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Manager, c'est prévoir

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Comment mettre en place les bons effectifs pour répondre à une activité par essence variable ? Si la question du dimensionnement est au coeur des préoccupations des managers de call centers, c'est qu'elle révèle toute la complexité d'une gestion au quotidien, où productivité, normes de service et ressources humaines ne sont pas toujours en bons termes.

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La gestion des effectifs constitue la préoccupation majeure des patrons de centres d'appels. La pénurie de main d'oeuvre qui se fait jour à Paris et maintenant en province ne fait qu'accentuer les difficultés des managers à mettre en place les bons effectifs en face des variations d'une activité par définition assez imprévisible. Or, c'est là tout l'art du dimensionnement : anticiper les fluctuations volumétriques d'appels et de contacts arrivant sur les plates-formes afin de maintenir des objectifs de qualité de service et de productivité. De plus en plus, le dimensionnement devra être considéré en étroite corrélation avec les perspectives offertes par la connexion téléphonie/informatique (CTI), avec la dimension multisite des call centers, avec l'hétérogénéité des outils qui s'ensuit (différents PABX, différents serveurs vocaux, différents logiciels de CRM), avec le développement des pratiques reposant sur la multicompétence des agents. Bref, le dimensionnement est, quasi inévitablement, lié à l'aspect fonctionnel et technologique des services clients. Tous les centres d'appels ont un ACD. Un grand nombre a opté pour le SVI. Ils sont de plus en plus nombreux à avoir intégré le CTI. Et les techniques de web call center, à défaut d'être réellement implantées, font beaucoup parler. Aujourd'hui, la technologie est une dimension vitale du fonctionnement des centres de contacts. Alors pourquoi ne pas intégrer des outils de dimensionnement ? A fortiori lorsque la réflexion sur la gestion des ressources humaines est avancée. A fortiori quand la pénurie de main d'oeuvre devient préoccupante et qu'il faut se donner tous les moyens de fidéliser au mieux ses équipes. La question du dimensionnement est bien sûr beaucoup plus prégnante dans une configuration de réception d'appels. Pour la bonne raison que, malgré l'expérience et les données statistiques des médiaplanners permettant de cadrer les flux entrants, il est impossible d'évaluer de manière précise le volume et les variations du trafic arrivant sur une plate-forme. Par ailleurs, plus le volume d'appels est important, moins les calculs de dimensionnement sont épineux. Il est en effet proportionnellement moins conséquent de jouer sur deux ou trois personnes de plus ou de moins dans une configuration à 100 conseillers que dans une situation à 30 agents. Plus le ratio du variable par rapport au fixe est élevé (un ou deux conseillers de plus ou de moins pour une équipe de 10 agents), plus le manager sera contraint de "saucissonner" arbitrairement les effectifs les plus proches de la ligne de rapport (le ou les deux conseillers en plus ou en moins). Le cas de figure est encore différent dans une configuration d'externalisation en débordement. Sous quels délais et à quel prix un outsourcer est-il en mesure d'aligner les effectifs nécessaires au traitement des pics d'activité que son client ne peut gérer ? La loi sur les 35 heures a été, sur ce secteur d'activité des centres d'appels, et notamment pour les outsourcers, une aide indirecte au dimensionnement. « La loi Aubry a été l'occasion d'une modularisation des horaires en annualisation.

Maurice Cautela (CSC Peat Marwick)

: "Le dimensionnement relève de considérations budgétaires et techniques : contrôle de gestion, services informatiques et télécoms".



Ce qui nous a permis de transformer de nombreux contrats à durée déterminée en CDI », explique Thierry Mormentyn, P-dg de Teleperformance Nord et patron du réseau Teleperformance en France.

« 30 % de marge de flexibilité : ça n'est pas assez »


