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« Les IBM, Microsof... sont désormais nos vrais concurrents »

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Jeu de go et incontournable adaptation au développement frénétique du Net. Sony, leader mondial de l'électronique grand public, déploie sa toile, du hardware au software. En misant sur le tout numérique et la communication entre tous ses appareils, dans un domaine où la prédominance informatique a totalement bouleversé la donne. Les explications de Philippe Poels, son directeur général.

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Comment a évolué l'image de Sony ?


Depuis une dizaine d'années, nous sommes dans le peloton de tête des marques les plus célèbres au monde. Nous avons une très forte notoriété qui repose sur notre capacité à innover et sur notre design en général. Et, de manière secondaire, sur notre sens de la miniaturisation. Par ailleurs, nous bénéficions d'un réseau industriel, commercial et de distribution qui couvre la totalité du monde. Nous sommes sans doute la seule marque à posséder cet atout. Nous sommes partis en France de ce socle extrêmement fort dans les années 70-80.

Période à laquelle la concurrence s'est accru...


Oui, nous avons commencé à être débordés par des sociétés plus jeunes, notamment dans le domaine de l'informatique et du numérique. D'où un léger vieillissement de notre clientèle. Aujourd'hui, un jeune de 18 ans a plutôt tendance à mettre ses économies dans un portable plutôt que dans un Walkman. Et s'il en achète un, il prendra plutôt un modèle bas de gamme, quand, il y a dix ans, il aurait cassé sa tirelire pour acheter le dernier modèle. Petit à petit, il y avait donc un mouvement de déclin. On commençait à comprendre que le marché allait glisser du hardware vers le software. Pour nous, fabricant et vendeur de matériel, c'était un danger manifeste que de nous laisser entraîner dans ce mouvement. Dans notre univers, on est un très gros poisson dans un petit bocal. Dans le grand bocal, on est évidemment beaucoup plus petit comparé à des IBM, Microsof..., qui sont désormais nos vrais concurrents. De son côté, Microsoft est bien conscient qu'il faut qu'il sorte de son environnement purement informatique.

Vous avez alors acquis du softwar...


Nous avons anticipé en rachetant CBS Records (1988) et Colombia Pictures (1989) qui sont devenus Sony Music Entertainment et Sony Pictures Entertainment. Cela a été très décrié à l'époque. Les gens ne voyaient pas où était la synergie entre matériel, musique et cinéma. On pouvait se demander comment faire cohabiter tout cela. On l'a fait à la manière Sony, c'est-à-dire en conservant trois cultures complètement différentes car c'est le maître mot du management Sony que de laisser de l'autonomie à toutes les structures.

Quelle impulsion a donné le nouveau président, Nobuyuki Idei, en 1994 ?


Il a infléchi la politique de la société autour d'une idée simple : la réponse à l'érosion était l'entrée dans l'univers numérique. Depuis 30 ans, nous vivons dans un environnement analogique avec des techniques dédiées au son, à l'image, et, en parallèle, l'informatique. Avec le numérique, un même appareil peut tout faire et cela ouvre un champ quasi illimité à l'expédition, la réception et à la restitution de données, de manière fixe ou de manière mobile. C'est le décollage des instruments nomades.

Comment s'organise votre offre produits ?


De manière assez logique. Vous avez le software : la musique, le film et les jeux avec la PlayStation, le hardware. Et, au milieu, l'axe Internet. Avec deux types d'Internet : l'Internet debout (sur un portable, Palm Pilo...) et l'Internet assis (chez soi).

Le numérique entre-t-il dans les moeurs ?


En 1999, hormis la télévision, nous avons vendu très majoritairement des produits numériques. Le consommateur commence à percevoir que cela lui apporte quelque chose. Toute la stratégie de Sony est désormais de lui montrer ce qu'il peut faire avec, ce qui suppose de la créativité de sa part. D'où notre nouvelle campagne et son slogan "Go create", selon l'idée que nos produits sont là pour mieux utiliser son temps libre, mieux communiquer. C'est la base de notre stratégie.

La technique numérique reste toutefois assez opaqu...


