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QUELLE PLACE POUR LA R&D EN AGENCE?

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Entre les contraintes liées au respect des délais de production, les courses aux compétitions, la recherche de new business, les agences consacrent trop peu de temps à la Recherche et au Développement. Une dimension pourtant capitale pour une profession aussi visible et exposée. Etat des lieux de ce qui existe et de ce qui pourrait se développer au sein des agences de marketing.

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Jean-Pascal Mathieu (Nurum Lab):

«Il est essentiel d'alimenter en permanence la machine à idées le plus en amont possible.»

Dessiner les tendances, sentir les évolutions du monde qui nous entoure, appréhender les avatars d'une société en constante mutation, telle est la valeur ajoutée des agences de marketing. Et cette mission est plus que jamais d'actualité à l'heure où Internet bouscule les codes et accélère les échanges. On serait donc tenté de croire que le rôle de prospective - qui participe en partie à la crédibilité des agences auprès des annonceurs - entraîne une mobilisation et des investissements à la hauteur de l'enjeu. «La compétitivité des entreprises repose, notamment, sur la R&D et l'innovation. La capacité à innover, à développer de nouveaux produits, est la condition de leur pérennité», indiquait Bernard Bobe, universitaire, dans une note sur «L'indispensable intégration des fonctions R&D et marketing». Et pourtant, les agences se mobilisent assez peu sur le volet R&D de leur stratégie. Un terme surtout usité dans le secteur industriel, certes, mais qui trouve un écho probant face à l'avènement des nouvelles technologies, de plus en plus sollicitées dans les campagnes 360° des agences. «Mais pas seulement technologique, indique Monique Wahlen, directrice du planning stratégique de l'agence G2Paris. La R&D s'attache à analyser et à décrypter les nouvelles tendances sociétales, les nouveaux usages, afin d'y adapter des stratégies et des dispositifs.»

Interrogée sur le manque d'engagement de la profession dans ce secteur, Catherine Michaud, présidente de High Co et de la délégation marketing services de L'AACC, dresse un état des lieux peu encourageant: «C'est un sujet important qui est mal traité au sein des agences. Et ce, pour différentes raisons: la gestion de la production au quotidien qui laisse peu de temps à ce genre de réflexion et le temps passé non facturé est généralement consacré au new business, soit 20 à 25% du temps de l'agence.» Pour autant, la délégation, consciente de l'enjeu, a lancé une initiative, en partenariat avec La Poste, baptisée «Les Masters de la création». L'idée était de donner carte blanche à des créatifs pour inventer le mailing de demain. En attendant mieux: à savoir un département transversal au sein de la délégation mobilisant l'ensemble des agences partenaires... Pour autant, note cette fois la présidente de High Co, «nous disposons d'un véritable vivier de créations originales et innovantes parmi tous les projets proposés lors de compétitions. Nous avons perdu ces compétitions car les créations étaient justement trop en avance pour les clients. C'est en quelque sorte de la. R&D en pratique.» Néanmoins, de trop nombreuses agences, sûres de leur capacité à faire la différence, fonctionnent encore sur le diktat de l'idée, en misant sur le génie créatif des équipes. Or, le monde se complexifie et l'analyse des mutations, toujours de plus en plus rapides, nécessite des outils performants. Et ces derniers se développent, peu à peu, notamment autour de la sphère Internet, véritable baromètre de l'évolution de la société et reflet des attentes des consommateurs.

Yan Claeyssen directeur général d'ETO et membre du SNCD.

Yan Claeyssen directeur général d'ETO et membre du SNCD.

Avis d'expert
«La recherche et développement au coeur des agences!»


