A l'assaut de toute la maison
A l'origine était le bébé. Mais après s'être longtemps contentées de nettoyer les fesses des nourrissons, les lingettes élargissent aujourd'hui leur territoire, dopées par une grande vague hygiéniste. Pratiques et faciles à utiliser, elles sont un des produits à suivre.
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Jusqu'à il y a encore moins de deux ans, nous étions utilisateurs de
lingettes sans vraiment le savoir. Des pochettes de nettoyants pour lunettes
aux lingettes utilisées pour faire briller la voiture, en passant par les
rince-doigts parfumés, aucune ne se revendiquait, en effet, comme telles. Qui
disait lingettes pensait uniquement lingettes bébés. Elles étaient les seules à
faire parler d'elles en termes d'innovations, tant sur le plan des formules que
des améliorations packaging. Comme le rappelle l'étude Scanner Interdéco 98-99,
87% des mères travaillent et pour cause de temps compté, elles privilégient les
innovations axées sur la facilité, la praticité et la rapidité d'utilisation,
produits 2 en 1, lait sans rinçage et bien sûr lingettes. Ces dernières ont
d'ailleurs encore vu leur chiffre d'affaires progresser de 23 % l'an dernier.
Un nouveau geste ménager
Mais depuis deux ans, les
industriels ont réalisé que ces attentes féminines s'appliquaient à d'autres
domaines de la vie quotidienne. Et les lingettes se posent aujourd'hui comme
“Le” produit qui monte, à décliner dans toutes sortes d'applications. Les
derniers en date à en être convaincus sont les spécialistes de l'entretien. Le
printemps a vu éclore dans les rayons français des produits comme Swiffer et Mr
Propre antibactérien version lingettes, de Procter & Gamble, ou Domestos
lingettes nettoyantes bactéricides de Lever. Tous ont un point commun :
renvoyer au placard chiffon, balai, serpillière et autre seau. A cet égard,
Swiffer, “l'attrape-poussière” de Procter, a vraiment révolutionné les
habitudes ménagères des Français. Lancée en test à la fin de l'an passé, la
marque a immédiatement bénéficié d'un phénomène de bouche à oreille. Les
problèmes de référencement auquel le groupe est confronté rendant le produit
difficile à trouver, on a même vu se créer un véritable réseau d'information
donnant lieu à des achats groupés. « Excepté Pampers, nous n'avons jamais connu
une telle relation émotionnelle des consommateurs vis-à-vis de nos produits,
relate-t-on au marketing des nettoyants ménagers du groupe. Les gens
s'échangent même des idées sur des utilisations que nous n'avions pas
envisagées. » Résultat : les responsables de la marque envisagent de créer un
club autour de Swiffer, “pour faire vivre cet enthousiasme de différentes
manières”. Mr Propre antibactérien et Domestos lingettes nettoyantes
bactéricides devraient susciter des achats plus calmes. Produits généralistes
multi-usages, ils s'utilisent en plus des produits habituels. Lever a été le
premier à lancer ce concept en Hollande sous la marque Glorix, dès l'an
dernier. « Son succès nous a décidés à l'introduire en France, note Pascale
Chabert, marketing manager entretien chez Lever. Ce produit a l'avantage de la
simplicité et de la praticité d'utilisation tout en répondant aux attentes
d'hygiène et de formules anti-bactéries qui sont de plus en plus fortes. »
Lever pousse le concept jusqu'au bout en complétant sa gamme par un sachet de
12 lingettes que l'on peut emporter partout avec soi. Un plus hygiénique futé
auquel réfléchit d'ailleurs Procter. Nul doute que l'arrivée des lingettes dans
l'entretien, lourd marché de 2,6 milliards de francs, n'en est qu'à ses débuts.
« Nous travaillons évidemment sur autre chose, toujours avec l'idée d'un usage
qui simplifie la vie des consommateurs, poursuit Pascale Chabert. Nous sommes
dans un domaine à fort potentiel, il faut aller vite. » Cif pourrait ainsi être
le prochain sur la liste. Quant à Procter qui, à la différence de Lever,
dispose intégralement de la technologie papier, il ne devrait pas avoir dit son
dernier mot. « Tous les groupes disposant de la technologie non woven (non
tissé) regardent ces nouveaux marchés avec intérêt », affirme Mathieu Orhant,
chef de produit couches et lingettes Huggies chez Kimberly-Clark. Fort James,
leader des paper products avec Lotus, fait partie de ceux qui y réfléchissent.
Colgate, qui pourrait y avoir un intérêt légitime, reste plus circonspect. « A
la différence de certains groupes concurrents, nous n'avons plus de département
technologique papier. Nous avons effectivement revendu les couches Caline et
Tendresse il y a plus de dix ans et également petit à petit abandonné les
ventes professionnelles, rappelle-t-on à la direction de la communication de
Colgate-Palmolive. Si nous nous lancions dans les lingettes, ce serait donc à
travers la sous-traitance, mais nous n'avons pas de projet dans ce domaine. »
Même son de cloche chez Sara-Lee D-E France. « C'est effectivement quelque
chose d'intéressant mais nous n'avons pas de projets en vue, que ce soit en
entretien ou en hygiène. Si c'était le cas, nous l'envisagerions d'ailleurs
plus en hygiène », déclare son P-dg Jacques Deret.
