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Loi Chatel : les cybermarchands montent au front

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Fin décembre, le sénat a voté quatre amendements supplémentaires à la loi Chatel, qui renforcent les droits des acheteurs sur Internet. Des dispositions qui font grincer des dents l'ensemble de la profession.

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Si les fêtes de Noël ont été fructueuses pour les webcommerçants, le gouvernement ne leur a pas fait de cadeau: le Sénat a adopté, le 20 décembre dernier, le projet de loi «pour le développement de la concurrence au service des consommateurs », dite loi Chatel. Au sein de celle-ci, les articles 28 à 31, votés sous forme d'amendements le 14 décembre et promulgués le 3 janvier dernier, modifient le Code de la consommation et impactent directement l'e-commerce. Dans ce secteur d'activité, trois mesures phares sont à retenir :

- À partir du 1er juin prochain, les vépécistes devront s'engager sur une date limite de livraison avant la conclusion de la vente. En cas de non-respect de cette date, le consommateur peut « obtenir l'abrogation de la vente » et se faire intégralement rembourser.

- Les sites d'e-commerce devront mettre en place un service clients, numéro de téléphone non surtaxé auprès duquel les consommateurs pourront suivre l'avancée de leur commande, formuler des réclamations ou demander à faire jouer une garantie.

- Enfin, les cybermarchands devront indiquer clairement sur leurs sites l'existence et les limites éventuelles d'un droit de rétractation. Dans le cas où le consommateur l'exerce, il devra être remboursé de « la totalité des sommes versées », c'est-à-dire le prix d'achat du produit, les frais de port et les frais de retour.

La Fédération de la vente à distance (Fevad), par la voix de son délégué général Marc Lolivier, a vivement réagi, aussi bien sur le fond que sur la forme de la loi. « Sans aucune concertation avec les professionnels, ces amendements ont fait l'objet d'une procédure d'urgence qui ne s'imposait pas. » Le 13 décembre, la Fédération avait pourtant alerté le secrétaire d'État chargé de la Consommation et du Tourisme dans une lettre cosignée par quatre marchands électroniques (RueduCommerce, Alapage, PriceMinister et Pixmania). « Le gouvernement n'avait alors pas évoqué ces mesures et un groupe de travail, avec le Conseil national de la consommation, était même programmé pour le 17 décembre dernier », ajoute Marc Lolivier. Un groupe auquel la Fevad a ensuite refusé de participer, puisque les amendements avaient été votés entre-temps. Le caractère précipité du vote n'est pas le seul point de désaccord entre la Fevad et le législateur. Sur le fond, la Fédération estime que ces articles de loi seront difficilement applicables en l'état et qu'ils auront un impact important sur la santé financière des entreprises, mais aussi sur l'emploi, les prix et la qualité de services. Un paradoxe pour une loi dont le but est justement de l'améliorer. « L'impact risque de s'élever à plusieurs dizaines de millions d'euros pour l'ensemble du secteur», estime le délégué général. « Pourquoi stigmatiser l'ensemble de la profession pour quelques sites peu scrupuleux qui ont des pratiques douteuses ? s'interroge pour sa part Gauthier Picquart, le dirigeant du site RueduCommerce. Aujourd'hui, 70 % du chiffre d'affaires du secteur est réalisé par les 30 sites les plus importants du e-commerce français. Il aurait fallu régler le problème avec ceux qui abusent de la crédulité des consommateurs plutôt que de faire peser le poids de ces mesures à tous les sites. »

Car, si cette loi s'adresse particulièrement aux cybermarchands, ce sont tous les VADistes qui devront s'aligner, avec certaines mises en application difficiles: comment les cataloguistes pourront, par exemple, émettre une date limite de livraison à leurs clients traditionnels ? Interrogés sur le sujet, aucun d'entre eux n'a souhaité s'exprimer, se rangeant derrière l'avis de la Fevad.

Gauthier Picard (RueduCommerce) :

« Pourquoi stigmatiser l'ensemble de la profession pour quelques sites peu scrupuleux qui ont des pratiques douteuses ? »

Une loi qui suscite de vives réactions

L'extension du droit de rétractation, qui prévoit le remboursement intégral des sommes versées aux clients, fait enfler la polémique. Certains sites évoquent d'ores et déjà la possibilité de supprimer purement et simplement les services, pourtant très appréciés des cyberacheteurs, de livraison rapide (du type Colissimo ou Chronopost) de peur d'avoir à rembourser des sommes astronomiques. Gauthier Picquart juge, quant à lui, dangereuses les dérives que pourrait engendrer une telle mesure. «Déjà, certains clients n'hésitent pas à renvoyer des produits après s'en être temporairement servis, explique-t-il. Si demain, ils ont en plus la possibilité de se faire rembourser les frais d'envoi et de retour, cette pratique risque de se généraliser et de devenir de la location gratuite!» Les e-marchands pourraient décider de compenser le manque à gagner entraîné par cette mesure en augmentant in fine le prix des produits. Une répercussion qui irait à rencontre de l'intérêt du consommateur.

Même souci avec la fin imposée des numéros de services clients surtaxés. L'incompréhension des professionnels sur ce point est d'autant plus forte que cette question sensible est déjà en discussion depuis plusieurs années avec les fournisseurs d'accès à Internet et les opérateurs télécoms. De plus, la Fevad indique qu'il n'y a que très peu d'abus répertoriés sur la question des hot lines dans le secteur du e-commerce. «Cela risque d'aboutir à des délocalisations massives des centres d'appels afin de réduire les coûts et donc à une baisse générale de la qualité du service aux clients», regrette Marc Lolivier.

Marc Lolivier (Fevad) :

« Ces amendements ont fait l'objet d'une procédure d'urgence qui ne s'imposait pas. »

Les associations de consommateurs approuvent

Pour l'heure, les professionnels du secteur ne semblent avoir été entendus que sur une seule revendication: un délai de six mois pour la mise en application des mesures. Et les plus pessimistes d'entre eux estiment que ces «killers amendements» risquent fort de donner un sérieux coup de frein au développement du commerce en ligne. Une crainte que ne partage pas l'UFCQue Choisir. Du côté des associations de consommateurs, en effet, on applaudit ces mesures qui «vont dans le bon sens». «Je suis persuadé que cette loi va apporter un réel plus aux consommateurs, estime Édouard Barreiro, chargé de mission TIC au sein de l'UFCQue Choisir. Le fait, par exemple, que les e-marchands prennent à leur charge l'intégralité des frais en cas de rétractation va les inciter à être plus regardant sur la qualité de leur offre pour satisfaire au mieux leur clientèle. Cela ne peut qu'être positif pour les consommateurs. Malgré l'essor formidable de la vente sur Internet, il existe encore une part importante de réfractaires. Je pense que cela va contribuer à les convaincre et faire croître les ventes des sites concernés.» Affaire à suivre.

 
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ISABELLE SALLARD, SAMIR AZZEMOU

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