Être plus exigeant sur le sens de la communication
Dans un environnement interne et externe en pleine mutation, les métiers de la communication en entreprises, et leur finalité, se doivent eux aussi d'évoluer. L'analyse de Bruno Paillet, président du Club des Annonceurs.
Comment est né le Club des Annonceurs ?
Du besoin ressenti, en 1991, par un certain nombre d'annonceurs de se rencontrer pour
essayer de mieux comprendre ensemble ce qui se passait sur le marché de la
communication. D'où les deux principes du Club : échanger des informations, en
respectant bien sûr une notion de confidentialité, et échanger des expériences.
Nous ne sommes pas là pour faire des livres blancs, mais pour trouver des
solutions. Nous avons été un peu boostés par la Loi Sapin. Dans le sens où,
dès le départ, nous avons été les seuls à prendre clairement position pour.
Parce qu'un certain nombre d'entreprises ne pouvaient pas prétendre aux
conditions que d'autres obtenaient. Il est vrai que nos membres ne sont ni
L'Oréal, ni Henkel...
Quel est le profil de vos membres ?
Ce sont les entreprises qui cotisent et nous rassemblons aussi
bien des directeurs de la communication, de la publicité que des directeurs
marketing, des directeurs généraux... Avec un point commun : ils ont tous un
budget à gérer, une responsabilité financière conséquente en tant
qu'investisseurs. Nous avons aujourd'hui plus de soixante membres ; nous
progressons d'une dizaine par an. Mais notre objectif n'est pas de croître à
tous crins ; nous recherchons plus une palette de personnes significatives que
le nombre. Cela dit, plus on est, plus on a de moyens. Nous sommes totalement
indépendants et finanons tout par nous-mêmes.
Avez-vous des relations avec les autres associations professionnelles ?
Pour faire avancer les choses, avoir une meilleure compréhension des problèmes, nous
nous rencontrons avec l'APPM, l'Irep, le CESP, Presspace... Quant à l'UDA, elle
a tout fait au départ pour que nous n'existions pas. Elle a vu en nous un
éventuel concurrent. Ce qui n'est pas le cas. Notre objectif n'est pas de
représenter la profession, d'intervenir auprès des pouvoirs publics..., mais de
trouver des solutions pratiques. J'ai l'espoir que les choses évoluent avec la
nouvelle équipe. La précédente s'est trompée de combat, de cible. Cela ne nous
a pas empêché de vivre, mais je souhaite que nous puissions établir dans les
prochains mois une relation constructive.
Quelles actions menez-vous ?
Nous organisons des rencontres dont l'objectif est d'en sortir plus "malin" qu'avant d'y entrer, d'améliorer ses connaissances et sa pratique. Un dîner mensuel sur un thème lié à l'actualité, dans une
perspective opérationnelle : les changements que va occasionner le numérique
pour les annonceurs, l'évolution des métiers de la communication... Des petits
déjeuners, basés sur des échanges d'expériences concrètes. Un séminaire
trimestriel, ouvert au-delà des membres, sur un sujet d'importance, une mise en
perspective des problématiques : les bases de données, le consommateur
européen, la communication internationale... Et une soirée "clin d'Oeil", où
nous invitons nos partenaires agences, médias, instituts d'études... Nous
avons aussi des partenariats : pour la deuxième année consécutive avec le Grand
Prix Edhec Annonceurs dont nous voulons qu'il soit une grande référence. Et
avec le Festival de Biarritz, cette année sur le thème des nouvelles
technologies et de leurs conséquences sur nos stratégies et investissements.
Une fois le problème de la Loi Sapin réglé...
Attention, les règles du jeu sont à peu près en place, mais il faut veiller au
grain parce que l'on constate ces derniers temps des dérives qui nous
inquiètent. Tous les intervenants n'ont pas encore compris que le dispositif
n'est plus le même qu'hier. Un certain nombre de conseils médias souhaitent
reconstituer des marges qu'ils avaient avant et s'ingénient à trouver des
systèmes rémunérateurs. Par exemple à travers les "incentives", qui peuvent
aller jusqu'à doubler la rémunération de base. La plupart sont bidons et
réalisées avec la complicité des médias et des régies. Mais si un annonceur ne
les accepte pas, il prend le risque de ne pas obtenir de conditions... C'est le
rôle du Club que de secouer le cocotier. Il faudra encore quelques années avant
que tout cela se clarifie.