Cette stabilisation sociale permet aux sociétés d'externalisation de disposer "sur place" d'un vivier stabilisé. D'une part de collaborateurs aux horaires plus facilement programmables. D'autre part d'effectifs plus perméables à des sessions d'évaluations spontanées et à des formations réactives. « Avec les CDI, il est plus facile de jouer sur une gestion mutualisée des différents clients », note Thierry Mormentyn, qui revendique pour Teleperformance Nord 70 à 80 % de CDI sur environ 200 postes équivalent temps plein. « Aujourd'hui, en matière de dimensionnement, nous avons une marge de flexibilité de 30 %. Ça peut sembler énorme. Mais, pour une activité comme la nôtre ça n'est pas suffisant », poursuit le P-dg. Dans le cas d'une structure internalisée, la problématique n'est pas la même. Même si le fait de dédier des équipes à des tâches spécifiques handicape évidemment la réactivité et l'adaptation aux variations des flux, même si l'évolution "ordinaire" d'un service client est à l'augmentation progressive du trafic entrant, il est généralement plus simple de dimensionner. Pour la simple et bonne raison que les centres de contacts internalisés gèrent très généralement des services clients sur le terme et très rarement des opérations de communication, de publicité ou de promotion. Au pire, pour anticiper sur une activité qui deviendrait par moments plus incontrôlable, les entreprises peuvent-elles passer avec des outsourcers des contrats de sous-traitance en débordement.

Gestion des débordements : dépasser l'arithmétique


Mais attention, la gestion des débordements ne s'opère pas nécessairement sur la base d'un calcul purement arithmétique de transfert d'un site vers un autre au premier appel qui ne peut être traité sur le premier. Certes, ce modèle est prévalent dans un contrat de sous-traitance. En revanche, dès lors qu'elles optent pour le transfert sur un deuxième ou sur plusieurs sites gérés en interne, les entreprises ont intérêt, pour optimiser la qualité de service, à programmer le routage des appels avant que la situation ne devienne critique. Europcar a ouvert en février 2001 un site à Dijon pour répondre à une production accrue. Le premier site du loueur, à Nanterre, pouvait traiter les 3 500 appels reçus en moyenne chaque jour avec une équipe de 70 personnes. Mais, lorsque les flux montaient à 5 000 appels quotidiens, la qualité de service ne pouvait être maintenue, même avec un redimensionnement à 90 agents. L'entreprise a donc choisi de créer un lieu de traitement de la production en débordement, animé par une bonne vingtaine de chargés de réservation. Avec l'objectif, non pas d'absorber le strict débord, mais plutôt celui de fluidifier le trafic en amont, avant que l'on enregistre les premiers appels en attente. Fluidification plutôt que gestion des débordements. Ce, pour une raison bien connue des managers de call centers : le débord est toujours traité avec un temps de latence qui oblige à perdre, inévitablement, 2 à 5 % des appels. Les professionnels font parfois un distinguo entre dimensionnement, prévision et planification. « Le dimensionnement relève de considérations budgétaires et techniques : contrôle de gestion, services informatiques et télécoms. La planification revêt une dimension plus opérationnelle et dépend plus spécifiquement du planner. Quant à la prévision d'activité, elle interagit à la fois sur le dimensionnement et sur la planification et s'approche d'un travail d'analyse qui appartient plutôt à la direction du centre d'appels », affirme Maurice Cautela, consultant chez CSC Peat Marwick.

Une décision qui doit rester locale


Dans le cas d'un centre de contacts multisite par exemple, la prévision d'activité sera l'affaire d'une direction centralisée, alors que la planification relèvera plus directement des directeurs de sites, qui communiqueront à une autorité centrale les différents éléments ponctuels entrant dans la gestion des effectifs (absences, retards...). Depuis ce creuset central, on veillera à ce que la somme de toutes les ressources corresponde bien au maintien de la charge. Voilà du moins pour la théorie. Car, dans les faits, pour une configuration de centres d'appels en réseau, la décision opérationnelle du dimensionnement ne peut pas être prise de manière centralisée. Pour des raisons de praticité et même d'efficience. Imaginons : le siège fait ses calculs de prévision d'activité et prévoit le routage de 30 % des appels vers le site 1, d'un deuxième tiers sur le site 2 et d'un dernier sur le site 3. Si le moindre incident arrive sur le site 1, il faudra remonter l'information et renvoyer les flux vers le siège, qui devra ensuite faire remonter l'ensemble des flux arrivant sur les deux autres sites afin de procéder à une deuxième simulation et de redéfinir le dimensionnement en fonction des avaries du premier site. Une belle perte de temps. Le dimensionnement, par définition, doit rester une affaire locale. « On peut toujours prendre en compte au niveau national des données exogènes : météo, événements locaux, manifestations diverses. Mais au final, c'est le local qui subit les effets du local. Si une pluie diluvienne s'abat sur Bordeaux, c'est le site de Bordeaux qui le subira, pas les autres », souligne François Rey, directeur commercial et marketing de Holy-Dis, éditeur français de solutions de planification. Que peuvent dire les outils de dimensionnement déployés sur un centre d'appels ? Par exemple, qu'il faut prévoir un effectif de trente personnes à telle heure, et le réduire à cinq agents quatre-vingt-dix minutes après. Or, contrairement à ce qui se pratiquait il y a quelques années (et parfois encore aujourd'hui, mais si possible loin des regards de l'inspection du travail), les entreprises spécialisées dans l'exploitation de centres d'appels n'ont plus toute latitude à staffer et déstaffer. C'est pourquoi les outsourcers, et dans une moindre mesure les entreprises exploitant leur call center en interne, développent des services connexes. Pas tant pour compléter leur palette de prestations que pour occuper les effectifs durant les plages de moindre activité.