De la toilette du bébé à celle de l'adulte
L'hygiène et le soin sont, en effet,
les segments qui ont à ce jour le plus investi dans les lingettes. Initiées par
Diadermine en mars 1998, puis généralisées un an plus tard, les lingettes
démaquillantes sont aujourd'hui un des moteurs de la toilette (86 MF de chiffre
d'affaires et 5,7 % des ventes de démaquillants au premier semestre). « Les
lingettes existaient déjà en Espagne où elles ont généré un véritable boom, ce
qui nous a donné l'idée de les introduire en France », raconte Vincent Brun,
chef de groupe chez Henkel Cosmétics. Pour lancer ce produit qui correspondait
véritablement à un nouveau geste, Henkel a opté dès le départ pour un discours
publicitaire clair. « Les femmes connaissent les lingettes bébé, il n'était pas
besoin d'être didactique, explique Vincent Brun. Nous posions le problème très
précisément en disant que deux femmes sur trois ne se démaquillent pas,
essentiellement parce qu'elles trouvent cela trop long, trop compliqué. Avec
les lingettes, un seul geste suffit pour se démaquiller les yeux, le visage et
les lèvres. » Parmi les autres marques débarquées depuis le début de l'année,
Nivea est la seule à s'appuyer sur la caution du bébé. « Nous avons déjà des
lingettes sous la marque Nivea Baby qui marchent très bien », confirme Pascale
Boscher, chef de produit Nivea Visage. Les principales marques de soins du
visage devraient toutes à terme commercialiser ce type de lingettes. La
prochaine pourrait être Barbara Gould, retardée pour cause de rachat par Santé
Beauté. On peut légitimement penser que ces références ne resteront pas
mono-produit. C'est déjà le cas en pharmacie où Comodynes se décline en
plusieurs variétés. Chez Diadermine, Vincent Brun ne cache pas que son groupe
réfléchit dans plusieurs directions. « Il y a effectivement un vrai potentiel
basé sur une attente de l'époque d'une hygiène pratique, accessible, pas
compliquée. »
Fess'Net, un papier toilette imprégné
En
matière d'hygiène stricto sensu, on voit arriver, hors de nos frontières, des
produits qui pourraient déclencher des vocations. En Espagne, après les
lingettes démaquillantes et écrans solaires, Perfumeria Gal vient de lancer des
lingettes déodorantes, imprégnées d'une lotion désodorisante et
anti-bactérienne, sous sa marque Heno de Pravia (voir MM N°43). Chez Henkel qui
commercialise Fa, Vincent Brun estime que « c'est quelque chose auquel le
groupe pourrait aussi réfléchir ». Isabelle Castellain, chef de groupe chez
Elida-Fabergé n'est, en revanche, pas vraiment convaincue du bien-fondé de ce
type de produits. « Le marché des déodorants a énormément changé depuis
quatre-cinq ans. Mais il y a encore beaucoup à faire en déodorants, autour de
produits comme les antitranspirants, avant de se lancer dans des lingettes qui
n'apparaissent pas comme quelque chose d'évident sur ce marché. » Pour
l'instant, le marché français se contente des lingettes ciblées sur l'hygiène
intime, à l'image de Femfresh. Auchan ose, pour sa part, commercialiser, dans
certains grands hypers, du papier toilette imprégné sous la marque joliment
baptisée Fess'Net. L'extension de ces lingettes pour adultes est-elle
envisageable ? La question pourrait se poser chez Kimberly-Clark qui, en avril
dernier, rachetait l'activité produits ouatés de l'Allemand Attisholz Holding
AG. La société commercialise, sous la marque Hakle, des papiers imprégnés
déclinés en plusieurs variétés : anti-bactérienne, enrichie à la vitamine E,
etc. « Ces produits ont une réelle crédibilité en Allemagne. Les consommateurs
y ont une culture très hygiéniste. C'est moins le cas en France, cela
demanderait un gros travail pédagogique », estime Maxime Bonpain, chef de
marque Kleenex Family Care chez Kimberly-Clark. Chez Fort James, Serge
Moissonnier, directeur marketing de Lotus, reconnaît que son groupe a mené des
études pour étudier les potentialités mais y a renoncé pour les mêmes raisons.
Autant de réflexions qui montrent bien que les lingettes sont clairement
l'avenir de l'hygiène, celle du corps comme celle de notre environnement.
Quelques repères chronologiques
PRINTEMPS 1996
les lingettes Pampers ont boosté un marché apparu, en France, au début des années 1990.
MARS 1998
La lingette devient démaquillante avant de s'attaquer au soin du visage.
JUIN 1999
Swiffer est lancé nationalement. Il devient en quelques mois un phénomène de société.
PRINTEMPS 1999
Procter et Lever investissent le marché des nettoyants ménagers, via des produits destinés à l'hygiène de la maison.