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Et pourquoi pas demain, des “marques de consommateurs” ?

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Et pourquoi pas demain, des “marques de consommateurs” ?

En dix ans, les Français ont changé de siècle, de millénaire, d'échelle, de vitesse, de monnaie, de climat. Les marques suivent le mouvement mais moins vite. Elles vont devoir se renouveler. Après les marques de distributeurs, pourquoi pas des marques de consommateurs. Une tribune de Gérard Mermet.

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La consommation est à la fois le reflet et le miroir du changement social ; elle connaît donc une véritable mutation. Elle peut se résumer à deux dimensions complémentaires et contradictoires. D'un côté, la consolation : je consomme, donc j’oublie les difficultés et l’imprévisibilité du monde actuel en pensant à autre chose. La consommation permet en effet de se “divertir” au sens pascalien. On peut grâce à elle échapper au réel, à l'ennui… et à la mort (en tout cas l’éloigner temporairement de ses pensées).

L’autre dimension perçue par le consommateur est celle de la consumation : je consomme, donc je participe au processus de destruction de la planète. Cette attitude est le résultat de la prise de conscience des menaces environnementales liées à la fabrication, l’achat, l’utilisation et l’élimination des produits, objets et services. L’économie ne peut plus exister aujourd’hui sans que l’on se préoccupe d’écologie (concept de développement durable). Pour réconcilier les approches, on devrait parler d’écolonomie. 

Choquées par ces bouleversements et la mise en cause de leur rôle, voire de leur légitimité, les entreprises et les marques ont (un peu) réagi. Elles l’ont d’abord fait, de façon assez caricaturale, en délivrant quasiment toutes le même message, à l’intérieur comme à l’extérieur, exprimé par les mêmes mots : il s’agissait de “mettre le client au centre de la réflexion” (variantes : de leur stratégie, de leur action, de leurs pratiques). Comme si elles découvraient soudain que le client est au centre du jeu, qu’il a le pouvoir de dire “oui” mais aussi “non”. Elles ont accompli cette “révolution” avec une sincérité et une efficacité inégales. Elles ont aussi découvert, expérimenté et apprivoisé les nouveaux modes de communication, qui ont inversé le rapport de forces traditionnel entre l’offre et la demande, au profit de cette dernière.

Dans le processus, un certain nombre de marques ont subi une désaffection sensible ; celles en tout cas qui n’ont pas su tenir leurs promesses aux yeux de leurs clients, ou qui ont cessé de faire rêver leurs prospects. Nées parfois depuis plus d’un siècle, beaucoup se sont en effet “institutionnalisées”, se renouvelant plus dans la forme que dans le fond. La crise aidant, elles sont devenues des signes extérieurs de richesse (même en dehors de l’univers du luxe) dans un monde qui se sentait de plus en plus paupérisé. Elles ont continué de faire preuve d’ostentation, voire d'arrogance dans une société qui attendait de la modestie de la part des acteurs de la vie économique, sociale, politique, médiatique ou culturelle. Elles ont perdu de la crédibilité et de la complicité, vecteurs de la confiance.
Elles ont ainsi fait le jeu et le lit des “marques de distributeurs”, inventées par ces derniers pour les contrer. Les MDD ont réussi à s’imposer et à s’installer dans l’esprit de consommateurs en quête d’une qualité équivalente à celle des marques dites “nationales” avec un avantage prix indiscutable. Elles ont conquis selon les secteurs des parts de marché significatives (28 à 35 % en valeur selon les sources). Elles sont même parfois en position de leader (plus de 60 % pour les conserves de tomates, 50 % pour les entrées ou les plats surgelés, 45 % pour les huiles… pour ne parler que de l’alimentaire).

Des marques nationales aux marques de consommateurs

Pour faire face à la désaffection à leur égard et à la croissance continue des marques de distributeurs, reconquérir le terrain et la confiance perdus, les marques classiques doivent maintenant se réinventer. Comment ? En bouclant la boucle, et en inventant des “marques de consommateurs”.
Cela implique de repenser le rôle et le fonctionnement des entreprises, et de refonder les éléments du “marketing mix” traditionnel. Ainsi, les produits seront définis, testés et sélectionnés en association avec des consommateurs volontaires. La production sera assurée par un fabricant si possible non délocalisé (afin de ne pas rendre les consommateurs complices d’une perte de valeur économique). Elle sera contrôlée par un “comité de consommateurs” concernés et compétents (et sans doute dédommagés pour le travail fourni).

