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Une grande claque pour un petit clic ?

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La révolution internet n'a décidément pas eu lieu. En France, les consommateurs boudent toujours la gestion on line de leur argent. Les acteurs traditionnels parient tous sur le multicanal tandis que les banques sans guichet, quand elles ne ferment pas, doivent repenser leur stratégie faute d'une rentabilité à moyen terme. Deux récentes études de Novamétrie tentent de redéfinir les enjeux du métier bancaire face aux mutations technologiques.

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Le rêve aura été de courte durée. Sept mois seulement après son lancement, la banque 100 % en ligne ebanking, du groupe belgo-néerlandais Fortis, jette l'éponge. Motif invoqué : le dérapage des coûts d'exploitation. « Nous étions pour une politique commerciale forte pour peu qu'elle soit économiquement saine », justifie Martine de Rouck, présidente du directoire d'ebanking. Or, c'est précisément l'augmentation des charges qui justifie, selon elle, l'échec de la cyberbanque. « Le coût d'acquisition client explose. Notre plafond était de 350 euros par client. Aujourd'hui on dépasse les 1 000 euros. » Et de préciser : « Au départ, il y avait neuf projets concurrents, aujourd'hui il en existe 53. » Une surenchère commerciale qui ne laisse aucune place à la rentabilité. L'arrivée sur le marché du néerlandais ING Direct ou de l'italien Bipop a ainsi donné un coup de fouet au taux d'intérêt des livrets bancaires dont la rémunération oscille aujourd'hui, pour certains, entre 5 et 6 %. « Impossible de tenir autrement qu'à perte », conclut Martine de Rouck. Autre revers, celui de dexiaplus.

Marc Lanvin (Banque Directe)

: "Nous sommes rentables au niveau de l'exploitation, en ce sens qu'un client nous rapporte plus qu'il ne nous coûte".



Six mois seulement après son lancement, la banque tout Internet du crédit local belge Dexia fait machine arrière. Un revirement qu'explique, encore une fois, une concurrence exacerbée, liée, de surcroît, à la déprime des marchés. « Pour nous, le modèle tout Internet n'est pas viable. On s'est très vite rendu compte que nos clients avaient besoin d'un face à face pour ouvrir ne serait-ce qu'un compte », constate Annie Trinel, directrice marketing de dexiaplus. Retour donc vers une gestion patrimoniale multicanal : la banque en ligne rentre dans le giron de Dexia Banque Privée, et devient un moyen de contact supplémentaire à l'attention de ses 15 000 clients. « Comme banque privée, nous devions d'abord installer la notoriété de notre groupe et donc sa légitimité vis-à-vis des particuliers avant de se préoccuper réellement de l'acquisition client », ajoute Annie Trinel.

Click & mortar


Le modèle d'une banque sans guichet a fait long feu. « Depuis le début, nous recherchions un partenaire majeur, non bancaire, susceptible de fournir une présence physique, une base de relais qui nous apporte sa clientèle en France », rapporte Martine de Rouck. Car, avec un millier de clients contre les 10 000 escomptés, ebanking n'avait pas d'autres chances. Une étude Novamétrie portant sur les banques en Europe et les technologies du 3ème millénaire*, confirme l'alliance entre Internet et le réseau dur. Le "click and mortar", littéralement le "clic et le mortier", désigne les entreprises ayant fait le pari d'un système où le Net s'associe à un réseau de distribution en dur. "Si les banquiers reconnaissent presque unanimement qu'Internet constitue un phénomène de fond qui les oblige à se remettre en question, constate l'étude, rares sont ceux qui affirment que ce mouvement irrémédiable bouleverse les fondements même de leur modèle économique : la chaîne de création de valeur bancaire est certes profondément modifiée par les nouvelles technologies, mais son socle de base bâti autour d'une proximité relationnelle en agence pour les opérations les plus importantes du client conserve, à ce jour, sa pleine cohérence." Analyse partisane ? Pas si sûr. Car la seconde enquête, réalisée cette fois-ci, en partenariat avec le cabinet Arthur Andersen**, et consacrée aux nouveaux entrants dans les services financiers confirme ce postulat. "79 % des interviewés déclarent utiliser Internet pour gérer, s'informer ou ouvrir un compte courant. On peut en conclure qu'Internet est en train de se substituer à la relation classique bancaire pour tout ce qui est opérations quotidiennes, le "home banking." ...) Le Web financier se positionne davantage comme un outil à vocation de gestion plutôt que commerciale." Les banques traditionnelles, pour une majorité d'entre elles, conçoivent Internet comme un simple outil supplémentaire. "Les clients connaissent et utilisent les technologies qu'ils considèrent comme porteuses d'évocation largement positives telles l'aspect pratique, la nouveauté ou l'efficacité, rappelle l'étude Novamétrie sur l'avenir des banques.