C'est notre credo que de la rendre moins complexe. Nous vivons dans un environnement Word et Intel qui a apporté beaucoup mais qui exerce une tyrannie sur l'usager. Utiliser un logiciel est très frustrant parce que vous n'allez pas où vous voulez et vous ne pouvez pas sortir de ce qui a été prévu par le concepteur du programme. Cela limite les capacités de création. Nous pensons chez Sony qu'il faut affranchir le consommateur de ce filtre tyrannique du logiciel informatique. Avec un mode de relation entre l'appareil et le consommateur qui soit plus souple et rapide.

C'est l'un des axes de recherche de votre laboratoire ?


Notre laboratoire parisien, le Computer Science Laboratory, travaille en partie sur les origines du langage. Il part du constat que l'on ne sait pas comment il se forme. Or, il y a une forme de langage dans la relation entre un usager et son appareil. C'est de la recherche fondamentale sur ces mécanismes et sur la façon dont deux personnes désignent la même chose ou la même situation. Cette étude se fait en parallèle de recherches sur l'intelligence artificielle.

Des recherches qui ont donné naissance au petit chien robot Aibo. Un produit d'image ?


Il a eu un double intérêt. Nous avons été très surpris par son succès (140 000 exemplaires vendus en moins d'un an). Nous pensons maintenant qu'il y a un marché pour le robot de loisir. Suivra peut-être un petit chat, même si on ne peut pas à proprement parler d'un marché du robot de compagnie. C'est aussi un produit d'image à la Sony, puisque l'innovation (6 % de notre CA est consacré à la R&D) est un des éléments de notre image. Aibo nous a permis de pousser les recherches dans le domaine de l'intelligence artificielle.

Pour quelles applications ?


Il est clair, par exemple, que dans 5 à 10 ans, la télévision dialoguera avec vous grâce à la reconnaissance vocale, elle pourra prendre vos messages, vous proposer des programmes en fonction de vos centres d'intérêt. Une voie un peu futuriste mais qui va se développer assez rapidement.

Rayon software, Internet représente pour vous une énorme opportunit...


Les réseaux à large débit vont être l'autre grande révolution. Cela permettra d'une part à Internet de marcher vraiment, sans les côtés poussifs d'aujourd'hui. On pourra par ailleurs distribuer de la musique. Nous lançons ce mois-ci un Walkman Memory-Stick et un autre produit, le Vaio Music Clip, petit comme un stylo, sur lequel vous pouvez télécharger deux heures de musique en passant par un PC et un portail. Même principe pour les films. A terme, on pourra distribuer des films directement par Internet. Il y a une frénésie sur Internet pour occuper la place et se constituer un fichier de consommateurs parce que, maintenant, tout le monde a compris que l'on aura énormément de choses de valeur à leur vendre. Comme le dit souvent notre président : jusqu'à aujourd'hui, Sony avait un contact avec le consommateur entre 3 à 4 fois par an pour un fan, une fois par an pour un consommateur moyen. A terme, on voudrait que le consommateur soit tous les jours en contact avec la marque. En achetant un film, un disque, un jeu, du matérie...

Internet ouvre aussi la voie du servic...


Entrer dans le monde des services est l'interprétation que nous faisons d'Internet. Ce n'est pas juste une relation directe avec le consommateur sans l'intermédiaire du distributeur, mais une relation beaucoup plus complexe où tout le monde est en contact avec tout le monde. Le but du jeu est de créer ce réseau, un système relationnel le plus dense possible où l'on pourra aussi, comme on commence à le faire au Japon, proposer des prêts pour acheter des produits Sony. Au Japon, Sony est depuis longtemps sur le marché de l'assurance vie. Nous avons également le projet de rentrer dans la banque. Pour que le consommateur japonais ait sa carte, son crédit Sony pour acheter les produits et les services Sony.

Vous faites tout converger vers le numérique et le réseau ?


Tous nos produits doivent permettre des accès Internet car ils n'ont de sens que s'ils peuvent interagir avec d'autres. La PlayStation 2, par exemple, qui sera lancée en Europe à la fin de l'année, est toujours un produit de jeu. Mais elle est connectable sur le réseau. Pour nous, le pari est en fait de faire basculer les 65 % de notre production hardware dans un environnement numérique qui permet plus de réactivité et une évolution plus rapide des produits.