Les prix, éléments déterminants de l’offre, seront fixés en liaison avec le “comité”, en toute transparence. Une partie des profits réalisés pourra être réinvestie dans des baisses de prix, permettant d’accroître la part de marché.
La distribution sera assurée dans les réseaux choisis par les consommateurs, le référencement étant poussé par eux dans les circuits et points de vente de leur choix.

Enfin, la communication sera pilotée et prise en charge par les consommateurs et diffusée par les médias auxquels ils ont accès (blogs, réseaux sociaux, forums…). Les clients seront ainsi à la fois des fournisseurs, des adhérents, des médias, des distributeurs, des ambassadeurs… et des acheteurs. Peut-être aussi, pour certains, des actionnaires.

Un bilan écologique global sera réalisé depuis l’amont jusqu’à l’élimination des produits afin de s’assurer que la marque est “responsable”… et le faire savoir. À toutes les étapes du processus, la transparence sera totale. Ainsi, un compte d’exploitation détaillé sera mis à la disposition de tous. De même, la constitution du prix de vente final sera détaillée à chaque phase, avec une indication des marges correspondantes.

Ajoutons que la création d’une marque de consommateurs pourra être effectuée sous l’égide d’une marque existante, ou ex nihilo, sans référence obligatoire à la marque qui se trouve à l’origine. Mais sans le cacher non plus, contrairement à ce qui se passe souvent lorsque des marques nationales produisent des marques de distributeurs.

Utopie ? Probablement pas. Tous les efforts déployés depuis quelque temps en matière de marketing vont dans ce sens. Les marques deviennent “participatives”. Elles impliquent de plus en plus leurs clients ou les “vrais gens” dans le processus de l’offre. Elles leur font essayer leurs produits, choisir tout ou partie de leur communication. Elles les encouragent à parler (de préférence favorablement !) de leurs expériences sur les réseaux.
Les exemples de pratiques participatives sont nombreux. Certains sont très anciens, comme ceux des coopératives et des mutuelles. Les premières opéraient en “B to B”, les secondes en “C to C”. Aujourd’hui, les “décroissants” s’efforcent de renouveler le genre de l’économie sociale et solidaire avec les SEL (systèmes d’échange local) ; ils troquent des biens, des services ou des savoirs, sans transaction monétaire. Depuis les années cinquante, Ikea a compris les avantages (notamment économiques) des meubles transportés et vendus en kit et montés par les clients. Il y a quelques années, Lego s’était sorti d’un mauvais pas en créant une communauté de fans pour relancer sa marque.

Du “user generated content” aux sites comparatifs

L’avènement d’Internet a représenté un tournant dans les relations entre les marques et les consommateurs. On a ainsi vu apparaître des sites fondés sur le principe de l’USC (user generated content), qui ne sont que des plateformes d’échange entre des internautes acheteurs ou vendeurs (ou simples visiteurs). Les plus emblématiques sont Wikipedia ou eBay, imités ou enrichis par Agoravox, Leboncoin, mais aussi Mozilla, Youtube, DailyMotion, Facebook ou Twitter.

Les sites de comparaison de prix et de prestations s’inscrivent dans une démarche semblable de participation : TripAdvisor, Hotel.com, etc. Des marques très anciennes, comme Monopoly (1920) ont créé le buzz en proposant aux internautes de choisir les nouvelles villes qui serviraient de cadre au jeu (même si le choix de Montcuq, en France, a été censuré). De son côté, Google fait appel sans le leur dire aux utilisateurs ; son algorithme de recherche est largement fondé sur leur fréquentation des sites (qu’ils retrouvent ensuite en tête de liste, ce qui accroît leur fréquentation).

L’approche communautaire…

La participation du client à l’évolution de la marque a permis de rééquilibrer la relation verticale qui existait traditionnellement entre les deux, qui s’exerçait essentiellement de haut en bas. Avec le développement d’Internet, le participatif s’est allié au communautaire. Les clients ont non seulement le sentiment d’être des interlocuteurs des marques (relation verticale), mais aussi des membres d’un groupe ou d’une communauté qui leur ressemble (relation horizontale).