Olivier de Montety (Zebank)

: " Les consommateurs, du moins ceux que nous visons, aiment avoir un contact physique pour ouvrir un compte mais pas pour leurs transactions".




Pourtant la relation humaine, incarnée par la proximité et la disponibilité d'un chargé de clientèle, est plébiscitée par 76 % des clients européens. C'est la raison pour laquelle la gestion de la relation multicanal est considérée par les leaders d'opinion bancaire comme l'un des principaux enjeux auxquels ils sont aujourd'hui confrontés. Il apparaît, tant pour les Européens interrogés que pour les banques, qu'il s'agit avant tout d'implémenter les technologies de la relation distante autour du chargé de clientèle." Confirmation auprès de la Société Générale dont le site Logitel Net comptabilise quelque 350 000 utilisateurs. « Nous avons mis à la disposition de nos clients six canaux de gestion à distance : serveur vocal, Minitel, Internet, système d'alerte sous forme de messages SMS, télévision interactive et Wap. Ces deux dernières technologies restent encore marginales », signale le responsable de Logitel Net, Olivier Lesaint. Etonnamment, Internet n'a pas suppléé le Minitel. « Le recours à Internet - 8 à 10 % d'augmentation moyenne mensuelle - ne peut se corréler aux 1 à 2 % de baisse mensuelle de l'utilisation du Minitel », s'étonne-t-il. Mais, pour Olivier Lesaint, la force d'Internet, c'est le gain de productivité qui libère les conseillers de la banque pour la vente de produits commerciaux à forte valeur ajoutée.

Pari sur le tout Internet


Pionnière de la banque en ligne, BNP-Paribas, avec Banque Directe, a eu le temps d'essuyer les plâtres. Seul groupe bancaire à s'être doté d'une véritable filiale en ligne, depuis 1994, BNP-Paribas n'escompte pas, pour autant, la rentabilité avant deux ans. « Banque Directe est rentable au niveau de l'exploitation, en ce sens qu'un client nous rapporte plus qu'il ne nous coûte. Au plan des coûts d'acquisition, par contre, nous envisageons le point mort à l'horizon des dix huit mois », se plaît à rappeler Marc Lanvin, directeur marketing de Banque Directe. Avec 150 000 comptes ouverts, des coûts d'acquisition officiellement bas, « nous recrutons 25 à 30 % de nos clients grâce au parrainage », Banque Directe tient à se positionner comme une banque à part entière, centrée sur la domiciliation de comptes courants, en profitant de la notoriété du groupe BNP-Paribas pour s'imposer. L'enquête Novamétrie fournit un chiffre à cogiter : 72 %, en effet, des Européens interrogés estiment impensables de faire appel à un acteur non bancaire. Et, quand ils choisissent Internet, ils sont alors 65 % à privilégier l'offre de leur fournisseur habituel. C'est sur les autres, les infidèles, que parie Zebank, la banque 100 % Internet de la holding de Bernard Arnaud, europ@web. Même si une étude Datamonitor table sur 75 millions d'utilisateurs européens en ligne pour la fin 2005, la confiance dans un acteur non bancaire tarde à s'imposer. Si l'on en croit l'enquête Novamétrie - Arthur Andersen, le profil idéal d'un prestataire reste celui d'un acteur institutionnel ayant une forte notoriété. "Preuve que la finance repose sur la relation de confiance. Une relation qui ne semble s'épanouir qu'à l'épreuve du temps et contre laquelle les start-up, jeunes par définition, n'ont pas encore les moyens de rivaliser dès lors qu'elles ne sont pas adossées à un acteur bien installé ou qu'elles ne le revendiquent pas." Du côté du "premier hypermarché bancaire", la recherche de partenaires qui puissent l'aider à réduire ses coûts d'acquisitions bat son plein. Rumeurs d'ouverture du capital ou de mandat de vente vont bon train. En attendant, Zebank bat le rappel afin de passer des 17 000 clients comptabilisés en juin 2001 aux 60 000 prévus pour février 2002. « Inscrire une présence physique nomade », tel est l'enjeu, selon son président, Olivier de Montety, des différentes campagnes de marketing orchestrées tout l'été. Le Wanadoo Tours (tour commercial des plages de France) n'a pas fonctionné. Du côté du partenariat avec Shell (1 000 F de carburant remboursés pour l'ouverture d'un compte) ou du train de l'Internet, la prospection, toujours selon Olivier de Montety, a porté ses fruits. « Les consommateurs, du moins ceux que nous visons, aiment avoir un contact physique pour ouvrir un compte mais pas pour leurs transactions », analyse-t-il. Avec un encours moyen annoncé de 4 000 euros, un profil de jeunes urbains - 22 % sont des étudiants -, "la banque la moins chère de France" joue la carte du discount. Au grand dam de certains financiers qui peinent à y voir un modèle financier cohérent. « Plus les banques virtuelles auront de clients, plus elles perdront d'argent inévitablement. L'outil n'est rien si l'on ne possède pas le métier », s'amuse Jean-François Lepetit, président de la commission des marchés (CMF). Mais, pour Olivier de Montety, son modèle sera rentable en 2003 avec 250 000 clients.