Parce que le monde évolue de plus en plus rapidement et parce que le rôle des agences est d'accompagner les annonceurs dans la compréhension de ces évolutions comme dans la formulation de réponses adéquates, le planning stratégique et/ou la R&D occupent une place essentielle dans nos structures.
L'agence doit dans un premier temps être à l'affût des «nouvelles tendances» qui composeront la société de demain. En effet, le comportement des consommateurs évolue vite. Les causes de cette accélération sont multiples: démocratisation des NTIC, contexte social difficile, éclatement de la cellule familiale, mondialisation des échanges, émergence d'une consommation responsable...
Amplifiée par la multiplication des médias et des sources d'information, cette accélération rend de plus en plus difficile l'appréhension des leviers qui permettront à une marque ou une enseigne de conquérir des parts de marché ou de fidéliser sa clientèle.
Dans un second temps, le rôle de l'agence est donc d'innover dans la réponse à ces phénomènes. Parce que les repères sont bousculés, les vieux réflexes deviennent inefficaces, voire contre-productifs. Il est donc essentiel de renouveler les modèles qui doivent permettre de mieux cerner ces évolutions et d'y répondre en apportant des concepts et des dispositifs appropriés.
De nouveaux outils permettent à cette R&D d'être pertinente et efficace: moteurs de recherche internet, outils de veille, cabinets de tendances, études on line, blogs, analyses sémantiques de forums, etc. La difficulté n'est pas tant de trouver l'information (elle est surabondante!) que de la sélectionner, la digérer et en faire émerger des modèles exploitables opérationnellement.
Une trop grande automatisation de la recherche et de la veille laisse parfois un peu perplexe. De nombreuses découvertes ou inventions ont résulté du hasard ou de ce que les Anglo-Saxons nomment la «serendipity» (démarche qui consiste à trouver quelque chose d'intéressant de façon imprévue, en cherchant autre chose, voire rien de particulier, ndlr).
La R&D et le planning stratégique font partie intégrante du rôle, voire de l'essence même de l'agence. Même si l'agence est trop petite pour avoir une ou plusieurs personnes dédiées à cette fonction, chaque collaborateur doit posséder l'ouverture et la curiosité nécessaires à cette activité!

Les laboratoires de tendances

Les laboratoires de tendances fleurissent dans les agences et réunissent la matière grise des équipes dédiées à la prospective. La plupart du temps, les échanges s'effectuent au sein du réseau.

Ainsi, chez Draft FCB, l'analyse des nouvelles tendances est réalisée à l'aide de deux outils mis à disposition des équipes. «Il existe deux cellules de research marketing. Une à Chicago, de benchmark global, et une à Los Angeles, de veille sur les nouveaux médias. Ces deux départements font des études de marché sur l'ensemble des 120 pays du réseau. Cette capacité à benchmarker à l'international est appuyée en parallèle par des mesures d'innovation en partenariat avec de gros éditeurs, comme Microsoft ou Google», explique Bruno Walther, président de Draft FCB Paris. Plus localement, l'agence dispose d'un service R&D qui repose sur trois pôles: une partie études et veille sociétale au sein du planning stratégique, mais aussi des notes et synthèses pour les collaborateurs à travers des piges de publications; un service de veille marketing qui scrute les tendances de fond et les différentes opportunités d'application pour les différents canaux (de la planche de style à la tendance, il peut se passer 18 mois); un service de R&D «traditionnel» au sein du département digital avec une veille permanente sur les outils et médias du futur (nouvelles versions de Flash, téléphonie...). «On peut dire que la R&D représente de 5 à 10% de la marge brute de l'agence. Et l'investissement se radicalise depuis six mois, car je pense qu'il faut se réarmer face aux bouleversements majeurs de la. société. Ainsi, il y a. un socle technologique et un socle sociologique qui évoluent en parallèle. Il faut que les deux se rejoignent au profit de la marque et du client», précise Bruno Walther.

Dans le même esprit de collaboration entre agences, FullSIX a créé deux cellules dédiées à la R&D.

La première, en France, baptisée «Hyper Marketing Lab», a une vocation stratégique et mène une réflexion globale sur l'avenir du marketing et son évolution. «L'idée est de définir à cinq ans ce que sera le marketing. En parallèle, nous menons des expériences sur différents canaux. Nous développons un marketing de scénario», indique Jérôme Toucheboeuf, associé fondateur. La seconde est pilotée en Espagne et au Portugal. Baptisée «Innovative Lab», c'est le pendant de l'innovation marketing, avec des applications concrètes sur les innovations technologiques (par exemple, le mobile Tag, les systèmes à code unique, l'impression numérique...). Cette structure travaille essentiellement sur la combinatoire des canaux. Elle est alimentée par beaucoup d'exemples, testés par les collaborateurs du groupe, à travers un wiki interne. De ces échanges est née une publication bisannuelle, baptisée «Trend Watch», qui présente l'ensemble des tendances et l'analyse du marché. «Nous travaillons actuellement sur la mise en place d'un outil de data calling d'adresses e-mails. Il pourrait être utilisé par des prospects passant devant la vitrine d'un magasin, qui, ayant repéré un article, peuvent recevoir des bons de réduction», illustre Jérôme Toucheboeuf. Voilà un exemple d'application techniquement au point et qui devrait être implémentée prochainement.

«La R&D fait partie des gènes de l'agence. En outre, nous sommes plongés dans le Web depuis son apparition, de par la nature même de ce média», poursuit le patron de l'agence interactive.

