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« La prospective, un outil de futurisation de l'entreprise »

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Parmi les tendances observées par Ipsos Observer au cours des cinq dernières années, voici celles qui, pour Rémy Oudghiri, directeur du département “Tendances et Prospective” d'Ipsos, continuent d'avoir un impact sur les modes de vie et de consommation.

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« J'aime l'idée de confronter la notion de prospective à nos futurs aléatoires, imprévisibles, en crise ou en panne. J'aime l'idée de cette propulsion imaginaire, où enfin le risque et l'audace ont leur place, et agitent les eaux tièdes de la précaution et de la frilosité. J'aime aussi cette douce folie d'inventer quand tout pousse à rationaliser, cette idée de "naître", de "voir le jour" (inscrite dans l'étymologie même de "pro-spective"), quand l'impression de déjà vu et de répétition, hante les linéaires et le cerveau des consommateurs. Je trouve aussi intéressant le concept de distance induite dans la démarche prospective, qui met en perspective, relativise les impératifs de l'opérationnalité et de l'urgence, réintroduit du "temps humain". Temps de penser, temps de futurisation, temps du rêve, luxe de cette gratuité rare. J'aime à penser aussi que cette notion de prospective puisse faire partie des "gènes" de l'entreprise, dans ce qu'elle s'ordonnerait comme nécessité de penser au-delà d'elle-même, de ce qu'elle s'accorderait comme vision et courage d'un projet qui fonderait sa différence et son sens. Dans ce qu'elle risquerait pour l'avenir, par la projection d'un présent et les leçons d'un passé où serait contenu le désir de répondre mieux à celui de ses consommateurs et surtout de le faire éclore. Ailes de l'imaginaire au service du désir, quoi de plus exaltant… L'acte prospectif comme lieu d'émergence de l'intuition couplée à l'observation et à l'analyse fine du monde, n'est-ce pas la vie rêvée de ceux pour qui les visées "courtermistes" des décideurs font mal, quand elles s'allient la myopie des "tendances" et leurs décodages rassurants. Car la prospective, telle que j'aime à l'inscrire dans les moyens que nous donnons aux entreprises d'y exprimer leur projet, n'est pas un outil du prêt-à-penser. Là aussi joue l'exigence, qui doit risquer aujourd'hui ce lien entre une vision fondatrice de l'entreprise et un contexte extérieur en mutation, entre l'obligation de durer et celle d'innover, entre la fidélité à soi-même et l'écoute aiguisée des consommateurs. Car ce seront eux qui valideront par leurs choix la pertinence des choix stratégiques de l'entreprise. C'est à travers ce qui adviendra pour eux de nouveau, d'imprévu, d'inouï, que le champ de la prospective trouvera sa pertinence et sa raison d'être, et dans cette rencontre, le signe de sa réelle fonction mobilisatrice.

De la difficulté à manier l'outil prospectif


C'est pourquoi il faut être si vigilant, quand manier l'aléatoire doit conduire au réel des actes, et quand la prospective se veut tout autre que la prévision. C'est pourquoi nous préférons, plutôt que des projections à long terme, travailler à partir d'hypothèses où les évolutions de contexte seront prises en compte, où des réponses pourront être évaluées au fur et à mesure, pour être au plus juste de la rencontre entre l'entreprise et ses consommateurs. Nous voyons bien dans nos études combien leurs réactions s'inscrivent dans des effets de contexte (discours, environnement socioéconomique, crises sanitaires …) qu'il faudra croiser avec les idéologies en cours. Quels seront ces effets demain, comment les idéologies joueront-elles leur rôle, comment, par exemple, les crises sanitaires à venir sauront-elles, ou pas, donner à l'aliment un autre statut et à la façon de se nourrir d'autres dimensions ? La difficulté de manier l'outil prospectif tient à plusieurs facteurs. Tout d'abord, l'effective porosité des individus à leur environnement et à ses changements, auxquels il faut s'adapter sous peine d'être à la marge, ce qui développe des capacités de réponses inédites et imprévisibles à partir des besoins propres et d'arbitrages, eux aussi variables. Par exemple, si aujourd'hui les critères prix, temps, plaisir, proximité, santé… sont transversaux pour l'achat de produits de grande consommation, comment vont-ils varier si, dans cinq ans, les pouvoirs d'achat, les modes d'habitation, les discours autour de la santé changent… ? Une autre difficulté de la prospective appliquée est le décrochage des individus de la consommation en soi. Ceux-ci transfèrent leur recherche de valeur et de sens à l'appropriation des produits plus qu'aux marques qui les représentent, et donc à l'élaboration de stratégies personnelles, à l'insu de toute capacité prédictive. C'est pourquoi les outils prospectifs se doivent d'être aussi finement pensés que relativisés dans leurs résultats. Mais leurs objectifs peuvent aussi être ouverts à d'autres fins : le développement de synergies internes, la fidélité à ses valeurs plus qu'aux “tendances” du moment, pour que les réflexions et apports créatifs soient en phase et renforcent le projet fondateur de l'entreprise, l'opportunité d'interroger régulièrement les consommateurs pour en suivre les attitudes en fonction d'éléments de contexte repérés, et bien sûr tout ce qui dans le principe même de “veille” ouvre et questionne. C'est sur cette question d'ouverture, ce possible “ad-venir”, que se joue pour moi l'essentiel de l'intérêt de cette méthode de travail, comme saut créatif et pari pour demain, comme formidable élément de vitalisation d'aujourd'hui. »

 
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Danielle Rapoport

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