L'arrivée de nouveaux entrants


Il en est, tout de même, à qui l'avenir semble sourire.

Philippe Toussaint (Banque AGF)

: " Nous ne misons pas sur un projet de banque en ligne pure. Nous pensons au contraire que l'usage d'Internet développe le besoin de conseil".





C'est le cas de Banque AGF, filiale française du groupe Alliantz. L'arrivée sur le marché des services financiers d'un assureur paraît mieux acceptée. « L'ouverture de Banque AGF répond à des enjeux économiques forts : fidéliser notre clientèle, environ 6 millions de personnes, et la protéger contre le concurrent bancaire », explique Philippe Toussaint, président de Banque AGF. Car la "bancassurance" fragilise les grands groupes d'assureurs. Logique, dans ce cas, qu'ils tentent, à leur tour, une percée sur les produits et les services bancaires. L'exemple type étant le lancement, en 1998, de la banque en ligne Egg par l'assureur-vie britannique Prudential. Un beau succès en termes de captation clientèle avec 1,5 million de fidèles mais un bel échec économique aussi : l'établissement a perdu quelque 600 millions d'euros depuis son lancement. Banque AGF espère bien échapper à ce modèle catastrophe. Lancée en octobre 2000, elle a séduit 125 000 clients dont les trois quarts équipés d'une offre groupée "Compte multiservice". L'équilibre, prévu dans trois ans avec 350 000 clients, devrait avoir nécessité 100 millions d'euros d'investissements. Pour son président, Banque AGF possède une légitimité suffisante pour proposer une offre globale - banque et assurance -, tournée vers le grand public. Pas de démarche patrimoniale donc, mais l'ambition de développer les flux avec ses clients sur leurs comptes courants. Dans ce cadre, Internet n'intervient que complémentairement, Banque AGF privilégiant le face à face. « C'est un choix stratégique réfléchi, de grands réseaux vont couvrir l'ensemble des besoins financiers. Et AGF doit s'inscrire dans ce mouvement, développe Philippe Toussaint. Nous ne misons pas sur un projet de banque en ligne pure. Nous pensons au contraire que l'usage d'Internet développe le besoin de conseils. Banque AGF, c'est une relation qui s'appuie sur un réseau de 10 000 vendeurs où toute une panoplie d'outils (serveur vocal, Minitel, Internet) servent la relation client. Dans ce cadre d'ailleurs, le recours à Internet reste minoritaire sauf en ce qui concerne les relations de la banque avec ces apporteurs où, dans ce cas, le Net est plus utilisé. »