Cette convergence était déjà le propre de votre ordinateur Vaio ?


Nous avons fait une percée au Japon, il y a presque trois ans, avec cet ordinateur autour duquel gravitent tous les autres appareils. Nous l'avons lancé non pas pour mettre sur le marché un ordinateur de plus mais pour en faire une porte d'entrée à brancher sur le réseau et sur l'ensemble des produits avec des interfaces conçues dès le début pour simplifier l'utilisation.

On ne peut y brancher que des produits Son...


Oui, parce que tous ces appareils fonctionnent avec la technique de connexion "e-link" et nous sommes confiants dans le fait qu'elle s'imposera. Ainsi que le memory stick, qui permet un transfert immédiat des données que vous enregistrez avec votre appareil photo numérique, votre camescope, demain avec votre téléphone portabl... On veut apprendre au consommateur à faire circuler très vite l'information.

Et en termes de téléphoni... ?


Nous sommes un peu en retard dans ce domaine, avec 5 % de parts de marché en Europe. Mais la téléphonie est un élément indispensable à notre développement. Nous avons lourdement investi avec, à Munich, 350 chercheurs qui travaillent uniquement sur les portables. Notre usine d'Alsace, initialement dédiée aux lecteurs CD, a par ailleurs été reconvertie pour fabriquer des GSM. Tant que nous serons dans la pure norme GSM, nous resterons des petits. Quand on passera aux normes GPRS et UMTS, dont nous sommes l'un des fondateurs, la donne pourrait changer.

Qu'est-ce qui fait la force de Sony ?


Notre grande force, c'est la connaissance de notre consommateur. Il y a 30 ans, l'appareil à retenir la voix, tenait du miracle. Aujourd'hui, il est entré dans la culture des gens que l'on peut tout faire. Le gagnant dans ce nouvel environnement sera celui qui aura la meilleure intuition pour comprendre comment assembler ce grand puzzle et se rapprochera le plus vite des usages demandés par les consommateurs.

Comment faites-vous remonter les informations du marché ?


A la japonaise, c'est-à-dire par une multiplicité de petits contacts permanents, quasi personnels. Chez Sony, on ne sait travailler qu'en réseau. Les ingénieurs européens, par exemple, ont leur réseau de gens dans le marketing, la vent... Pour écouter le marché, ils passent par là, ce qui leur procure quelque chose de beaucoup plus fin et humain que ce qu'ils obtiendraient avec des rapports et des panels. On passe ainsi beaucoup de temps à se voir, à parler. C'est une culture humaine et approximative qui ne correspond pas du tout à l'image d'efficacité un peu froide et éthérée que l'on peut avoir du Japon et de Sony en particulier. C'est beaucoup plus terre à terre qu'on ne l'imagine et fait avec des petites choses de tous les jours. Cette culture de la remontée d'information est poussée au rang d'art chez Sony. Il y a en permanence un va-et-vient d'information mais rien n'est organisé. Et en fait cela fonctionne très bien.

Biographie


Philippe Poels a 45 ans, il est marié et a deux enfants. En 1977, il obtient parallèlement un DESS de Droit Public à la Sorbonne et un diplôme de Sciences Po. Fin 1979, il entre aux Chargeurs Réunis. Quatre ans plus tard, il est juriste pour Colgate Palmolive. En août 1987, il entre chez Sony France en tant que directeur du département juridique. Il est ensuite nommé secrétaire général, chargé des affaires juridiques et des relations extérieures. Il devient directeur de la communication corporate en janvier 1994. Puis succède à Jean-Michel Perbet, en novembre 1999, au poste de directeur général.

L'entreprise


Fondée en 1973, Sony France est leader sur le marché de l'électronique grand public avec 21 % de part de marché. Son chiffre d'affaires est de 10,9 milliards de francs (exercice 98/99 clos fin mars). Le chiffre d'affaires mondial s'élève à 250 milliards de francs. Sony France compte 2 600 salariés et 3 usines dans l'Hexagone. La répartition du chiffre d'affaires est comparable d'un pays à l'autre : hardware 65 %, musique 10 %, cinéma 10 %, PlayStation 10 %, assurance vie (uniquement au Japon) 5 %.

 
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Valérie Mitteaux

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