Les agences peuvent même parfois nourrir leur réflexion bien au-delà de la sphère proche du marketing. C'est le cas de G2 Paris, qui a créé un Laboratoire des émergences créatives, baptisé «la Bergerie», qui regroupe une cinquantaine de créatifs de tous genres (couturiers, écrivains, artistes...), pour générer du contenu original. Cette filiale a également lancé des partenariats éditoriaux avec les magazines Blast en France et Issue aux Etats-Unis. «Nous souhaitons être présents avec une stratégie interactive de contenus, explique Benoît Héry, directeur général de G2 Paris.

D'ailleurs, nous allons lancer un site qui va mélanger le travail de recherche de ce laboratoire et ce que nous percevons comme des tendances émergentes.» Et de préciser: «A l'agence, notre vision de la. R&D, c'est une façon de questionner toutes les problématiques. Nous voulons utiliser des consommateurs pour imaginer les produits de demain. Ce qu'il faut, de manière générale, c'est que les agences s'adressent aux entreprises et non aux marques. Cela. remontera, leur niveau d'exigence.» Parfois, un «Monsieur R&D» est intégré en agence. C'est le cas d'Ivan Petrovic, directeur technique, chez Rapp Collins. «Pour moi, la R&D, c'est une quête perpétuelle des nouvelles technologies et de leurs usages. Comment les détourner pour servir le consommateur? Tel est l'objectif que nous nous fixons. Par exemple, notre étude menée sur la RFID démontre qu'une technique - militaire et industrielle à l'origine - peut servir le quotidien des consommateurs.»

Chez Nurun, web agency sensible aux nouvelles technologies, la R&D est vitale. «Il est essentiel d'alimenter en permanence la machine à idées le plus en amont possible pour que le planning stratégique puisse s'en servir et proposer des idées innovantes», analyse Jean-Pascal Mathieu, directeur du Nurun Lab, qui réunit quatre personnes, à Paris et à Atlanta. «Notre bureau américain a une culture de veille très importante. Nous échangeons beaucoup afin de donner un sens marketing à la technique. Concrètement, si l'on s'intéresse au Code QR au Japon (code-barres en deux dimensions), on veut comprendre comment cela va fonctionner sur les téléphones français. L'idée n'est pas de recommander n'importe quoi», précise Jean-Pascal Mathieu. Nurun est également partenaire de l'université de Georgia Tech, à Atlanta, et finance des projets d'étudiants sur des applications à partir de mobiles. «Nous avons deux ou trois projets en cours autour de la mobilité, mais aussi autour de la notion de business to influenceurs ou comment, tirer le meilleur parti de nos ambassadeurs?», indique le patron de l'agence. Nurun Lab a deux objectifs principaux: anticiper les futures expériences de marque rendues possibles par l'évolution des technologies interactives et aider les clients à innover. Bien sûr, le champ exploratoire prospectif est le pins intéressant. Il permet de mettre en oeuvre des prototypes innovants dans le monde des technologies émergentes, qui peuvent représenter un vrai potentiel, imaginer et anticiper les exploitations possibles.

Arnaud Pigounides et Isabelle Carron (Jack Lab):

«Nous allons lancer prochainement le JackLab, un magazine gratuit conçu comme un pool de réflexion sur les émergences.»

Les retours d'expérience

Outre les travaux menés en interne, une importante partie des recherches repose sur la veille et l'analyse des comportements et attentes de la communauté virtuelle.

Rebaptisé «Brain blog», l'observatoire des usages de l'agence Wunderman a pour vocation de regarder au plus près ce que disent les consommateurs des marques.

«Nous n'organisons pas un brief sans savoir ce que le consommateur dit de notre client. Les wikis, les blogs, les forums, les mini-sites... alimentent notre réflexion», précise Eric Meunier, directeur général. Ce blog est ouvert et enrichi par l'ensemble des collaborateurs. Au coeur de la communauté virtuelle, Wunderman Paris est également présente sur Second Life via une agence virtuelle. «Les consommateurs précurseurs et les marques s'y engouffrent. Il était important que nous y soyons. On décode les pratiques, on regarde ce que font les autres...», ajoute Eric Meunier. Idem pour Leo Burnett et Draft FCB, qui ont aussi leur avatar. Bien sûr, les agences, constituées en réseau, bénéficient des insights et des échanges de best practices des autres «filiales». Ainsi, Publicis, implantée dans 83 pays, dispose d'une documentation importante, notamment sur des sujets internationaux. En parallèle, le groupe vient de lancer une société, baptisée «Free Thinking», un laboratoire d'études et de conseils dédié au consommateur 2.0. Ainsi, Publicis, actionnaire à 90% de cette société, fait appel à ses fondateurs dans le cadre de nombreux appels d'offres. «Nous cherchons à mieux comprendre ce qui structure et anime le mental des consommateurs et ce qui fait débat», indique Xavier Charpentier, cofondateur de l'entreprise. A l'origine de cette création, apparaît l'idée que, pour bien piloter une marque, une image ou une action marketing dans l'univers du Web, la façon la plus simple d'y arriver est d'utiliser les mêmes armes, à savoir la pensée libre et l'organisation communautaire. «Nous créons des blogs communautaires dédiés, animés de façon spécifique pour libérer la parole et recréer le débat entre des individus qualifiés. Pour préparer cette phase, une veille approfondie sur le Web permet de détecter les idées déjà présentes. Puis, in fine, nous formalisons pour le client des gisements d'idées neuves», argumente Xavier Charpentier.

