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Parler des engagements de l'entreprise plutôt que s'autoproclamer "éthique"

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En pleine crise de vache folle et de traçabilité, Human Inside lance une boutique et un site qui entendent inoculer en France le virus du commerce responsable. Pour montrer qu'en retournant aux racines du mot commerce, "relations des êtres humains les uns avec les autres", sa version responsable pourrait devenir un mode - et non une mode -, de consommation. C'est du moins l'ambition de son directeur général, Elisabeth Pastore-Reiss

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En quoi consiste le concept Human Inside ?


Nous avons pour vocation de commercialiser des objets du monde entier en veillant à favoriser les initiatives d'origine sociale et à avoir la préoccupation maximum que ces produits sont faits dans les conditions les plus corrects possibles, compte tenu des conditions de travail du pays. L'objectif consiste à valoriser les savoir-faire et mieux faire connaître des gens du monde entier et leur savoir-faire individuel. Nous cherchons à communiquer sur les personnes par l'intermédiaire de l'objet et à démontrer qu'un produit authentique et traditionnel est tout à fait intégrable à un intérieur contemporain, qu'il s'agisse de produits pour la maison ou pour la personne.

Mais le but est bien pour vous de gagner de l'argent ?


Nous sommes une entreprise commerciale pure et dure. Nous avons des marges comme tout le monde, mais nous sommes plus soucieux peut-être que d'autres des conditions de production de nos produits et de leur histoire. Nous voulons permettre le plus possible à des gens de mieux vivre de leur travail, et ce qui nous intéresse demain, c'est de créer une proximité, une affinité entre les artisans et le client final, de communiquer sur le sens du produit et le lien entre les hommes qu'il permet. C'est un lien de marketing affinitaire au service du sens.

Quelle est votre politique concernant les bénéfices ?


Nous reversons 10 % du prix de vente des produits sur tous les produits "créateurs" édités pour Human Inside et aussi sur les produits vendus sous licence ONG. Sur les autres, le fait de les distribuer constitue déjà en soi une action sur le terrain (plus de la moitié de nos produits sont des produits achetés à des ONG ou à des plates-formes de commerce équitable). Ce qui ne veut pas dire que, demain, la société ne favorisera pas des projets ou ne créera pas une fondation lorsqu'elle sera rentable.

Comment s'opère la sélection des produits ?


Elle se fait d'abord sur des critères commerciaux de style et de tendances. Des produits fonctionnels, pratiques avec un prix abordable ; le prix de vente moyen est de 90 francs. Des produits qui ont un style très contemporain. Ensuite, nous avons des critères classiques d'achat : marge, qualité, quantité d'approvisionnement, logistique, réapprovisionne-ment possible, etc. Nous sélectionnons en général un produit sur dix car il est assez difficile d'en trouver qui correspondent à l'ensemble de nos critères. La plupart des produits ne sont souvent pas assez qualitatifs, trop folkloriques, pas assez commerciaux, soit on ne peut pas en avoir assez... Nous, c'est surtout par l'émotion que nous voulons créer la proximité.

Comment pouvez-vous garantir que les produits ont été fabriqués dans de bonnes conditions ?


C'est un sujet difficile parce qu'en matière d'artisanat, on ne peut rien garantir. Les conditions de production dans les pays font qu'en général toute la famille se met au travail... Nous sommes dans un discours relatif et non pas absolu. Nous disons simplement que nous en faisons plus que les autres pour vérifier un certain nombre de critères. Mais Human Inside n'est pas un label garantissant que les produits sont contrôlés sur place. Ce qui ne veut pas dire que demain nous n'avons pas cette intention de formaliser notre démarche et notre charte. Aujourd'hui, nous achetons à des ONG ou à des communautés référencées comme faisant partie du réseau commerce équitable, dont les objectifs et la fonction sont déjà de vérifier que tous les critères que nous imposons sont en place, puisque c'est leur métier de les favoriser. Ensuite, nous revendiquons la différence entre commerce responsable et équitable. Pour nous, le commerce équitable passe soit par des achats sur place, soit par des communautés fiables qui ont de vrais objectifs de développement économique de communautés à moyen terme.

Vous travaillez également avec des entreprises commerciales...


Oui, parce que nous voulons, dans l'esprit "trade not aid", revenir aux racines du mot et montrer que par le "commerce" se fait la connaissance des gens et le respect de leur savoir-faire. Dans ce cas, nous avons élaboré une charte qui est en ligne sur notre site et que tous nos fournisseurs doivent impérativement signer s'ils souhaitent être référencés. Ensuite, sur nos principaux fournisseurs, nous élaborons un questionnaire qui est pour l'instant déclaratif - mais qui est validé par les autres partenaires locaux. En général, dans les pays du Tiers Monde, les gens se connaissent et, si l'on a des doutes, on ne référence pas les produits. Cela dit, nous serons toujours attaquables. Nous ne revendiquons pas la perfection. Nous avons vraiment une volonté et un souci pédagogique et de prise de conscience mais, en aucun cas, nos produits ne sont éthiquement garantis. Simplement, nous validons que nos produits sont faits dans des conditions qui n'exploitent pas les enfants, par exemple. D'autre part, nous souhaitons avoir des projets de produits qui, d'une façon ou d'une autre, permettent d'accompagner des projets de développement dans les pays.