Vers un conseil commercial personnalisé


L'e-banking est un champ de bataille où le client compte les points. Car, si les banques traditionnelles ont rattrapé leur retard et passent pour être désormais à la pointe des NTIC, elles ont des concurrents du côté de l'assurance. Reste qu'un modèle 100 % web laisse le monde de la finance plus que sceptique. « Si l'on regarde le marché américain, plus mature dans l'usage du Net, on s'aperçoit que la très forte attraction pour le "on line" a subi un rééquilibrage. C'est la stratégie du multicanal qui s'impose, confie un banquier, proche de la Commission bancaire. L'argent, c'est la confiance. Surtout avec des marchés très volatils : beaucoup ont besoin d'une gestion personnalisée de leur portefeuille et, dans ce cadre, le conseil ou le contact personnel semble irremplaçable. » C'est là qu'est sans doute la véritable révolution du Web. Dans le nécessaire redéploiement des activités bancaires : centrées, à l'avenir, sur un conseil commercial très personnalisé. * "Les banques en Europe et les technologies du 3ème millénaire". Enquête réalisée par téléphone, en mars 2001, par Novamétrie auprès de 1 000 personnes représentatives de la population européenne, âgées de + de 18 ans (200 dans chaque pays : France, Angleterre, Allemagne, Espagne et Suède), complétée d'entretiens, en janvier 2001, avec 44 leaders d'opinion européens. ** "Nouvelles frontières des services financiers : l'impact des nouveaux entrants". Analyse de 400 projets de nouveaux entrants en Europe et interviews de 30 responsables bancaires, efectuée par Arthur Andersen, enquête réalisée par Novamétrie en mars 2001, auprès de 1 400 utilisateurs de services financiers sur le Net, à travers un questionnaire en ligne.

Une banque européenne ?


Le livre blanc édité par l'institut Novamétrie s'est, entre autres, attaché à détecter l'émergence d'une offre bancaire paneuropéenne ainsi que d'un consommateur bancaire européen grâce aux NTIC. « Le sujet sur lequel les leaders d'opinion se rejoignent concerne la banque paneuropéenne, constate l'étude. Ils ne la voient pas émerger, ni même se dessiner, et ne considèrent en aucun cas que les nouvelles technologies vont faciliter son développement. Tous sont persuadés que le marché unique et l'euro vont encourager les fusions, acquisitions et autres rapprochements. En revanche, ils n'imaginent pas un réseau paneuropéen avant longtemps et ce, pour de nombreuses raisons : d'abord parce qu'ils considèrent la banque très ancrée sur son marché domestique, ensuite parce qu'ils ne voient pas émerger le profil d'un consommateur européen de produits et de services financiers, enfin (et surtout) parce que les contraintes fiscales et réglementaires dans chaque pays ne facilitent pas l'émergence d'un tel réseau.(...) L'émergence d'un modèle de banque paneuropéenne, diffusant grâce à des outils de relations à distance une offre européenne à des consommateurs européens, n'est donc pas pour tout de suite. »

Internet comme facteur de l'amélioration de la productivité


L'étude Novamétrie met également l'accent sur les enjeux sous-jacents à la révolution internet : amélioration de la productivité commerciale et réduction des coûts. "L'analyse des entretiens avec les leaders d'opinion bancaire fait clairement ressortir que l'enjeu principal de la mise en oeuvre de ces technologies reste la productivité commerciale et la réduction des coûts. Si le datawarehouse et le data mining constituent des projets déterminants, c'est bien évidemment pour mieux connaître les clients, mais dans une logique d'optimisation des campagnes marketing et du développement des ventes. (...) Même si les banques sont confrontées aujourd'hui à une recherche de productivité à court terme, demain elles défendront et conforteront leurs positions à travers le conseil qu'elles seront capables de vendre à leurs clients ; il se confirme que l'ensemble des tâches à faible valeur ajoutée sera directement pris en charge par le client grâce aux canaux de communication distants mis à leur disposition. La problématique des banques peut donc se résumer ainsi : comment capitaliser sur leur savoir-faire distinctif du métier de banquier, comment augmenter les compétences de conseils des vendeurs, comment valoriser au mieux l'expertise des chargés de clientèles ?"

 
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Muriel Rozelier

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