Ainsi, le succès planétaire de l’iPhone d’Apple ne s’explique pas seulement par la participation de particuliers doués qui développent des applications, lesquelles constituent la motivation principale de l’achat et de l’usage des smartphones. En ayant ses propres codes (y compris les codes sources), en instaurant un écosystème fermé et “propriétaire”, la marque a réussi à créer autour d’elle une communauté de fans, qui sont autant d’ambassadeurs. Free est allé plus loin dans la logique communautaire, en permettant par exemple aux Freenautes d’accéder au Freewifi partout où des Freebox sont ouvertes aux autres membres, à condition qu’ils soient eux-mêmes participants. Orange joue aussi depuis quelques mois sur ce registre avec son service Sosh (socialize) destiné aux jeunes.

La politique s’est mise aussi au collaboratif : l’exemple le plus flagrant est celui de la “marque” Obama, largement promue par les réseaux mis en place lors de la présidentielle de 2008 par les spin doctors du futur président. Un an auparavant, la marque Ségolène Royal avait accru sa notoriété en lançant la “démocratie participative” (pléonasme révélateur des difficultés des pays démocratiques à retrouver le lien avec le peuple). Dans un autre genre, la SNCF a développé le concept de l’idTGV, qui favorise l’interaction entre des voyageurs qui étaient auparavant indifférents les uns aux autres. Laquelle profite évidemment à la marque qui permet cette relation horizontale.

On observera là encore que les mutuelles et les coopératives ont été des précurseurs. Fondées sur la participation des adhérents ou sociétaires, elles reposaient aussi sur l’appartenance à une communauté, qui était souvent une profession (céréalier, producteur de lait, viticulteur…) ou une corporation. Leur fonctionnement, qui semblait dépassé il y a quelques années, est donc en réalité très moderne ; il constitue une source d’inspiration dans la réflexion actuelle sur les marques.

Une nouvelle page à écrire

On peut observer a contrario que le déficit de participation et de coopération du consommateur à la vie des marques est de plus en plus sanctionné. Gap a dû revoir son logo après l’avoir modifié, sous la pression de ses clients. Déjà, dans les années 1980, Coca-Cola avait dû abandonner le New Coke ; l’entreprise a fait face également à de violentes critiques lors du lancement d’une eau minérale en Angleterre.

Il ne faudrait pas, enfin, confondre la tendance, réelle et durable, de la personnalisation (sur-mesure, “customisation”…) avec celles de la participation et de la collaboration. La première reste généralement verticale (même si elle implique une interactivité réelle : de haut en bas et de bas en haut). Les deux autres sont beaucoup plus actives. Elles favorisent un fonctionnement horizontal au moins autant que vertical. Chaque individu, client ou non, est un média, qui produit et diffuse des messages, réagit à ceux émis par ses pairs comme à ceux en provenance des “institutions” (dont les entreprises font partie pour l’opinion).

Il s’agit maintenant d'aller jusqu’au bout de la démarche (même si elle ne constitue pas bien sûr de la “fin de l'histoire” des marques), de miser sur l'intelligence collective, de redonner la main au consommateur sans pour autant abdiquer ses valeurs de marque, son identité, son histoire, ses objectifs. Le chemin est ouvert, prometteur, novateur.

Certes, toutes les marques ne pourront être au plein sens du terme “de consommateurs”. Mais celles qui seront les premières dans leur domaine se doteront d’un avantage concurrentiel considérable. Elles bénéficieront d’un buzz qui ne le sera pas moins. Elles auront devant elle un terrain d’expérience et d’apprentissage sans équivalent pour penser et écrire l’avenir. Cette expérience leur permettra de piloter le changement et l’innovation en amont des tendances, avant même qu’elles soient identifiées, analysées, diffusées et utilisées (de façon souvent mimétique) par leurs concurrents. Alors, qui tentera le pari ?

* Gérard Mermet est sociologue, spécialisé dans l’analyse du changement social et de la consommation. Il est directeur du cabinet de conseils et d’études Francoscopie et auteur de l’ouvrage éponyme (Larousse). Site internet : www.francoscopie.fr

 
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