La seule solution serait la vérification régulière sur place ?


Oui et non. Même pour des Nike, Mattel, etc. qui ont vraiment le souci de valider le maximum de choses dans ces pays-là, pour éviter des risques de boycott et de chute de valeur boursière, il ne se passe pas huit jours sans qu'il y ait dans la presse un papier expliquant qu'ils se sont faits berner. Même avec les plus grands audits dont c'est le métier, on s'aperçoit que c'est un sujet très polémique et qu'il est difficile de tout contrôler. D'autant que ceci favorise en général plutôt les dictatures, puisque l'on peut imposer des choses et pas le développement des pays démocratiques. Par définition dans ces derniers, on a une souplesse beaucoup plus grande au niveau de l'emploi, alors qu'il est beaucoup plus facile dans des pays dictatoriaux d'imposer des lois syndicales qui n'ont en fait pas de réalité. Donc, il faut faire très attention aux idées reçues dans ce domaine et, en général, elles ne s'appliquent pas à l'artisanat, puisque l'on n'est pas dans la sous-traitance et les gros volumes de production et donc que les normes de qualité imposées dans les entreprises ne sont pas applicables à l'artisanat.

Comment allez-vous développer Human Inside, par rapport aux capacités de production de ces artisans ?


En général, les ONG de commerce équitable travaillent avec plusieurs communautés, afin qu'aucune ne soit dépendante d'une commande ou d'un client. La volonté est de dispatcher les commandes pour qu'il y ait toujours une autonomie et surtout une durabilité pour que les gens, si le produit n'est plus à la mode, ne se retrouvent pas sans rien. Cela existe par principe dans le commerce équitable : on n'a jamais le droit d'acheter plus de 25 % de la production d'une communauté. Mais nous le demandons aussi à nos fournisseurs qui sont des entreprises indépendantes.

Comment évolue en France la perception du commerce équitable ?


Notre volonté est de prouver que l'on peut acheter de bons produits de consommation, ludiques et agréables, qui en plus ont cette dimension pédagogique. C'est très récent en France et l'on a surtout communiqué dans un axe commerce équitable et pas avec une volonté d'élargir un peu le positionnement, c'est-à-dire aussi de favoriser le développement de l'entreprise locale et de démontrer que l'on n'exploite pas forcément les pays du Tiers Monde. Nous avons aussi comme ambition de favoriser des produits qui bénéficient de micro-crédits en France, et donc de l'aide de l'ADIE ou d'initiatives emplois. Par ailleurs, notre site a pour vocation d'être une plate-forme d'informations et d'actualités de la consommation responsable, des initiatives en termes de produits financiers, de services, de produits de grande consommation ou toute initiative qui nous paraîtrait aller dans le sens de l'entreprise citoyenne ou du développement durable. Les gens sont de plus en plus sensibles à la préoccupation de l'entreprise citoyenne, que je préfère à la notion d'éthique. Les entreprises l'utilisent aujourd'hui en corporate mais parlent rarement des actions concrètes qu'elles mènent. Nous voulons aussi être le relais de tout cela.

Pourquoi écarter la notion d'"éthique" ?


Parce qu'on ne sait plus trop ce que cela veut dire. Il vaut mieux parler de façon concrète des engagements de l'entreprise plutôt que de s'autoproclamer "éthique". Pour l'instant, dans ce domaine, on s'en tient au discours avec des valeurs formidables, certes, mais cela n'est pas forcément assez exploité à tous les niveaux. Ce que l'on a voulu prouver au travers de Human Inside, c'est la mise en action plutôt que le seul discours. Ce qu'il faut montrer, c'est que cela marche, que c'est une vraie raison d'achat et que cela mobilise les clients, comme c'est le cas dans les pays d'Europe du Nord ou en Angleterre, où les moins de 35 ans ont une vraie conscience et achètent responsable. Quand on commence à le faire, ce comportement s'applique à tout, des voyages aux produits financiers en passant par la maison, etc. Donc c'est plutôt une ouverture, une réflexion que nous voulons susciter. Nous sommes très modestes. Nous sommes là pour, au travers de bons produits et d'abord le plaisir de la consommation, faire passer un message si les gens ont envie de le connaître. Mais c'est un travail d'arrière-plan plutôt que la proclamation d'un discours. On veut démontrer que l'on peut revenir à la notion de lien entre les hommes, ce qui le rôle même du commerce. Simplement, nous voulons y mettre un peu plus de sens, de chaleur, de contenu et d'histoire.