Chez High Co, Catherine Michaud entend s'inscrire dans le mouvement via l'embauche toute récente d'une responsable marketing mobilité, chargée d'aller dénicher toutes les idées innovantes. Les agences peuvent également chercher de l'inspiration auprès de partenaires extérieurs. Ainsi, une toute nouvelle agence, Jak (comme Just a Kiss), vient de voir le jour. Ses trois promesses: stratégie, création et curiosité. Fondée et dirigée par Isabelle Carron et Arnaud Pigounides, cette petite structure, qui compte déjà comme clients Piment ou Draft FCB, propose de travailler en amont du planning stratégique, en supplément de benchmark, analyse de marché, rebranding, lancement de produits... Et en accompagnement créatif. «Nous allons lancer le «JakLab», un magazine trimestriel gratuit conçu comme un pool de réflexion sur les émergences réunissant les visions «subjectives» d'une vingtaine de contributeurs», annonce Isabelle Carron.

De quoi alimenter les débats, y compris au sein des petites structures dont le planning stratégique est peu développé. Autant d'outils et de sources d'information qui, déployés, peuvent aider les agences à assurer une veille salutaire et nécessaire.

Trois questions à Jean-Yves Granger, directeur prospective et coordination marketing et commerciale chez LaSer, insiste sur la nécessité d'anticiper de nouveaux marchés.
«L'innovation marketing devient impérative»


Quelle est votre définition de la fonction R&D dans le marketing?
Dans un environnement de plus en plus concurrentiel avec, dans tous les secteurs, l'arrivée de nouveaux acteurs, l'innovation marketing au sens large devient impérative. Si, souvent, il s'agit d'améliorer ou d'adapter l'existant, il faut aussi investir dans la recherche de nouveaux produits et de nouvelles approches. Donc, en quelque sorte, identifier les grandes tendances, les évolutions technologiques, les changements de comportement des consommateurs pour pouvoir anticiper de nouveaux marchés ou activités, développer des offres ou canaux de vente. Cela passe par un processus de tests et pilotes pour valider et évaluer la faisabilité et le business model.

Quel est le rôle de LaSer sur ce secteur?
Pour nous, avoir en permanence une innovation d'avance est depuis notre origine une démarche essentielle, au coeur de notre développement. Si l'ensemble de l'entreprise est imprégné de cette culture, LaSer dispose en outre de moyens et ressources spécifiques pour être à la pointe technologique dans ses domaines d'activités. Nous nous sommes dotés, d'une part, d'une structure interne de veille et prospective qui capte et analyse de nombreuses données de marchés et, d'autre part, de ressources dédiées permettant d'effectuer des tests et prototypes. C'est ainsi que LaSer a lancé la première carte-cadeau, le premier paiement par téléphone mobile et récemment la première ouverture de crédit totalement «sans papier» ou mis en place, avec l'outil VLL, la capacité de gérer de façon individualisée un contact sur point de vente...Nous disposons aussi d'une ressource très appréciée et unique en europe avec l'echangeur: six plateformes de démonstration des innovations technologiques en matière de relation client.

Quelles sont les tendances émergentes que vous voyez se dessiner?
Dans le domaine des cartes, arrivent en France les cobrandées et. derrière elles, les premières cartes-cadeaux, et les nombreuses possibilités de cartes prépayées. EMV et les puces évoluées vont permettre prochainement de mettre en oeuvre des cartes multiapplicatives. Citons aussi la montée en puissance du sans-contact, pour lequel nous avons été les premiers à effectuer un prototype en France. Le téléphone mobile va offrir au marketing de multiples services, depuis des fonctions de communication ciblées, de paiement, les possibilités de communiquer avec d'autres médias (affiches)...
Et, globalement, c'est une nouvelle approche des clients qui se dessine via la révolution des médias électroniques: la possibilité d'une connexion continue et individualisée, depuis le domicile jusqu'au point de vente en passant par la mobilité.

 
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Marie-Juliette Levin

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