... quelles sont donc aujourd'hui vos principales préoccupations en tant qu'investisseurs ?
En premier lieu, la mesure de l'efficacité. À la fois des médias et de la publicité
elle-même, de la création, de sa pertinence, de son adéquation. Il y a eu un
vrai travail de fait au niveau de la connaissance des médias ; des avancées via
l'OJD, l'APPM, Médiamétrie... mais on n'est pas encore au bout. On voit bien
que si l'on veut toucher des cibles de plus en plus qualitatives, les études
doivent évoluer, avec d'autres bases statistiques. Quant à la radio, je crois
qu'il ne faut pas s'interdire des expériences de mesure avec des outils
différents. Quand Europe 1 et Ipsos disent qu'il y a peut-être autre chose à
faire que ce qui existe, nous avons envie de les entendre... Il y a un vrai
danger à ne pas penser que les choses peuvent évoluer.
Incluez-vous le hors-média dans ces préoccupations ?
Oui, car je suis convaincu que l'on est en train de passer des stratégies médias aux stratégies
de moyens. Aujourd'hui, le conseil en médias est très réducteur. Tous les
moyens sont liés et vont concourir à l'efficacité d'une stratégie. Nous avons
une palette d'outils qu'il faut intégrer. Le problème est de savoir qui, en
face de nous, peut intégrer cet ensemble ? Sachant que c'est aussi largement de
la responsabilité de l'annonceur que d'être en la matière un chef d'orchestre.
Et en dehors des problèmes d'efficacité ?
Notre deuxième grand thème de réflexion concerne l'évolution de nos métiers, liée à
celle de notre environnement. Les exigences de l'entreprise en termes de
rentabilité, l'arrivée des bases de données, du numérique, des nouvelles
technologies... ont des conséquences tout à fait importantes pour nos
organisations.
Quelle va être, selon vous, l'incidence des nouvelles technologies ?
Dans un premier temps, nous devons prendre connaissance de ces outils nouveaux, tout en sachant qu'un certain
nombre ne perdureront pas. On voit bien déjà, par exemple, qu'il n'existe pas
de bassins d'audience suffisants pour permettre à un grand nombre de réseaux
thématiques d'exister durablement. Par ailleurs, je crois beaucoup au
numérique. Ses possibilités d'interactivité vont peut-être lui permettre de
s'installer avant Internet. L'expérience de Lego sur TPS, par exemple, était
tout à fait intéressante. Cette nouvelle offre va nous rendre plus exigeants
sur le sens des communications et le rôle de la marque. Utiliser ces nouveaux
outils, c'est bien, mais pour dire quoi ? Cela nous renvoie à une exigence de
contenu, à des problèmes de planning stratégique, de réflexion par rapport au
rôle de chaque marque. On va peut-être redécouvrir des projets d'entreprise,
des projets de marque. Si, dans un premier temps, on peut être attiré par le
côté spectaculaire d'un nouvel outil, on va ensuite revenir sur un
approfondissement du contenu du message.
Comment voyez-vous l'évolution de la fonction communication au sein des entreprises ?
Je pense que bon nombre de techniques vont être, en fin de compte, réhébergées
auprès d'opérateurs plus directs. Les directions des ressources humaines,
commerciale, financière... vont s'approprier des techniques de communication.