Comment des structures associatives, telles qu'Artisans du Monde, ont-elles accueilli votre arrivée ?


(Rires) Pour l'instant nous travaillons avec des partenaires étrangers parce qu'en termes de logistique, ils sont bien rodés. Ce que l'on souhaite demain, c'est développer de vraies valeurs ajoutées et des partenariats pour vendre le plus possible de produits. C'est par là que passera le développement des artisans et des projets soutenus. Nous souhaitons faire passer la notion de commerce responsable dans le grand public vers des cibles qui ne sont pas militantes. C'est là notre enjeu : toucher ceux qui ne donnent pas aux ONG ou qui ne sont pas clients de ces plates-formes. Nous voulons être les distributeurs de ces plates-formes pour ouvrir le marché. Parce que plus grande sera la préoccupation dans le grand public, plus il y aura de volume, plus la prise de conscience montera et plus ce courant aura un sens et sera significatif en France. Comme l'a, par exemple, très bien réussi Max Haavelar avec son café qui est, semble-t-il, la première marque propre de Monoprix sur ce marché. C'est en ayant de vrais partenariats avec des gens qui font des volumes et qui ont une visibilité auprès du client final que l'on permettra la prise de conscience de ce type de projets dans le grand public.

Quels sont vos objectifs d'ici à 2001 ?


Deux nouveaux magasins à l'automne 2001. Pour cela, il nous faudra prouver que cela fonctionne, afin de trouver des investisseurs qui nous accompagnent dans notre développement. C'est l'enjeu pour 2001. Les premiers chiffres sont très encourageants sur le site comme dans la boutique. Mais il faut passer de l'intérêt du lancement et de la curiosité au mode d'achat. Les premiers jours de vente montrent que les gens laissent tous leurs adresses. Tous nous demandent à être informés de tout ce que l'on fera. Plus de la moitié ont une adresse e-mail, ce qui prouve qu'ils sont déjà connectés à l'international par nature. A nous ensuite de leur donner un contenu qui les intéresse pour leur donner envie de revenir. On veut donc que notre magasin et notre site soient des lieux de vie. Nous avons l'intention de bâtir un relationnel continu avec nos clients pour aller demain vers des choses de plus en plus personnalisées au niveau de la communication. Nous avons aussi cette volonté avec les entreprises. Nous avons déjà plusieurs clients pour des cadeaux d'entreprise qui nous ont interrogé pour monter des opérations de marketing et de fidélisation ou de promotion qui créent la durabilité. Or, c'est exactement le cas de nos produits. Car ils permettent de raconter l'histoire de la personne qui les fait, de dire "avec cet argent elle a fait ça", de revenir sur le terrain, voir les projets qui en ont découlé, de dialoguer par webcams. Cela intéresse les entreprises qui ont des filiales dans ces pays d'aller au-delà du classique pour créer un vrai lien affinitaire avec leurs clients sur un partage de valeurs communes. Cela leur permet d'inclure l'esprit citoyen dans leur politique de fin d'année.

Biographie


Elisabeth Pastore-Reiss a 47 ans et deux fils. Après un bac philo, Sup de Co Rouen et Sciences Po Paris, elle est ingénieur commercial chez IBM pendant 4 ans. Elle rejoint ensuite le groupe Expansion au sein duquel elle assure pendant 8 ans le développement des produits dérivés hors presse. Elle fonde en 1989 la filiale de marketing direct du groupe Publicis dont elle sera présidente jusqu'en 1999. Spécialisée dans la mise en place de stratégies relationnelles, essentiellement dans le domaine des services et de la distribution, elle y est également en contact avec des associations et devient une spécialiste de la collecte de fonds humanitaire. En 1999, elle est séduite par le projet du groupe Minamour et devient directeur général de Human Inside et fait de cette citation de Lamartine son credo : « Les utopies ne sont que des vérités prématurées ».

L'entreprise


Emad Khashoggi a investi 20 millions de francs pour lancer le premier magasin et le site internet. Le business plan prévoit ensuite un élargissement de la structure pour financer le développement de 2 nouveaux magasins en 2001 et du site. Internet, le licensing et le B to B doivent à terme représenter 20 % du CA. Minamour International Group, holding créé en 1998 par Emad Khashogg - 64 salariés au 1er janvier 2000 -, compte également les sociétés suivantes : Club Invent, société d'aide aux inventeurs pour le dépôt de brevets et la commercialisation mondiale d'innovations apportant une réelle amélioration de qualité de vie/culture/savoir/santé/bien-être ; Protecfour International, société de développement de produits efficaces, utiles et écologiques pour se libérer des tâches ménagères ; Une Journée en France, société de distribution de produits autour de l'art de vivre à la Française. La Fondation Minamour, créée en août 1999, a pour vocation de soutenir des projets ou des initiatives en faveur de l'éducation, de la formation ou du bien-être des enfants et des jeunes défavorisés.

 
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Valérie Mitteaux

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