Les limites du co-blending


Cette technique de management et d'organisation est appelée "co-blending" : on va demander aux téléconseillers d'alterner la production au téléphone avec la gestion du courrier ou des mails, soit de manière très programmée, soit au coup par coup. Pour aider les managers dans la mise en place de ces systèmes, il existe également certains modules logiciels. Le problème étant plus dans la formule d'organisation elle-même. Car, si le co-blending, ça marche sur le papier, pour nombre de responsables de centres d'appels, ça ne fonctionne pas bien dans les faits. Pour une raison majeure : les compétences requises pour la réception et pour l'émission d'appels ne sont pas les mêmes. Ce qui n'empêche pas les entreprises d'y avoir recours. Une étude menée en 2001 par la CFDT sur la base de réponses à un long questionnaire apportées par 1 877 salariés de centres d'appels (1 160 dans des services clients internalisés, 717 chez des outsourcers) montre que le modèle est courant au moins pour un quart des téléconseillers. Si 59 % d'entre eux disent travailler toujours en réception d'appels et 5 % toujours en émission, ils sont 25 % à parler d'un travail en alternance entre appels entrants et sortants. Il est à noter que le co-blending est sensiblement plus fréquent chez les outsourcers (30 %) que sur les centres internalisés (21 %). « En matière de co-blending, il faut faire extrêmement attention à la communication. Il est évident que si on lance aux téléconseillers : "Nous allons enrichir votre travail !" pour leur proposer une diversification des tâches, on s'expose à des difficultés », explique Maurice Cautela. Dans ce même ordre d'idées, dès lors que l'on confie à ses équipes d'autres tâches que celles pour lesquelles elles ont été recrutées, il faut prêter à ce nouveau travail et à la manière dont il est exercé la même attention, le même suivi. Evaluer le travail avec les mêmes outils, les mêmes incentives. Et fournir aux conseillers tous les retours nécessaires quant aux résultats de leurs activités. D'où la place centrale du management de proximité dans un contexte de co-blending ou d'extension des charges. Attention, d'autre part, à inscrire les tâches complémentaires dans une durée significative, au moins deux à trois heures de suite. Pour éviter l'effet "travail d'appoint".

Quand communiquer leur planning aux salariés ?


Bref, mieux vaut inscrire le co-blending dans une démarche programmée. D'autant que, plus on programmera, plus on pourra communiquer à l'avance aux salariés leur emploi du temps. A cet égard, le management des centres d'appels est loin de l'optimal. « On s'oblige à communiquer les plannings une semaine à l'avance. Mais ça n'est pas toujours possible », reconnaît Thierry Mormentyn. Selon l'enquête de la CFDT, 27 % des personnes interrogées sont prévenues moins de quinze jours à l'avance de leurs horaires futurs. Elles sont 18 % à en être informées entre quinze et trente jours à l'avance et 23 % plus d'un mois avant. Pour 32 % des téléconseillers, la question ne se pose même pas puisque l'emploi du temps reste invariable. Il semble par ailleurs que les managers n'aient pas trop mal intégré les techniques de planification puisque 47 % des agents interrogés disent n'avoir jamais eu à effectuer d'heures supplémentaires. A noter toutefois que ces dernières sont davantage le fait des centres d'appels en externalisation. Les salariés d'entreprises d'outsourcing sont en effet 36 % à faire des heures supplémentaire (souvent, pour 6 %), contre 16 % pour les conseillers de plateaux internalisés. Sur le centre d'appels de l'entreprise de développement photo par correspondance Extra Film, les plannings sont communiqués un mois à l'avance. Le fonctionnement étant basé sur un régime de polyvalence, chaque conseiller, pour peu qu'il ait accumulé de six à douze mois d'expérience sur le centre d'appels, va occuper par roulement les divers postes constitutifs du service client : call center, traitement du courrier et des colis, facturation. Mais toujours pour une durée minimale d'une semaine. Un cas de figure qui semble assez représentatif des pratiques courues sur les services clients internalisés. Rares sont les sociétés réussissant l'exploit de Direct Assurance, filiale du groupe Axa, qui soumet aux 400 salariés de ses deux centres d'appels des plannings annuels. « Nous avons mis en place bien avant la loi Aubry un système d'annualisation. Nos chargés de clientèle travaillent trente-deux heures par semaine. Ils sont soit de tranche du matin, soit de tranche du soir et travaillent un samedi sur quatre. On leur remet leur planning à l'année, avec une possibilité maximale, et signée par accord, de six modifications par an », explique Bertrand du Réau, directeur des opérations d'assurance. En fait, la diversification des missions peut être intéressante si elle repose sur une bonne gestion des compétences. Et ce, en amont du redimensionnement. Dans une politique d'aide à l'évolution des carrières, elle constitue un excellent baromètre pour les managers et un excellent tremplin pour les agents.

