquemment les transports collectifs et 13 % pensent recourir au vélo. «L'électrique semble être, certes, un marché d'avenir, mais dans un délai a priori plus long. que celui initialement annoncé», affirme de son côté Auto-IES. Pour convaincre les consommateurs d'acheter vert, les constructeurs ont encore du pain sur la planche.