Ce n'est pas grave, pas gênant. Vouloir que tout passe par la direction de la
communication est une idée qui n'est pas juste. Cela peut permettre à certains
de conserver leur pouvoir... Mais nous entrons dans une société d'entreprises
communiquantes. Et, quand on dit "entreprise communiquante", la communication
ne peut être uniquement l'apanage d'une équipe limitée. En revanche, ce qui
doit clairement être du ressort d'une direction de la communication, c'est
toute la réflexion sur la dimension corporate, sur la marque. Peut-être
d'ailleurs que nous évoluerons de la direction de la communication à la
direction de la marque. Une de nos fonctions essentielles est de pérenniser la
marque de l'entreprise et peut-être aussi d'être l'animateur de tous ceux qui
touchent à la communication. Cela veut dire que les directions de la
communication seront à l'avenir probablement moins importantes, en nombre de
collaborateurs, mais devront être plus vigilantes par rapport au contenu de la
communication. Et diffuser les outils. Il y a un certain nombre de techniques
qui n'ont pas besoin d'être toujours gérés par une structure centrale. Nos
clients, nos marchés, nos systèmes de distribution, les techniques..., évoluent
Nous découvrons, dans le domaine des services, l'importance de la communication
avec le réseau et son exigence en la matière... Les directions de la
communication ne peuvent pas continuer à faire du surplace. Elles doivent
cultiver la souplesse, l'adaptabilité, pour pouvoir entraîner l'entreprise. Un
directeur de la communication doit avoir cette capacité à peut-être moins
d'orthodoxie que d'autres.
Ne sentez-vous pas la concurrence des cabinets de consulting ?
Les entreprises font effectivement de
plus en plus appel aux grands cabinets organisationnels. Qui se rendent compte
qu'il faut s'appuyer sur des outils de communication pour bâtir une nouvelle
organisation. Et l'on voit apparaître des stratégies de communication d'une
grande banalité qu'ils font payer à prix d'or. Notre souci est que ces cabinets
ne sont pas complètement au fait des réalités opérationnelles. Qu'ils aient une
recommandation en amont ne me semble pas aberrant en soi, mais il faut qu'il y
ait une concertation avec la direction de la communication pour que l'on n'en
arrive pas à des solutions un peu irréalistes.
Quelle est votre opinion sur l'évolution des études de communication ?
Globalement, nous avons un bon niveau de prestataires. Mais, souvent, beaucoup d'études ne sont pas assez opérationnelles, pas toujours en adéquation avec les besoins des annonceurs. On sait que certaines segmentations ne servent à rien. Par ailleurs, on manque d'inventivité dans la façon d'aborder les études d'image. Ces dernières années, par exemple, on n'a pas beaucoup avancé en matière de représentation sociale. On fait toujours les mêmes choses. Mais, est-ce que ce que l'on mesure est le plus pertinent ? S'attaque-t-on vraiment au noyau dur ? Nous sommes souvent dans des schémas construits à partir de mécaniques anglo-saxonnes, un peu adaptées. Et, il est dommage qu'il n'existe pas assez de connexions, de passerelles, au niveau de la recherche en matière d'image. Il y a plein de chercheurs en France, comme ceux de l'université d'Aix, dont les travaux ne sont pas assez intégrés. Le problème de fond, c'est que les études se comportent comme si l'on était toujours dans un marketing de la demande. Alors qu'en réalité on est dans un marketing de l'offre. Les outils ne sont pas encore adaptés à cette révolution.
Biographie
Bruno Paillet, 49 ans, ISC 72, a démarré sa carrière à la direction des ventes d'un abattoir de volailles. En 1975, il entre au Crédit Mutuel Région Centre en tant que chef de produit puis responsable de la publicité. De 78 à 81, il est adjoint au directeur marketing de Swissair, avant de rejoindre la Banque Populaire Région Ouest de Paris en tant que directeur de la communication. De 1988 à 1995, il est responsable de la publicité puis directeur de la communication de la Confédération nationale du Crédit Mutuel. Directeur de la communication du Gan depuis 1995. Président du Club des Annonceurs depuis 1991.
Le Club
Créé en 1991, à l'initiative de Bruno Paillet (Gan) et Nicolas Guelman (Cencep), le Club des Annonceurs regroupe aujourd'hui plus de soixante membres entreprises, dont une partie significative appartient au secteur des services. La cotisation est fonction du montant des investissements publicitaires (trois niveaux : 10, 15 et 25 KF).
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