Le taux de qualité de service : un paramètre déterminant


Mais, ici comme ailleurs, l'un des paramètres incontournables sera le taux de qualité de service que les managers souhaitent imposer. Un taux qui sera déterminant dans le calcul même du dimensionnement. « Certains voudront que l'on prenne 80 % des appels en moins de vingt secondes avec une perte ne dépassant pas les 3 %. D'autres voudront une prise à 100 %. Certains arrêteront un temps d'attente maximal de vingt secondes, d'autres de quinze. Et, sur des gros volumes d'appels, cinq secondes de différence changent très sensiblement la donne », explique Dominique Berthelot, directeur commercial Europe de Call Center Alliance (CCA). En matière de codes de qualité de service, la norme se situe entre un taux de 85 % et un taux de 90 % d'appels traités. Cette dimension est moins anecdotique qu'il n'y paraît. Plus on s'approche des 100 %, plus la facture sera élevée. Mais pas selon un rapport arithmétique. La différence se marquera très vite de manière exponentielle. Car, plus on s'approche des 100 % d'appels traités, plus on s'approche de l'impossible. Sauf à opter d'emblée pour un surdimensionnement, c'est-à-dire vers un effectif plus important que ce que les besoins réels ne demandent. Bref, l'entreprise paiera un temps horaire toujours en partie non exploité. Et le surcoût est d'autant plus lourd que la pertinence de cette politique, quant à ses effets mêmes, est très relative. « Il est complètement idiot de vouloir surdimensionner dans le cadre de certaines campagnes de prospection TV, pour lesquelles la loi interdit la vente directe par téléphone en premier contact et où la part d'appels perdus, même si elle est de 15 %, ne correspond pas à des contacts à forte valeur ajoutée », explique Dominique Berthelot. Le dimensionnement, c'est toujours le résultat d'une recension de plusieurs facteurs. C'est toujours, surtout, au final, une affaire de coût. « Un client nous a, un jour, demandé de respecter une durée minimale de quarante-cinq minutes par contact. Après discussion, nous avons réussi à réduire ce temps standard à trente-cinq minutes », poursuit le directeur commercial Europe de CCA. Le surdimensionnement ne va pas sans risque. La surqualité induit nécessairement une diminution du niveau d'activité. Et l'un des pires ennemis du manager de centre d'appels est précisément l'inconstance de l'activité. Car il faut maintenir la structure dans ses ratios de productivité. Le dimensionnement est, du moins dans les structures fonctionnant en grande partie sur des ratios de productivité, également associé aux objectifs quantitatifs de production fixés aux agents et donc aux politiques d'incentive. Celles-ci portant généralement, dans ce cas de figure, sur un total d'appels pris en un temps donné, voire, plus subtilement, sur la capacité à réduire la durée moyenne des contacts. L'annuaire multicanal Scoot, qui enregistrait à son lancement, en mars 2001, des durées moyennes d'une à deux minutes pour le traitement des demandes qualifiées, a ainsi révisé le temps maximal de contact à soixante secondes. Arval PHH, numéro un français de la location et gestion de parcs automobiles multimarques d'entreprise, mise également sur la réduction des durées moyennes de contact. Ordinairement, celles-ci se situent entre une et deux minutes selon les services du centre d'appels : assistance, maintenance, service conducteurs, assurance. « Nous enregistrons des variations de flux assez sensibles, avec une saisonnalité prévisible et des mouvements plus imprévisibles directement liés à la météo. Les fluctuations peuvent aller du simple au triple », explique David Chenu, directeur communication et marketing. Pour autant, les équipes (environ 80 personnes) ne seront pas triplées. Arval PHH va jouer sur la conjonction de différentes approches : en piochant dans un vivier préformé de CDD, en formant les conseillers et techniciens à mettre un terme à une conversation, en utilisant le serveur vocal pour inviter les clients à rappeler ou à s'orienter sur les autres numéros du call center. « De manière générale, nous veillons toujours à être sur- staffés pour ne pas avoir de mouvements importants d'effectifs », souligne David Chenu.

Pas de dimensionnement sans objectifs de productivité


Pour optimiser cette productivité à laquelle le dimensionnement est si fortement lié, les entreprises disposent aujourd'hui d'une palette d'outils, à commencer par le CTI (lien logiciel entre l'informatique et la téléphonie). Une récente étude du cabinet Xerfi (juillet 2001) portant sur le marché des centres d'appels à l'horizon 2001 détaille les effets de l'intégration du CTI chez l'opérateur SFR. Selon cette société d'analyse, la montée automatique de la fiche client entraîne une réduction moyenne de trente secondes par appel. Ce qui permet d'augmenter la productivité des acteurs de 14 %. Au total, l'éco-nomie induite se monterait à 87 millions de francs par an ! Impressionnant. Mais tous les services clients n'imposent pas à leurs effectifs des rythmes aussi stakhanovistes, Dieu merci. Par ailleurs, le CTI coûte cher. S'il existe aujourd'hui des offres développées pour les petites structures et accessibles à raison de 3 000 ou 5 000 francs par poste, les solutions des grands éditeurs peuvent très vite être facturées deux à trois fois plus cher. Suffisamment pour faire que des entreprises y renoncent définitivement. « Notre charge d'appels n'est pas suffisamment lourde pour nous permettre d'absorber ce type d'investissement. Par ailleurs, les managers de centres d'appels savent bien que le CTI, de facto, repère environ 50 % des appelants, pas davantage », affirme Eric Marc, D-ga d'Extra Film. Autre outil utilisé - plus souvent celui-ci - dans la gestion des pics d'activité, mais plus en aval : le serveur vocal. Qu'il soit exploité dans sa facture la plus simple ou dans son mode interactif, cette dernière option étant moins répandue lorsque le serveur intervient comme instrument de secours. Et en tant que tel, les managers de centres d'appels l'utilisent avec parcimonie. Chez Floritel, société marseillaise de transmission florale, le serveur vocal est là pour gérer le trop plein. Situation récurrente pour cette activité fortement saisonnière qui peut enregistrer jusqu'à 60 000 appels par jour alors que la moyenne quotidienne lissée sur l'année est de 6 000. Dans un tel cas de figure, difficile de multiplier les troupes par dix. Chez Floritel, la fourchette des effectifs fluctue entre 15 et 80 personnes. Mais, face à un flux de 60 000 appels, la qualité de service ne peut pas être optimale. Il ne s'agit plus alors de viser un taux de prise d'appels de 100 % que de limiter au mieux le ratio d'appels perdus. C'est là que le serveur vocal intervient. Comme un pis-aller.

Ne pas négliger la "longévité" des agents


Outils ou pas, soit c'est le dimensionnement qui fera l'objet de réaménagements si les ratios effectifs de productivité devaient évoluer. Soit, inversement, on adaptera le rythme de travail aux effectifs en place, en jouant, dans les périodes de plus faible trafic téléphonique, sur du co-blending, par exemple. L'enquête menée par la CFDT semble montrer qu'en l'occurrence, il n'y a pas une école qui prévale sensiblement sur l'autre. Ainsi, 44 % des personnes interrogées déclarent être soumises à un flux continu d'appels (48 % chez les outsourcers, 41 % sur les plateaux gérés en interne). Pour 30 % d'entre elles, le rythme de travail dépend du nombre d'appels en attente. Elles ne sont que 17 % à avoir la maîtrise sur les appels à prendre. Avec, ici, un écart sensible entre salariés en externalisation (11 %) et dans un service en interne (21 %). Autre paramètre à ne pas négliger lorsque l'on introduit la donnée productivité dans le calcul de dimensionnement : la longévité. « Quand on impose en télémarketing des objectifs de productivité à dix contacts argumentés par heure avec deux ventes, avec une comptabilité à l'heure, comme c'est le cas chez nous, tout le monde ne peut pas le supporter », affirme Thierry Mormentyn. Du bon sens. Pour parer aux défections, au turn-over en général, pour faire "coller" les effectifs à la charge d'activité, les entreprises doivent trouver les bonnes ressources. Aussi, et notamment pour les outsourcers, la question du recrutement et de la nature des contrats de travail à proposer se pose-t-elle de manière centrale. Or, entend-on de tous bords, la source de recrutement semble se tarir, y compris en province, en tout cas dans les villes à forte présence de call centers. Exemple : Teleperformance Nord. La société est située au coeur d'un campus de 40 000 étudiants. Pour recruter 30 personnes (avec un salaire minimal fixe annuel de 120 KF brut), l'outsourcer va recevoir 400 candidatures, en retenir 120 pour entretien. Et sur les 30 qui seront retenues, toutes ne seront pas là au terme d'une année. La société affiche en effet un taux de turn-over de 10-15 %. Ce qui est peu dans l'univers de l'externalisation. Ce ratio 400/30 traduit on ne peut mieux l'énergie que les sociétés d'externalisation doivent déployer pour répondre à leur croissance et aux aléas permanents du dimensionnement. « Nous avons mis en place un assessment qui nous permet, en une demi-journée, d'évaluer une vingtaine de personnes pour un poste ou un travail donné. Avec un entretien collectif, un entretien individuel et une mise en situation. A quoi il faut ajouter 48 heures de formation. En une semaine, la personne est opérationnelle », souligne Thierry Mormentyn.

La solution du groupement d'employeurs


Extrafilm, également situé dans le Nord, a choisi de jouer sur tous les tableaux en matière de "colmatage" d'effectifs. La société est soumise à de fortes variations dans le volume d'appels. Le service client emploie de 10 à 40 personnes, avec une moyenne de 30. Alors qu'il reçoit en moyenne annuelle quelque 600 000 appels, le trafic passe du simple au double sur les deux périodes de pointe, décembre-janvier et avril-août, avec un paroxysme pour les quinze derniers jours d'août. Pour répondre aux pics, Extra Film puise dans les divers viviers de secours, et les exploite en totalité dans les périodes les plus chaudes. Outre l'intérim, la société a également recours au service de cinq, six, sept salariés d'un groupement d'employeurs. Une formule originale et intéressante dans cette région du Nord où le recrutement des téléconseillers est souvent épineux. Un certain nombre de sociétés non directement concurrentes, comme Extra Film, Plantiflor, Bonprix, se sont associées au sein d'un groupement d'employeurs pour co-salarier un pool de téléconseillers qui vont répondre aux besoins propres de ces entreprises dont les pointes d'activité ne sont pas concomitantes. « Tous les deux mois, ils changent de société. Ce qui leur permet de conserver un travail tout au long de l'année. C'est de l'intérim intelligent », note Eric Marc. Enfin, en dernier recours, la société de développement photo à distance fait appel à des étudiants, notamment pour les services de soirée et du samedi. « Nous essayons de les recruter en été, afin de pouvoir les former durant deux semaines avant qu'ils n'attaquent la production », explique Eric Marc. Les effectifs estudiantins viennent ainsi répondre aux pics d'appels (notamment fin août), lorsque le recours à l'intérim et au vivier d'un groupement local d'employeurs ne suffit plus. Ils sont également là pour se substituer aux CDI durant les vacances estivales. Depuis les outils de filtrage en amont (ACD, CTI), jusqu'aux actions ponctuelles de recrutement, le dimensionnement interagit en fait avec l'ensemble des aspects fonctionnels et organisationnels d'un centre d'appels. Ce qui en fait toute la complexité. Une complexité qui peut toujours s'opacifier à mesure que l'on ajoute des strates dans la gestion des ressources humaines. On peut, par exemple, aisément concevoir à quel point une dimension internationale ne simplifiera pas les choses. Qu'en est-il en effet des centres d'appels paneuropéens ? Certes, il s'agit généralement d'entités à vocation B to B, soumises à des flux entrants plus prévisibles. Mais la question du multilinguisme, des fuseaux horaires et des législations locales entre en ligne de compte, donnant au dimensionnement une nouvelle forme de complexité. Certes, le paneuropéanisme n'a jamais été la dynamique la plus porteuse du marché des centres d'appels en France. Et, justement, la difficulté du dimensionnement n'y est pas étrangère.

 
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Muriel Jaouën

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